Nous connaissons les grandes fêtes chrétiennes de Noël et de Pâques et nous les considérons, à juste titre, comme les fêtes principales de l’année liturgique. Ces fêtes nous rappellent le cœur de la foi chrétienne, les mystères du salut de la naissance de Jésus et de sa Passion-Résurrection. Et l’Évangile de ce jour nous décrit ce dessein de Dieu sur l’humanité : Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils unique, il l’a envoyé dans le monde non pas pour le juger, mais pour que par lui le monde soit sauvé. Au regard de ce mystère du salut, de Noël à Pâques et jusqu’à la Pentecôte, cette fête de la Sainte Trinité pourrait nous paraître marginale et accessoire. Que faudrait-il donc ajouter encore à cette œuvre accomplie par Jésus et que nous célébrons dans le cycle liturgique ? Oui, il n’y a rien à rajouter à l’œuvre de Jésus, Noël et Pâques nous disent tout ce qui est fait pour nous. Mais ils ne disent pas pourquoi Jésus l’a fait pour nous, et c’est ce que cette fête de la Sainte Trinité nous révèle : l’amour qui est à l’origine et au terme de toute vie.
Oui, c’est cet Amour entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint qui est la source et le sommet de la Foi chrétienne. Mais cela ne veut pas dire qu’il est facile de comprendre le mystère de la Trinité. Pour certains croire en Dieu est déjà difficile, ce n’est pas évident, alors croire en notre Dieu Trinité, c’est d’une certaine manière compliquer encore la Foi. Lors d’une session de préparation au mariage, un jeune fiancé me disait que s’il pouvait comprendre que Dieu était amour, mais la révélation de la Trinité lui semblait incompréhensible et même inutile. Il ne se rendait pas compte que son raisonnement contenait une contradiction. En effet, si Dieu est amour, c’est parce qu’il est Trinité, et cette révélation est au centre du message chrétien. Car si l’on entend que Dieu est amour en ce sens que Dieu agit à notre égard avec miséricorde, sollicitude, et tendresse, cela, le peuple d’Israël le savait déjà et le Coran ne le rejette pas non plus. Et dans ce cas, on peut dire seulement que Dieu nous aime, mais pas que Dieu est amour. Comme nous pouvons dire de chacun de nous que nous aimons telle ou telle personne ou chose, mais cela ne nous permet pas de dire que nous sommes amour.
Or la révélation du nouveau testament va jusqu’à dire que Dieu est amour. La révélation chrétienne porte sur la vie intime de Dieu, sur son être, et non sur son simple agir ou sentiment. Le Seigneur s’est révélé auprès des hommes par sa sollicitude pour nous, par ces intentions bienveillantes auprès des hommes. Mais avec Jésus-Christ, nous allons au-delà de la simple compréhension de la manifestation de l’amour de Dieu. Nous comprenons que non seulement Dieu agissait avec amour et par amour, mais qu’il était l’amour même. Avec Jésus, Dieu s’est révélé comme communion d’amour entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint. Et les trois Personnes sont solidairement impliquées dans le mystère de notre salut : l’initiative vient du Père qui envoie son Fils, et c’est vers le Père que Jésus conduit l’humanité réconciliée, sous la conduite de l’Esprit.
Si l’on peut dire que Dieu est par essence l’amour, c’est parce que nous croyons qu’il n’est pas solitaire. En effet, il n’y a d’amour que s’il y a une personne qui aime et une personne aimée. Si je suis seul, si je n’aime rien ni personne, à la rigueur je peux avoir un désir d’aimer, mais je ne peux pas dire que j’aime. Je ne peux dire que j’aime que s’il y a une personne ou un objet vers lequel mon amour s’oriente. Or dire que Dieu est amour, c’est donc dire qu’en lui-même, et indépendamment de la création, il y a en lui une possibilité d’échange, de relations. Dire que Dieu est amour, c’est dire qu’il y a en lui-même une personne qui aime et une personne aimée. Car l’amour n’existe pas en théorie, ni de manière abstraite, il n’existe que dans la réalité d’une relation.
C’est pourquoi la révélation de la Trinité va de pair avec la révélation de l’être de Dieu comme amour, et, pour nous, les hommes, la Trinité nous révèle notre propre vocation à l’amour. En effet, la Trinité nous offre un formidable enseignement de vie. Ce mystère est l’affirmation par excellence que nous pouvons être en communion, semblables et divers, semblables de par notre dignité et divers de par nos caractéristiques. N’est-ce pas ce que nous avons le plus besoin d’apprendre, pour bien vivre dans ce monde ? C’est-à-dire que nous pouvons être divers de par la couleur de notre peau, notre culture, notre sexe, notre race, notre religion, mais que nous jouissons de la même dignité, comme personnes humaines.
C’est dans la famille et le couple que cet enseignement s’applique d’abord et le plus naturellement. La famille devrait être un reflet terrestre de la Trinité. Celle-ci est faite de personnes diverses de par leur sexe (homme et femme) et leur âge (parents et enfants), avec toutes les conséquences qui dérivent de ces diversités : des sentiments différents, des attitudes et des goûts différents. Le succès d’un mariage et d’une famille, comme d’une communauté religieuse, dépend de la capacité de cette diversité à tendre vers une unité supérieure : unité d’amour, d’intentions, de collaboration.
Il n’est pas vrai que dans un couple l’homme et la femme doivent nécessairement avoir le même tempérament et les mêmes dons ; qu’ils doivent, tous deux, être joyeux, vivaces, extrovertis et instinctifs, ou tous deux introvertis, calmes, et réfléchis. Le mari et la femme ne doivent pas être une « douce moitié » de l’autre, dans le sens de deux moitiés parfaitement égales, comme une pomme coupée en deux, dans le sens que chacun est la moitié manquante de l’autre et le complément de l’autre. Tout cela suppose l’effort d’accepter la diversité de l’autre, ce qui est la chose la plus difficile pour nous et que seuls les plus mûrs, spirituellement et psychologiquement, réussissent à faire.
Cette révélation du Dieu Trinité est donc capitale, car c’est elle qui permet à l’être humain de se comprendre lui-même. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme se comprend d’abord comme fruit de l’amour divin. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme se découvre ensuite fondamentalement comme un être de relations et de communion. Tout homme découvre en lui ce désir d’aimer et d’être aimé, désir qu’il ne se réalisera pleinement qu’en entrant dans un mouvement de don de soi et d’accueil de l’autre.
Nous pouvons ainsi comprendre que le mystère de la Sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Central pour la foi, car si nous pouvons dire que Dieu est amour, c’est parce qu’il est communion, c’est parce qu’il est Trinité. Central pour la vie chrétienne, car la réalisation de notre vocation consiste à participer pleinement à ce mystère de communion, de don de soi et d’accueil de l’autre.
Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.