« Ne vous inquiétez pas », dit Jésus. C’est là l’un des maîtres-mots de sa sagesse, qui suffit, à lui seul, à situer l’insécurité dans notre vie de foi et d’espérance. Et Jésus, pour nous aider à lâcher prise, à ne pas crisper les mains sur nos soucis, nous donne plusieurs raisons.
D’abord le souci est impuissant, inefficace. Pas plus que nous ne pouvons, à force de souci, augmenter notre taille de quelques centimètres, nous ne pouvons nous donner à nous-mêmes des journées de 28 heures, de l’aisance au travail, ou une résistance physique que nous n’avons pas.
Et puis le souci est inutile, dès lors que Dieu est là, qui se soucie de nous : « Il sait bien, votre Père », dit Jésus. Et il n’est pas de chemin plus court vers la paix, que de se dire et de se redire, spécialement aux heures difficiles, quand l’image de nous-mêmes se brouille et parasite notre espérance :« Dieu sait, Dieu voit » ; Jésus sait, Jésus voit ; « Seigneur, tu sais tout, tu vois bien que je t’aime. » Dieu habille les fleurs : il saura bien vêtir ses enfants.
Enfin le souci nous détourne de l’essentiel, qui est le règne de Dieu, c’est-à-dire l’accomplissement de son plan d’amour sur la terre, et la justice de Dieu ; comprenons ici : la justice que Dieu réclame, c’est-à-dire une existence pleinement « ajustée » à son vouloir, une vie qui réponde constamment aux initiatives de salut que Dieu prend pour chacun et pour le monde entier.
Or c’est dans l’aujourd’hui que se trouve et se cherche le règne de Dieu. « Rien que pour aujourd’hui », chantait Thérèse, parce que l’aujourd’hui est la mesure la plus naturelle, la plus vraie, la plus sûre, de la fidélité.
« Il y eut un soir, il y eut un matin » : c’est le grand rythme de la création. « Il y a un matin, il y a un soir » : c’est le petit rythme de la rédemption.
L’aujourd’hui englobe tout ce que nous pouvons vraiment connaître et vraiment accomplir de la volonté de Dieu. Au-delà, nous pouvons, souvent nous devons prévoir et préparer, mais le souci est déjà de trop, parce qu’il nous fait retomber du plan de l’amour au niveau de l’imaginaire.
Imaginer les choses, c’est une manière de les posséder et de les garder pour soi seul. Chaque fois qu’au-delà d’une saine prospective nous nous laissons envahir par le souci de l’avenir imaginé, nous nous replaçons au centre de tout et nous oublions, non seulement que Dieu peut, mais qu’il sait, qu’il voit, et qu’il aime.
C’est bien pourquoi St Jean de la Croix met la nuit de l’imagination et de la mémoire en relation directe avec l’espérance. Il y a là une purification et une ascèse auxquelles peut-être nous ne pensons pas assez, même quand par ailleurs nous recherchons loyalement le règne de Dieu.
Jésus, le Sage de la nouvelle alliance, nous propose de nous initier à sa propre liberté de cœur face à l’avenir. Qu’il nous donne à tous, par la force de sa présence, par l’énergie de sa Pâque, assez d’amour pour nous contenter de Lui, assez d’espérance pour attendre ses merveilles. Car elles viendront, et déjà elles viennent,« mais c’est de nuit ».
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.