Textes liturgiques (année B) : Ac 4, 32-35 ; Ps 117 ; 1 Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
Lorsque, en l’an 2000, le Pape Jean-Paul II a institué la fête de la Miséricorde divine, célébrée, depuis, chaque année, le 2e dimanche de Pâques, il n’y a pas eu besoin de créer un nouveau formulaire liturgique pour cette fête. Il a suffi de compléter l’intitulé de la journée : « 2e dimanche de Pâques ou de la divine Miséricorde ». Il faut dire que l’oraison du jour parlait déjà de miséricorde : « Dieu de miséricorde infinie, tu ranimes la foi de ton peuple par les célébrations pascales ; augmente en nous ta grâce… » Cela tombait bien ! Mais plus profondément encore, la Parole de Dieu et la liturgie ne cessent de nous parler de la miséricorde, puisqu’elles nous font rencontrer de façon vivante Jésus, qui est « le visage de la miséricorde du Père » , selon l’expression du Pape François. La fête de ce jour, dans la lumière de Pâques, nous conduit à en prendre conscience plus vivement.
Par sa miséricorde, Dieu vient inlassablement nous rejoindre, aussi loin de lui que nous soyons, quels que soient les enfermements dans lesquels nous nous trouvons. Les disciples en font l’expérience le soir du premier jour de la semaine, après la mort de Jésus. Par peur, ils se sont barricadés dans leur maison : ils n’ont pas suivi leur maître et ami jusqu’à la croix et maintenant, ils craignent peut-être de subir le même sort que lui. Dans le réel, ils n’ont pas été solidaires du Crucifié ; dans l’imaginaire, ils se figurent qu’ils vont devoir payer leur lien avec lui… c’est pathétique… et pourtant, notre propre cœur n’est-il pas également capable, parfois, de suive des chemins aussi tortueux ? Alors, qui fera sauter les barricades qui emprisonnent notre cœur ? ou bien qui nous donnera la clé de notre cœur, pour que nous puissions vivre et aimer en vérité ? « Jésus vint, et il était là au milieu d’eux » : voilà la seule personne qui soit capable de franchir des portes hermétiquement closes sans pour autant entrer par effraction ! Les voleurs et les violeurs, brutalement ou subtilement, entrent toujours par effraction. Dieu, lui, ne fait jamais ainsi. En fait, et c’est bien le mystère de sa miséricorde, nous avons beau nous éloigner de lui, Dieu ne s’éloigne jamais de nous, il ne quitte jamais la demeure de notre cœur. Le soir de Pâques, le Ressuscité s’éveille dans le cœur des disciples et leur offre la clé de leur propre cœur, afin qu’ils s’ouvrent à la vie nouvelle de Jésus.
Nous avons reçu la clé, mais il faut du temps pour avoir le courage de tourner cette clé dans la serrure : huit jours plus tard, les portes sont encore verrouillées ! C’est à peine croyable : il est donc possible d’avoir vu le Ressuscité, d’avoir entendu son salut de paix, d’avoir reçu le don de l’Esprit Saint, et de garder son cœur barricadé. C’est à peine croyable… comme ces disciples nous ressemblent ! Que s’est-il passé pendant les huit jours qui ont séparé les deux manifestations du Ressuscité ? Peut-être les disciples n’ont-ils pas réussi à être des relais de la miséricorde auprès d’un des membres plus fragile du groupe. C’est Thomas, qui « n’était pas avec eux quand Jésus était venu » – dans tout groupe, dans les familles, voire dans les communautés, il y a toujours celle ou celui qui n’est pas là au bon moment, n’est-ce pas ? Il importe alors d’être auprès d’eux de bons relais de la Bonne nouvelle du salut. Au sujet de Marie-Madeleine, lorsqu’elle était revenue du tombeau, le matin de Pâques, l’évangéliste saint Jean nous avait rapporté qu’elle avait déclaré aux disciples : « J’ai vu le Seigneur et voilà ce qu’il m’a dit ». Le soir de Pâques, les disciples se contentent de dire à Thomas : « Nous avons vu le Seigneur », mais sans lui annoncer ce qu’il leur a dit. Comment pourrait-il croire sans avoir entendu ? Privé par ses frères défaillants de la proclamation de la Bonne nouvelle, Thomas dit en quelque sorte sa souffrance : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Eh bien, la miséricorde de Dieu vient toujours nous rejoindre là où nous en sommes. Le huitième jour, alors que toutes les portes sont encore barricadées, la porte du cœur de Thomas, comme celle des autres disciples, Jésus se manifeste et vient, par sa miséricorde, avec une prédilection spéciale, prendre soin de Thomas, en prenant au sérieux son cri de douleur : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant ». Pendant la dernière Cène, Jésus avait eu un geste unique de prédilection pour Judas, celui qui allait bientôt chanceler et trahir, en lui donnant la bouchée, geste de communion qu’il n’avait adressé à aucun autre. Maintenant, ressuscité, il vient toucher le membre le plus fragile du groupe, d’une manière unique, et il fait ainsi grandir toute la maisonnée. En disant à Thomas : « Sois croyant », Jésus a libéré en son cœur le dynamisme de la foi, et Thomas, au nom de tous, peut s’écrier « Mon Seigneur et mon Dieu ! » – et il en oublie de toucher la marque des clous et le côté transpercé… Jésus n’aura donc pas besoin de lui dire, comme à Marie-Madeleine : « Ne me retiens pas ! »
Inlassablement patient, Dieu vient toujours nous rejoindre là où nous en sommes et, par sa miséricorde, il nous donne d’ouvrir de l’intérieur la porte de notre cœur. Il nous appelle à être relais de sa miséricorde, car il n’est pas possible de recevoir seul le don de Dieu, comme il n’est pas possible de le garder pour soi. « Dieu de miséricorde infinie, tu ranimes la foi de ton peuple par les célébrations pascales ; augmente en nous ta grâce pour que nous comprenions toujours mieux quel baptême nous a purifiés, quel Esprit nous a fait renaître, et quel sang nous a rachetés ».
(Paris)