L’Évangile de ce jour, qui nous montre Jésus enseignant avec autorité et guérissant avec bonté, semble être une réponse à la demande du peuple de Dieu dans la première lecture. En effet, un jour, au Sinaï, les israélites avaient trouvé Dieu épouvantable, insupportable. Sa présence se manifestait par des éclairs, et sa voix grondait comme le roulement du tonnerre. Ils avaient crié vers Dieu qu’ils ne voulaient plus entendre cette voix, ni contempler un tel embrasement du ciel, de peur d’en mourir. Et Dieu avait promis de se faire moins redoutable, plus proche, en se dissimulant parmi les prophètes. Et il s’était engagé devant Moïse, qui intercédait pour le peuple, de leur susciter un prophète comme lui, dans la bouche duquel il mettrait sa parole.
Pendant des siècles, des prophètes se succédèrent en Israël, tenant et garant de la parole de Dieu, jusqu’au jour où Dieu envoya son propre fils, le dernier et le plus parfait des prophètes, son verbe incarné, sa parole qui prit chair et se fit homme parmi les hommes. Jésus est bien le même Dieu qui s’est manifesté au Sinaï, mais il est devenu abordable et, se promenant parmi les hommes, mêlés à la foule, longtemps inaperçue, il ne se distinguait en rien jusqu’au jour où, au beau milieu d’un culte à la synagogue, il saisit le rouleau des écritures pour prendre à son tour la parole.
Une prise de parole de Dieu parmi les hommes, en la personne de sa propre parole devenue chair : Jésus de Nazareth, le Christ. Et ce fut comme une explosion, avec un retentissement qui bouleversa tous ceux qui de près ou de loin en furent touchés. Dans son Évangile, Saint Marc nous donne un écho de l’étonnement des contemporains de Jésus. Ceux qui l’écoutaient été bouleversé, non par les éclairs et les tonnerres, mais par l’autorité de sa parole. Jésus était tellement identifié à la parole de Dieu, que sa parole personnelle ne pouvait pas ressembler à celle des autres scribes. Sa parole était la parole, et son visage était la face visible de Dieu, son regard était chargé d’une tendresse qu’aucun homme n’avait encore pu exprimer. Tout le monde, dit l’Évangile, été bouleversé par son enseignement, car il n’enseignait pas comme les scribes, mais comme quelqu’un qui avait de l’autorité.
Les scribes avaient une certaine autorité, une autorité fondée sur les études qu’ils avaient faites, sur leur savoir et leur compétence, particulièrement en matière d’écriture sainte. Mais, dans le cas de Jésus, il ne s’agissait pas d’un savoir plus ou moins étendue. Sa compétence à lui était d’un autre ordre. Elle représentait un poids nouveau d’être, une qualité insoupçonnée d’amour, qui touchait chacun personnellement et mystérieusement. Son autorité provenait du mystère même de sa personne. Ceux qui étaient quelque peu disposés à écouter Jésus déjà s’en apercevaient. Mais plus encore, ceux qui ne l’étaient aucunement, ceux qui vivaient sous l’emprise des forces du mal que l’Évangile appelle esprit mauvais. À peine Jésus a-t-il ouvert la bouche, que sa parole touche et frappe à mort cette mystérieuse présence du mal. Et l’esprit mauvais de se rebiffer et de crier, à travers l’homme qu’il tient lié pour tenter de contester la parole de Dieu manifestée en Jésus : « que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es : tu es le saint de Dieu. »
Le face-à-face de Jésus avec l’esprit du mal est abrupt, mais sur le champ efficace. Jésus lui enjoint de se taire et de quitter l’homme qu’il détient. L’affrontement est extrêmement bref et l’issue est immédiate ! Jésus a débusqué le mal, non pour condamner, mais pour soulager et rendre à l’homme sa liberté. Le Dieu du Sinaï n’a rien perdu de sa vigueur et de sa force, mais désormais il ne se montre terrifiant que pour le mal et que pour libérer l’homme.
Cette force de la parole de Dieu, telle qu’elle fut en Jésus, est désormais toujours avec nous dans son Eglise. La même force qui mit le Sinaï à feu et à flamme, qui fut tempérée et dissimulée dans un visage d’homme en Jésus, trouve toujours à s’exprimer dans la parole et les gestes des prophètes d’aujourd’hui, de mère Teresa à Mgr Romero, du père Jacques de Jésus dans les camps de concentration à ceux qui pardonnent après le génocide du Rwanda, et nous pourrions encore citer bien d’autres exemples de cette force de Dieu qui anime les croyants. Car comme nous le rappelle notre pape Benoît XVI dans sa première encyclique, c’est la force de l’amour de Dieu qui vivifie l’Eglise. Nous sommes tous appelés à recevoir cette force de l’amour qui peut transformer nos cœurs et nos vies pour bouleverser les hommes d’aujourd’hui. « L’Esprit, nous dit Benoît XVI, est aussi la force qui transforme le cœur de la Communauté ecclésiale afin qu’elle soit, dans le monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique famille. Toute l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme : elle cherche à évangéliser par la Parole et par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations historiques ; et elle cherche l’amélioration dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaine. L’amour est donc le service que l’Église réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des besoins, même matériels, des hommes. »