Dieu a fait en elle « de grandes choses », les choses les plus merveilleuses qui puissent enrichir une créature humaine : enfanter le Fils de Dieu, donner ses traits à Celui qui est au-delà de tout visage, et pourtant cette grâce immense a tous les dehors d’un drame. Marie ne peut faire comprendre ce que Dieu seul a fait ; elle ne peut, à elle seule, introduire Joseph dans le plan de Dieu, et elle se réfugie dans le silence, un silence qui la condamne parce Dieu seul pourrait le lever.
Or Dieu répond à la détresse de Marie en envoyant son Messager à Joseph : « Ne crains pas ! Tout ce que tu constates et qui te paraît un non-sens est l’œuvre mystérieuse de ton Dieu. Accepte ce bébé et nomme-le Jésus, car par lui Dieu sauvera son peuple de ses péchés et le délivrera en une fois de ce poids qu’il traîne au long des siècles comme une chape de malheur. »
Ainsi les voies de Dieu déroutent l’homme, mais pour le mettre sur le chemin de la joie, du don parfait et de la totale obéissance. Les espérances terrestres perdent de leur éclat, parce que Dieu réserve à l’homme un trésor dans le ciel, qui sera manifesté quand le Ressuscité se manifestera, mais qui surpassera toutes les attentes de ce monde. Ce qui n’était pas monté au cœur de l’homme et ne pouvait pas y monter, Dieu le réalisera au jour de la gloire par des chemins connus de lui seul, mais qui sont autant d’inventions de son amour de Père.
Dieu se plaît à surprendre, et toute son œuvre porte la marque du paradoxe : du plus petit des clans de Juda doit sortir celui qui gouvernera Israël ; Celui qui paraîtra parmi les hommes remonte à l’aube des siècles, une Vierge va enfanter, son Enfant sera à lui seul la paix, et sa puissance s’étendra jusqu’au bout de la terre.
La même disproportion se fait jour dans la vie de toutes celles que le Seigneur appelle : d’une humble femme aux pieds meurtris par les cahots du chemin, Dieu fait une reine et lui fait épouser son dessein, qui est de réconcilier avec lui tous les hommes ; d’une baptisée qui chaque jour doit se convertir il fait une ouvrière de son plan de salut ; d’une pauvre enfouie dans le silence d’un Carmel il tire des trésors de bonté, de pardon et de joie.
² Tel est le parti pris de Dieu, tel est son style qui nous dépayse et nous prend en porte-à-faux, nous qui avons l’habitude de tout calculer selon ce qui se voit. La seule chose qu’une jubilaire ait envie de célébrer, c’est la fidélité de son Dieu qui l’a guidée si longtemps par des sentiers inconnus et imprévisibles, mais qui se sont tous révélés des chemins de son amour. Dieu a le secret de faire de chaque vie une œuvre irremplaçable et de tout peser au seul poids de la charité. Face à ces choix divins, nos réussites humaines pâlissent, et le plus sûr, le plus apaisant et le plus décisif, est de laisser à Dieu tout bilan de notre vie.
C’est la grâce mariale du grand âge, que la Mère de Dieu ne refuse jamais à celles qui lui font confiance. Nous n’avons pas d’autre chose à chanter que le regard de Dieu qui s’est posé sur nous. Nous n’avons pas d’autre joie, au fond du cœur, que celle de lui appartenir pour toujours parce qu’il a daigné se souvenir de notre humilité. Aucune autre ambition ne nous habite que de rejoindre le Fils de Dieu pour le grand repos qu’il nous prépare, pour le jubilé du ciel qui durera l’éternité, avec tous ceux que notre amour aura rapprochés de lui.
La Vierge Marie nous y attend, elle que nous n’aurons cessé ici-bas de regarder, de chanter et de servir.
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.