Nous ne sommes pas des moutons et l’instinct grégaire nous répugne - ce qui ne veut pas dire que nous échappons à tout grégarisme, que ce soit dans notre société, nos maisons ou notre Eglise ! Et voilà que, comme tous les ans, au cœur du Temps pascal, nous fêtons le Bon Pasteur, en retrouvant le psaume 22 « Le Seigneur est mon berger » et le chapitre 10 de saint Jean, qui évoque « berger », « brebis », « bergerie » et « pâturage ».
Nous avons pourtant là une image incontournable qui traverse toute la Bible, qu’assume Jésus (« je suis le bon berger » dit-il juste à la suite de notre évangile) et que reprennent l’Eglise et la tradition chrétienne, non seulement les protestants qui ont des pasteurs mais aussi l’Eglise catholique qui désigne avec ce terme, par delà une taxinomie théologique et canonique complexe, évêques, curés, père-abbés, voire prieurs. Cela est tellement vital qu’en ce jour, nous prions pour les vocations. Croire en un Dieu Berger, confesser Jésus Bon Pasteur et prier pour les vocations dans l’Eglise, reprenons ces trois niveaux.
« Berger d’Israël, écoute ! » Dieu est souvent ainsi invoqué dans l’Ecriture. Israël a en effet fait l’expérience d’avoir été conduit dans son histoire, c’est-à-dire libéré de Pharaon, c’est-à-dire d’avoir traversé les épreuves du désert, c’est-à-dire d’avoir reçu la manne, l’eau et la Terre promise. Les prophètes ont exprimé ces attitudes divines en filant la métaphore du berger. « Comme un berger, il fait paître son troupeau ; de son bras, il rassemble ; il porte sur son sein les agnelets, procure de la fraîcheur aux brebis qui allaitent » dit par exemple Isaïe. Les psaumes, cette concrétion de la vie d’Israël à travers la réflexion de ses sages et l’expérience de ses priants, le redisent à leur manière.
Le psaume 22 en est comme l’emblème. Il nous invite à croire aujourd’hui au « Dieu berger » de toute humanité. Il y a là expérience personnelle. « Le Seigneur me conduit par le juste chemin », non certes que je n’ai pas à vouloir ni à choisir ; « je ne manque de rien », non certes que je sois préservé de toute faim, de tout échec et de la mort. C’est un cri de la foi, qui se dit tête retournée quand l’épreuve est traversée, ou tête baissée au creux de la nuit, sachant que malgré tout - et dans ce tout il peut y avoir beaucoup de choses - « Dieu pourvoit ».
Présence, consolation, force reçue, sens qui s’éclaire, c’est ainsi que le Seigneur nous conduit. Le psaume 22 présente également Dieu comme celui qui « prépare la table pour moi ». Etre l’hôte de Dieu : c’est bien le sens de nos eucharisties et de toute expérience de prière. Dieu nous invite, nous devance… et si notre difficulté spirituelle était de se laisser accueillir, pauvrement, simplement, sans avoir rien d’autre à offrir que cela ? Il y a là aussi expérience communautaire. Croire au Dieu Berger, c’est croire que nous ne sommes pas solitaires mais en cordée, parfois portés parfois porteurs, supportés ou supporteurs les uns des autres ! Faire partie du troupeau n’est pas grégarisme mais consentement humble d’être en marche avec d’autres.
Deuxième niveau, dans le Nouveau Testament et au-delà des représentations un peu mièvres qui émoussent la force de l’image, Jésus est le bon berger qui cherche la brebis perdue au-delà de toute raison (qui d’entre nous miserait sur du 1 % ?), qui donne sa vie pour elle et ouvre le chemin du don : « que le troupeau parvienne là où son Pasteur est entré victorieux » demandions-nous au début de cette eucharistie. Croire au Bon Pasteur, c’est confesser la victoire pascale, dans le paradoxe de la vie plus forte que la mort. Relevons dans notre évangile deux attitudes qui précisent notre relation au Bon Pasteur : écouter et passer.
D’une part, il est question de voix. Il s’agit là d’une expérience spirituelle : reconnaître la voix du Seigneur, même au milieu de voix parasites, et pouvoir s’écrier « C’est le Seigneur ! » Cela se nourrit dans l’écoute de la Parole de Dieu croisée avec la relecture croyante de notre vie. Cela s’enracine souvent dans des expériences fondatrices auxquelles les écoutes ultérieures se réfèrent. Ces expériences fondatrices nous révèlent à nous-mêmes et nous font goûter de manière inoubliable la présence du Seigneur. Elles sont souvent liées à la découverte de notre identité profonde, de notre vocation. Ce fut l’expérience originelle du christianisme : - « Marie » dit-il - « Rabouni » dit-elle en se retournant, car sa voix appelle notre voix. Ce fut, par la suite, l’expérience de tous ceux qui ont été mis en route, retournés, attirés dans une vie donnée au Seigneur.
D’autre part, l’image de la Porte permet de donner sens à l’homophonie « pasteur » / « passeur ». La Porte est, là encore, une image très biblique : porte étroite, porte sainte, porte verrouillée, Jésus qui est lui-même la porte. Jésus nous fait passer et en même temps, il nous faut passer par Jésus, c’est-à-dire le rencontrer dans la Parole de Dieu, dans les sacrements, dans nos frères, chez les petits et emprunter son chemin : « où que tu ailles, il me faut aller ; où que, tu passes, il me faut passer » s’écrie Thérèse…
Troisième niveau, l’Eglise, tout à la fois bergerie, brebis et bergère, assume pour elle-même l’image pastorale. Il y a un unique berger, le Christ, et nous avons tous un rôle de passeur. Dans l’articulation des deux, les pasteurs ont un rôle de médiation, d’orientation et de stimulation. Le mystère de l’Incarnation va jusque là, pour que soit donnée à tous, en tout lieu et tout temps, la vie en abondance, au risque du scandale toujours possible de l’imposture ou du contre-témoignage…
Prions pour les pasteurs, prions pour les vocations, avec audace et inventivité, sans négligence mais sans inquiétude. Pour cela, rendons grâce à Dieu pour notre propre vocation : vivons la pleinement, où que nous soyons. « Le devoir de cultiver les vocations revient à la communauté chrétienne tout entière, qui s’en acquitte avant tout par une vie pleinement chrétienne » disait le dernier Concile. Que la vie en plénitude, promise par Jésus et que nous goûtons déjà, nous entraîne à sa suite, pour notre bonheur, c’est-à-dire avec tous nos frères en humanité !
Amen
Fr. Guillaume Dehorter, ocd