Nous ne ferons jamais suffisamment entendre aux hommes cette affirmation de la volonté de Dieu : leur donner la vie, et la leur donner en abondance. Nous-mêmes, nous ne l’entendrons jamais assez pour nous convaincre de la grande bonté de Dieu notre Père.
Dans ce passage de l’Évangile de Jean, le disciple bien aimé nous partage ce qu’il a découvert du désir profond du Christ qui justifie l’Incarnation du Verbe : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Ce désir de Dieu motive la création du monde, et la rédemption apportée par le Christ. Dès la première alliance, le Seigneur implorait Israël de préférer la vie : « Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu, écoutant sa voix, t’attachant à lui ; car là est ta vie. » (Dt 30, 19-20) Le désir profond de Dieu de donner la vie en abondance s’est concrétiser dans l’histoire des hommes par l’incarnation du Fils.
Le désir de la vie, et d’une vie riche et pleine, habite aussi naturellement le cœur de l’homme. Quelles que soient les cultures, les époques et les lieux, l’homme veut vivre, et vivre à 100% de ses capacités. Toutes les quêtes humaines, quelles que soient les formes qu’elles prennent, même si elles peuvent paraître aberrantes, révèlent que l’homme aspire normalement au bonheur qu’est la vie en plénitude. Les attitudes autodestructrices qui mènent à la mort n’expriment pas un rejet de la vie, mais un rejet des conditions particulières de vie qui sont vécues comme oppressantes, aliénantes. Pour guérir des attitudes mortifères, il faudra libérer les forces de vie qui sont enfermées.
Pour le chrétien, un constat s’impose donc : deux désirs immenses habitent le monde, celui de Dieu et celui de l’homme. Celui de Dieu de donner la vie en abondance, celui de l’homme de vivre en plénitude. Mais tel un mauvais récepteur, l’homme ne sait pas se tourner spontanément vers Celui qui pourrait satisfaire véritablement son désir. Les deux désirs ont bien du mal à se rencontrer. Le monde et notre cœur sont marqués par le mal, l’injustice, l’incompréhension mutuelle. Aujourd’hui comme hier, les hommes sont traversés par des sentiments de violence, nous sommes comme perdus dans notre quête de la vie véritable. C’est un véritable combat contre nous-même que nous devons mener pour choisir la vie, pour apprendre à aimer en acte et en vérité.
Dans cette quête de la vie, nous pouvons nous sentir seul et impuissant, abandonné à nos seules intuitions et à nos seules forces. Nous cherchons un chemin de bonheur qui finit par nous paraître impossible aux vues des difficultés récurrentes et insurmontables. Si l’histoire humaine se limitait au désir insatiable de vie et à l’impossible satisfaction, nous tomberions dans la folie ou le désespoir. Sans une lumière extérieure, sans une aide secourable, comment pourrions-nous réaliser seuls l’objectif du bonheur ? Comme il est écrit dans le psaume : « Jusqu’au rocher trop loin de moi, Tu me conduiras » (Ps 61, 3) Celui qui est la vie est venu à notre rencontre en Jésus-Christ, c’est en nous ouvrant à l’Esprit Saint, sans réserve, que nous comblerons les désirs de notre cœur. La résurrection de Jésus témoigne de la victoire de la plénitude de la Vie, donnée par Dieu, sur toutes les forces de la mort. Pour produire la véritable révolution, le grand soir qui apportera aux hommes le bonheur qu’ils attendent, il nous faut faire se rencontrer les deux désirs immenses, de l’homme et de Dieu.
Vouloir devenir prêtre ou religieux, c’est vouloir travailler et offrir sa vie pour ce rapprochement de l’homme et de Dieu. Ce rapprochement opéré historiquement et définitivement dans la personne du Christ, nous avons à le réaliser pour chacun de nous. Pour cela, des hommes et des femmes choisissent de collaborer à l’œuvre actuelle de l’Esprit Saint dans le sacerdoce ou la vie religieuse. Les prêtres, particulièrement, sont appelés à devenir des transmetteurs de la vie de Dieu. Passionnés par la vie des hommes, et par la vie de Dieu, ils œuvrent à la rencontre des deux désirs. Par l’annonce de la Parole de Dieu, ils ouvrent pour les hommes le véritable chemin de la Vie. Par la célébration des sacrements, les prêtres transmettent la grâce divine qui est la vie même que Dieu verse en nos cœurs. Par la prière, l’étude et l’accompagnement des hommes dans leur vie réelle, ils rejoignent ces hommes dans leur quête actuelle d’une vie meilleure.
La rencontre de Dieu et de l’homme pour développer une vie en plénitude est possible. Nos communautés chrétiennes doivent permettre à chacun de comprendre et de construire sa vie comme une réponse à l’appel et au don de Dieu pour une vie véritable. Cela ne sera possible que si parmi nous se lèvent des transmetteurs de la Vie de Dieu, c’est-à-dire des prêtres et des religieux voués entièrement à cette tâche. Le prêtre, comme berger, comme enseignant et comme sanctificateur, œuvre à orienter le cœur des hommes vers la source de la vie pour recevoir les dons de Dieu. Appeler à devenir prêtre, c’est vouloir engager sa vie au service du bien véritable des hommes, c’est vouloir mettre en relation et faire se rencontrer le désir de l’homme de recevoir la vie et le désir de Dieu de la donner.
Être serviteur et témoins de l’œuvre de Dieu dans le cœur de l’homme, c’est une œuvre magnifique et passionnante. Il est vrai que toute vie comporte des difficultés, et il ne faut pas cacher la réalité comme un sergent recruteur le ferait. Cependant, la noblesse de la vocation sacerdotale, la grandeur de sa tâche, et l’impérieuse nécessité de transmettre la vie de Dieu aux hommes, devraient faire que nous présentions aux jeunes la figure du prêtre et du religieux comme la plus exaltante des vocations. Passionné de Dieu et des hommes, il œuvre à la réussite de l’humanité. Pour un cœur généreux et fervent, devenir prêtre ou religieux est une formidable aventure humaine et spirituelle. Tout aussi exaltant que l’aventure spatiale, est l’aventure spirituelle, tout aussi important que le soin des corps, celui des âmes, tout aussi nécessaire que de nourrir les affamés, est de donner le pain de vie.
Prier pour les vocations sacerdotales et religieuses, c’est demander des transmetteurs de la vie de Dieu pour le bien des hommes.
Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.