Il est de coutume de dire que le Carmel est tout marial, c’est-à-dire que l’idéal de vie pour les carmes et les carmélites, dans leur suite du Christ, est d’emprunter la voie même de la bienheureuse vierge Marie. Il s’agit donc pour les membres de l’ordre, qu’ils soient de l’antique observance ou de la réforme thérésienne, de s’appuyer sur l’exemple même de la mère de Jésus pour mener à leur accomplissement leur vie spirituelle. Et pour cela chacune des trois lectures que nous venons d’entendre en cette fête de Notre-Dame du mont Carmel apporte un éclairage particulier pour comprendre la spécificité de la spiritualité mariale au Carmel. Et nous pourrions résumer cette spécificité autour de deux axes : savoir accueillir aujourd’hui le don de Dieu et tenir dans l’espérance quant à la pleine réalisation de ce don.
Comme au jour de l’annonciation pour la vierge Marie, nous sommes invités à reconnaître et à accueillir le don de Dieu aujourd’hui dans nos vies. Qu’à l’exemple de la vierge Marie, vigilante dans la prière, nous sachions reconnaître le moment où Dieu nous visite pour recueillir le don qu’il veut nous faire. Et ainsi nous pourrions reprendre son cantique d’action de grâces : « mon âme exalte le Seigneur, Il s’est penché sur son humble servante ». Et l’évangile de ce jour nous invite à reconnaître, comme premier don manifeste pour nous, celui que nous fait Jésus en nous donnant sa mère. Comme tous disciples de Jésus, nous sommes invités à entendre pour nous cette phrase du Seigneur en croix qui nous laisse son testament : « voici ta mère ! » Le Christ totalement appauvri sur la croix s’appauvrit encore, lui le fils unique, partage avec tous ses disciples sa mère. Et s’il va jusqu’au bout de cette désappropriation, c’est bien qu’il en discerne l’enjeu capital pour son disciple. Le rôle maternel de Marie ne se limite plus à la personne de Jésus, mais doit s’étendre à l’ensemble des disciples, à l’ensemble du corps mystique du Christ. Le disciple est invité à reconnaître le rôle maternel de Marie dans sa vie spirituelle et, en la prenant chez lui, de lui reconnaître aussi le rôle d’éducatrice.
La parole de Jésus en croix nous invite donc à reconnaître le don de Marie à son Église au moment même où celle-ci va naître. Comme le dira saint Louis-Marie Grignon de Montfort : « C’est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus Christ est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner dans le monde ». En accueillant ce don de la maternité de la vierge Marie, en tant que disciple de Jésus, nous ne faisons que mettre nos pas dans ceux mêmes de Jésus comme nous le dit l’apôtre Paul : « lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son fils, il est né d’une femme, (…), pour faire de nous des fils. » Le chrétien est invité à renaître d’en-haut pour participer à l’héritage des saints, et cette nouvelle naissance à l’imitation de Jésus passe par la médiation de la vierge Marie. Jésus, qui est né d’une femme pour nous libérer de la loi et répandre en nos cœurs l’Esprit-Saint qui fait de nous des fils, nous invite au moment de sa mort à reconnaître le rôle maternel de la vierge Marie dans notre vie spirituelle.
En prenant chez lui la mère de Jésus, le disciple est invité à reconnaître aussi un rôle d’éducatrice à la vierge Marie, elle lui montrera, à son exemple, à accueillir la parole de Dieu et lui faire porter du fruit. Avec la vierge Marie, nous reconnaîtrons que le Seigneur a fait pour nous des merveilles, comme elle nous le dit dans son cantique d’action de grâces. Avec elle, nous reconnaîtrons que nous sommes des bienheureux puisque les promesses de Dieu se sont réalisées pour nous. La vierge Marie nous apprendra à les reconnaître, à nous réjouir du don que le Seigneur nous a déjà fait, à être attentif aux mystères qui nous habitent. En effet, la preuve que nous sommes des fils, nous dit saint Paul, c’est que l’Esprit Saint est déjà présent en au cœur et nous permet de dire à Dieu « notre Père ! »
C’est en nous appuyant sur cette reconnaissance du don de Dieu pour nous que nous pourrons tenir dans l’espérance quant à la pleine réalisation de ce don. Car si nous sommes enfants de Dieu, cela ne paraît pas encore clairement, comme dit l’apôtre Saint-Jean, il nous faut encore passer par les douleurs de l’enfantement. Marie nous apprendra à nous tenir debout au pied de la croix, à ne pas nous laisser écraser par ce qui semble contredire ou même anéantir le don de Dieu. Elle qui a su accueillir la parole de Dieu au jour de l’annonciation, avec toutes les promesses de l’ange, elle qui aimait parfaitement son fils, elle ne s’est pas laissé effondrer par sa crucifixion, même si cela lui perçait le cœur. Elle est là, debout, tenant dans l’espérance contre toute espérance. Cette force qui lui permet de tenir debout, la mère de Jésus la tient tout d’abord de sa confiance en la parole de Dieu entendue au jour de l’incarnation, cette parole de Dieu qu’elle garde en son cœur et qu’elle médite chaque jour. Notre force se trouve dans la prière, l’oraison où nous prenons racine, méditant jour et nuit la Parole de Dieu.
Comme avant elle, le prophète Élie nous est donné en exemple dans la première lecture, la promesse de Dieu lui avait été adressée que la pluie tomberait après sept années de sécheresse, il devait la demander dans la prière, et il a su tenir dans cette prière persévérante puisqu’il lui a fallu insister par sept fois avant qu’on aperçoive un petit nuage. Et la vue de ce petit signe infime à l’horizon, lui donne l’assurance de la réalisation des promesses. De même, au pied de la croix, puis dans l’attente du samedi saint, la vierge Marie demeurera vigilante dans la prière et confiante, sûre la parole du Seigneur et sachant lire les moindres signes qui révèlent la réalisation des promesses. Prendre Marie comme mère et éducatrice de notre foi, c’est entrer dans ce combat de l’espérance. Ou pour reprendre le mot de notre règle du Carmel, savoir que ce dans le silence et l’espérance qu’est notre force. Silence et espérance qui deviennent force, s’ils sont habités par la parole de Dieu, par une vigilance dans la prière. Silence et espérance de l’oraison qui nous permet de discerner les signes de Dieu dans notre vie, de nous appuyer sur sa parole, de tenir debout à travers toute épreuve.
Nous voici donc à l’école de la vierge Marie, reine et beauté du Carmel, pour apprendre avec elle à devenir fils et filles de Dieu, pour dire avec elle, dans la puissance de l’Esprit saint « Abba ! Père ! » Que ce soit dans la louange pour les dons reçus de lui, ou dans la supplication à travers toute épreuve. Comme nous le dit la petite Thérèse : « Qu’elle est donc grande la puissance de la prière ! On dirait une reine ayant à chaque instant libre accès auprès du roi et pouvant obtenir tout ce qu’elle demande. (…) Pour moi la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » Que chacun de nous au Carmel entre sur ce chemin de la prière à l’école de la vierge Marie, dans la force et la douceur de l’Esprit Saint !