Les deux textes de ce jour nous ouvrent au mystère de l’Eucharistie que nous célébrons aujourd’hui. Ces textes nous rappellent que Jésus lui-même a voulu pour nous prendre de simples choses, des nourritures ordinaires, du pain et du vin pour être le signe de son amour. Il prend le peu que nous lui apportons pour les transformer dans un don total de lui-même, son corps et son sang. Et il nous appelle à nous nourrir de ce don.
L’Église vit de l’Eucharistie, tel était le titre d’une des dernières encycliques de Jean-Paul II, cette affirmation n’exprime pas simplement une réalité sociologique, reconnaissant dans le rassemblement des chrétiens le lieu primordial de la vie ecclésiale. Il veut surtout nous inviter à percer le mystère de foi qui rassemble les chrétiens et qui est vécu et exprimé dans la célébration eucharistique. Il y a, nous dit-il, dans la célébration de l’Eucharistie comme une synthèse du cœur du mystère de l’église, spécialement par l’accueil quotidien de la présence du Seigneur à ses côtés pour faire vivre l’Église et l’envoyer en mission. Et dans son homélie de clôture des JMJ, Benoît XVI nous redisait que Jésus s’est fait pour nous pain pour soutenir et nourrir notre vie intérieure, et pour devenir union entre celui qui est reçu et celui qui reçoit.
L’Église vit de l’Eucharistie, car c’est par la vie de Jésus que nous sommes sauvés, et chacun de nous, nous sommes appelés à entrer dans cette vie eucharistique c’est-à-dire ce chemin de sainteté en mettant nos pas dans ceux de Jésus. L’Église vit de l’Eucharistie, car elle a prit naissance dans la vie de Jésus. La vie de Jésus est Eucharistie par l’offrande de lui-même qu’il fait au Père, toute sa vie étant action de grâces et accomplissement des œuvres de Dieu, accueil et réalisation de la volonté de son Père. C’est pourquoi l’Eucharistie est indissociable de la vie même de Jésus et spécialement de son mystère pascal. D’ailleurs l’institution de l’Eucharistie se réalise à la veille de l’offrande pascale, en ce Jeudi saint où il anticipe le don de son corps et de son sang par l’offrande du pain et du vin. Dans l’institution de l’Eucharistie au cénacle, Jésus rassemble tout le contenu des gestes des paroles qu’il va poser durant son triduum pascale, le contenu de l’Eucharistie condense et anticipe le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus.
Car si Jésus suit les rites d’Israël quant à la célébration d’un repas pascal, par la suite, le repas de Jésus au Jeudi saint apporte quelque chose de totalement nouveau. Car il ne rend pas simplement grâce à Dieu pour les bienfaits passés et spécialement la libération d’Égypte, il remercie pour sa propre exaltation à venir qui se réalisera dans le mystère de la croix. « Faisant du pain son corps et du vin son sang, nous dit Benoît XVI, Jésus anticipe sa mort, il l’accepte au plus profond de lui-même et la transforme en un acte d’amour. Ce qui de l’extérieur est une violence brutale devient de l’intérieur un acte d’amour qui se donne totalement. » Au-delà du processus de transformation du pain et du vin dans son corps et son sang, le Christ réalise la transformation de la violence inhumaine en don d’amour, puis la résurrection réalisera à la transformation de la mort en vie. Ce processus de transformation n’a été possible que parce que la personne de Jésus a voulu entrer dans le mystère d’amour de son Père et répondre par son amour à la violence qui lui a été faite. « Pour reprendre une image qui nous est familière, nous dit Benoît XVI, il s’agit d’une fission nucléaire portée au plus intime de l’être, la victoire de l’amour sur la haine, la victoire de l’amour sur la mort. Seule l’explosion intime du bien qui vainc le mal peut alors engendrer la chaîne des transformations qui, peu à peu, changeront le monde. » Transformer en nos cœurs toutes nos énergies de violence, de haine, de mort en acte d’amour, c’est cela la véritable révolution, la véritable libération de notre humanité.
Cette première transformation fondamentale de la violence en amour, de la mort en vie, entraîne à sa suite les autres transformations. Cependant, la transformation ne doit pas s’en arrêter là, c’est plutôt à ce point qu’elle doit commencer pleinement. Le Corps et le Sang du Christ nous sont donnés afin que, nous-mêmes, nous soyons transformés à notre tour. Nous-mêmes, nous devons devenir Corps du Christ, consanguins avec Lui. Tous mangent l’unique pain, mais cela signifie qu’entre nous nous devenions une seule chose. Dieu n’est plus seulement en face de nous, comme le Totalement autre. Il est au-dedans de nous, et nous sommes en Lui. Sa dynamique nous pénètre et, à partir de nous, elle veut se propager aux autres et s’étendre au monde entier, pour que son amour devienne réellement la mesure dominante du monde.
L’Eucharistie nous appelle donc à la conversion pour devenir ce que nous recevons, nous apportons nos 5 pains et nos 2 poissons, et nous nous engageons avec Jésus dans son offrande. Dans son homélie du samedi soir au JMJ, Benoît XVI nous offrait l’image des rois mages comme exemple de conversion. En effet lorsqu’ils arrivent à la crèche, « le cheminement extérieur de ses hommes se terminait, ils étaient parvenus à leur but, mais, à ce point, commence pour eux un nouveau cheminement. » Il s’était mis en route pour rechercher le nouveau roi des juifs, et maintenant il se prosterne devant un petit enfant pauvre. Ils sont donc amenés à changer leur idée sur le pouvoir, sur Dieu et sur l’homme. Désormais c’est eux-mêmes qui doivent devenir différents, « ils doivent apprendre le style de Dieu ». En se prosternant devant l’enfant et en lui offrant leurs dons, ils reconnaissent que la royauté de Dieu se manifeste dans le don faible d’un enfant. Leur cheminement se termine par un don qui exprime le don de leurs propres personnes et ils retournent par un autre chemin.
Nous aussi après chaque Eucharistie, nous devons revenir par un autre chemin. La nouveauté qui s’est produite à la Cène résidait dans la nouvelle profondeur que prenait l’ancienne prière de bénédiction d’Israël, qui devient alors la parole de la transformation et nous donne à nous de participer à l’heure du Christ. Jésus ne nous a pas donné la mission de répéter la Cène pascale dans un mimétisme historique, il nous a donné la mission d’entrer dans son “heure” par une actualisation sacramentelle. Cette heure, c’est l’heure de la confiance en la puissance de l’Amour divin capable d’absorber en quelque sorte la violence de la haine et de la mort. Nous ne devenons véritablement chrétien que lorsque dans notre vie, il nous est donné d’entrer dans cette heure du combat de la lumière et des ténèbres, et que, comme Jésus, nous demeurons dans une attitude d’offrande amoureuse. Notre vie devient ainsi eucharistique. L’heure de Jésus est l’heure où l’amour est vainqueur. L’heure de Jésus veut devenir notre heure et elle le deviendra, si nous-mêmes, nous nous laissons entraîner dans ce processus de transformations intérieure. En prenant appui sur la célébration de l’Eucharistie de Jésus, nous faisons de notre vie une Eucharistie.