Pendant cinq dimanches de suite, nous allons entendre le discours sur le Pain de vie, le chapitre VI de l’évangile selon St Jean. Il commence par un miracle. Et quel miracle ! À partir de 5 pains et de 2 poissons, il nous est dit que Jésus nourrit une foule nombreuse. Des interprétations plus ou moins inventives ont été avancées pour essayer de donner des explications raisonnables cette étonnante multiplication des pains, notamment l’interprétation humaniste sur la force du partage. On essaie de comprendre comment Jésus a fait cela. Or ce qui importe, en fait, ce n’est pas le comment mais le pourquoi du signe posé par Jésus. Les miracles sont des signes de la puissance de Dieu, afin de nous amener à nous tourner vers Dieu en toute confiance.
En effet, qu’est-ce qu’un miracle ? C’est un signe destiné à attirer notre attention, un signe, c’est-à-dire un symbole qui unit une réalité matérielle à une signification spirituelle. En tant qu’il déroge aux lois naturelles, il est le signe que celui qui l’accomplit a un pouvoir sur ces dernières. Dans son acte créateur, le Seigneur dispose les lois naturelles pour organiser le monde, les miracles qui dérogent à ses lois ne peuvent être qu’exceptionnel.
Mais les miracles de Jésus ne sont-ils que des signes de sa puissance, des preuves de sa divinité ? Non. Si Jésus est Dieu, il peut certes faire toutes sortes de miracles. Il le dit lui-même à ses adversaires : « Ne puis-je pas faire des pierres que voici des fils d’Abraham ? » Et c’est bien ce que le démon lui suggère lorsqu’il vient le tenter au désert. Mais Jésus ne fait précisément pas n’importe quoi, et ne multiplie pas les miracles comme des petits pains ! Les miracles de Jésus ont en effet toujours comme finalité de manifester le dessein de Dieu pour l’homme. Il opère des guérisons, il ramène des morts à la vie, il nourrit les foules, mais Jésus ne fait pas de miracles absurdes. Il fait des miracles qui ont un sens. Ses miracles viennent en aide aux hommes : ils restaurent leur santé, leur dignité, leur vie. Les miracles de Jésus sont un témoignage de sa bienveillance pour les hommes. Le miracle est ainsi un signe de la puissance de Jésus et la manifestation de son amour pour les hommes.
Mais si tel est le cas, pourquoi avoir borné son action dans des limites si étroites : quelques années, en un lieu déterminé, et finalement, au bénéfice de si peu de monde ? Beaucoup sont morts en Israël à l’époque de Jésus, et pourtant il n’a rendu la vie qu’à Lazare, qu’au fils de la veuve de Naïm et qu’à la fille de Jaïre. Beaucoup de gens avaient faim à l’époque de Jésus, et pourtant il n’a multiplié les pains que deux fois. Beaucoup de gens étaient malades, infirmes, aveugles. Et pourtant il n’en a guéri que quelques-uns. Et que dire de la suite des temps ? Epidémies, famines, guerres se succèdent depuis des siècles. Des milliers de personnes meurent chaque jour tandis que d’autres ne cessent de souffrir. Alors pourquoi Jésus ne s’occupe-t-il pas d’elles ? Cela ne semble injuste que si nous ne voyons en Jésus qu’un simple philanthrope, le SAMU pour toutes nos détresses et besoins matériels.
Par ses miracles, Jésus vient indubitablement répondre à nos attentes, mais il vient surtout redresser nos attentes, et en exauçant les espoirs de quelques-uns, il vient exhausser l’espérance de tous. Quand Jésus promet à la Samaritaine l’eau vive, elle est heureuse de n’avoir plus à puiser, quand Jésus multiplie les pains, la foule veut le faire roi pour être nourrie sans effort. Dans ces conditions, fallait-il que Jésus exauçât toutes les demandes ? Non : nous en serions restés à nos espérances purement terrestres, du pain et des jeux. Les miracles de Jésus sont des signes de sa puissance, ils manifestent sa volonté de faire notre bonheur, mais ils nous invitent surtout à la conversion, à un sursaut, à remonter à la source de tout bonheur. En effet, que désirons-nous en définitive ? Le bonheur absolu, qu’aucune de ses réalisations limitées ne peut vraiment donner. Jésus veut que nous désirions le Souverain Bien, Dieu lui-même, qui seul peut rassasier notre désir d’aimer et d’être aimé. Jésus a de l’ambition pour l’homme, ses miracles en sont le signe. Le pain multiplié aujourd’hui, et qui n’empêchera pas d’avoir faim demain, est le signe de ce Pain de vie que Jésus, sagesse de Dieu, est lui-même.
Et pour avoir faim de ce pain-là, il ne faut pas être complètement gavé par l’autre, le pain matériel. Jésus nous a montré la voie : ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. Il faut orienter nos désirs vers leur véritable accomplissement. Nos désirs et besoins matériels ne sont que des points de départs pour notre vocation spirituelle. Ils sont à orienter vers le ciel pour qu’ils renaissent plus grands, plus beaux qu’au départ.
Jésus, en accomplissant ses miracles, vient nous révéler que nous sommes faits pour Dieu. La vie qu’il nous donne, c’est la vie éternelle, la guérison qu’il nous procure, c’est le salut éternel, et le Pain dont il nous nourrit, c’est lui-même. Désirons-nous vraiment cela ? Avons-nous faim de Dieu ? De l’Eucharistie qui est le pain de la route en ce pèlerinage terrestre ? Oui, un peu certainement, sinon nous ne serions pas ici. Mais ce pain ne nous nourrira vraiment, spirituellement, miraculeusement, que si nous nous offrons tout entier. Il a eu besoin de l’offrande spontanée des cinq pains et des deux poissons, pour les multiplier, aujourd’hui, il veut nous accueillir, accueillir notre désir, pour renouveler la grâce de notre baptême, le don de la vie éternelle.