Un souffle violent, des langues de feu, comment dire cette expérience bouleversante que firent les Apôtres, cette expérience qui fit naître une communauté nouvelle appelée à parler toutes les langues des hommes ? L’Esprit Saint, voilà comment les premiers chrétiens vont désigner cette réalité nouvelle qui s’impose à l’Eglise dans l’acte même de sa naissance, une réalité insaisissable comme le vent et pourtant décisive. Après vingt siècles, nous voilà toujours embarrassés pour en parler. Avoir une relation personnelle avec le Christ ou son Père grâce à la foi nous est encore relativement familier, mais l’Esprit Saint, la troisième Personne de la Sainte Trinité, lui reconnaissons-nous vraiment cette qualité de Personne dans notre vie de foi ? Comment le prions-nous ? Comment faisons-nous l’expérience de son action ?
Sa présence est tellement déroutante : il crée l’Eglise sans se laisser enfermer en elle. Il s’éloigne d’elle pour rejoindre des horizons nouveaux et pourtant il ne la quitte jamais. L’Eglise semble n’avoir jamais fini d’être en retard sur l’action de l’Esprit, courant à bout de souffle pour en saisir les signes. Pourtant celui-ci est à l’origine de tout ce qu’elle est. Forte d’une histoire prodigieuse dont l’expérience de la Pentecôte fut le commencement, l’Eglise peut contempler en elle l’œuvre de l’Esprit Saint, mais celui-ci est désormais ailleurs, ouvrant de nouveaux chemins dans l’histoire des hommes.
Insaisissable, il est difficile de l’entendre, de lui dire « Tu », car lui-même ne dit jamais « Je ». Il ne cesse de nous tourner vers un autre : Jésus, le Père, notre prochain. Aucune Parole n’est propre à l’Esprit Saint, mais il nous fait souvenir des Paroles de Jésus et nous donne de les comprendre dans le concret de nos vies. Les disciples purent ainsi relire à la lumière de l’Esprit leur histoire commune avec Jésus et proclamer leur foi jusque dans la persécution. Ils purent accueillir des paroles de Jésus auparavant déconcertantes comme des Paroles de vie. L’Esprit Saint a suscité ainsi la prédication des apôtres et conduit l’Eglise, à travers les siècles, vers la vérité tout entière.
Envoyé par le Père et de la part du Christ, il est Vent et Souffle de Liberté. Il survient à l’improviste ou il veut, mais toujours en qualité d’Envoyé du Père et du Fils. Il introduit dans leur intimité en s’effaçant, mais en demeurant là comme le lien vivant qui nous unit à eux. Sa manière propre de parler et d’agir est de venir en Consolateur : de témoigner par la voix de notre conscience qu’il nous fait être enfants du Père. Il suscite notre espérance, il inspire nos prières et des désirs accordés à ceux de Dieu. Il murmure en nous le nom du Père tel un désir insoupçonné. Il est notre confiance en la gratuité de l’amour qui sur la Croix a traversé la mort et le péché du monde. Il est notre confiance en ce Dieu qui est Père de Jésus mort et Ressuscité, cette confiance capable d’ouvrir à la fraternité.
Tout cela est imperceptible, car il est aussi la discrétion personnifiée de sorte que son infinie liberté ne blesse jamais la nôtre. Seule l’attention à notre vie profonde nous permet de reconnaître les signes de son action en nous : tel témoignage de foi que nous n’aurions pas osé donner auparavant, la persévérance dans une prière apparemment infructueuse, un geste de sollicitude pour une personne que nous ne pouvons pas supporter, la constance dans une foi troublée par tant de doutes, la patience dans une souffrance qui nous a si longtemps révoltés, la lumière reçue au détour d’un texte de l’Ecriture jusqu’à présent incompréhensible, le plaisir pris à une rencontre que nous appréhendions, tout ce que nous n’étions pas et que nous sommes devenus capables de dire et de faire, ces manières inhabituelles de sentir et de vivre, cette nouveauté qui est en nous sans pouvoir en venir.
Voilà l’œuvre de l’Esprit ! Nous en éprouvons de l’étonnement, le sentiment d’être livrés à un autre en même temps que donnés à nous-mêmes. C’est le signe que l’Esprit Saint nous fait entrer dans le règne de la gratuité, de la liberté et de la nouveauté, de la paix, de la joie et de l’amour qui sont les fruits de son action.