Texte du 8 Septembre 1896 adressé à Sœur Marie du Sacré-Cœur le 13 septembre
I - Un rêve dans la nuit de la foi !
O Jésus, mon Bien-Aimé ! Qui pourra dire avec quelle tendresse, quelle douceur, vous conduisez ma petite âme ? Comment il vous plaît de faire luire le rayon de votre grâce au milieu même du plus sombre orage !… Hélas, l’orage grondait bien fort dans mon âme depuis la belle fête de votre triomphe, la radieuse fête de Pâques, lorsqu’un samedi du moi de mai, pensant aux songes mystérieux qui sont parfois accordés à certaines âmes, je me disais que ce devrait être une bien douce consolation, cependant je ne la demandais pas. Le soir, considérant les nuages qui couvraient son ciel, ma petite âme se disait encore que les beaux rêves n’étaient pas pour elle, et sous l’orage elle s’endormit. Le lendemain était le 10 mai, le deuxième DIMANCHE du mois de Marie, peut-être l’anniversaire du jour où la Sainte Vierge daigna sourire à sa petite fleur…
Aux premières lueurs de l’aurore, je me trouvai (en rêve) dans une sorte de galerie, il y avait plusieurs autres personnes, mais éloignées. Notre Mère seule était auprès de moi, tout à coup sans avoir vu comment elles étaient entrées, j’aperçus trois carmélites revêtues de leurs manteaux et grands voiles, il me sembla qu’elles venaient pour notre Mère, mais ce que je compris clairement, c’est qu’elles venaient du Ciel. Au fond de mon cœur, je m’écriai Ah ! que je serais heureuse de voir le visage d’une de ces carmélites ! Alors comme si ma prière avait été entendue par elle, la plus grande des saintes s’avança vers moi ; aussitôt je tombai à genoux. Oh ! bonheur ! la Carmélite leva son voile ou plutôt le souleva et m’en couvrit… sans aucune hésitation, je reconnus la vénérable Mère Anne de Jésus, la fondatrice du Carmel en France. Son visage était beau, d’une beauté immatérielle, aucun rayon ne s’en échappait et cependant malgré le voile qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais son céleste visage éclairé d’une lumière ineffablement douce, lumière qu’il ne recevait pas mais qu’il produisait de lui-même…
Je ne saurais redire l’allégresse de mon âme, ces choses se sentent et ne peuvent s’exprimer… Plusieurs mois se sont écoulés depuis ce doux rêve, cependant le souvenir qu’il laisse à mon âme n’a rien perdit de sa fraîcheur, de ses charmes célestes… Je vois encore le regard et le sourire pleins d’amour de la Vénérable Mère. Je crois sentir encore les caresses dont elle me combla…
Me voyant si tendrement aimée, j’osai prononcer ces paroles : « O ma Mère ! je vous en supplie, dites-moi si le Bon Dieu me laissera longtemps sur la terre… Viendra-t-il bientôt me chercher ?… »
Souriant avec tendresse, la sainte murmura : « Oui bientôt, bientôt… Je vous le promets. » « Ma Mère, ajoutai-je, dites-moi encore si le Bon Dieu ne me demande pas quelque chose [2v°] de plus que mes pauvres petites actions et mes désirs. Est-il content de moi ? » La figure de la Sainte prit une expression incomparablement plus tendre que la première fois qu’elle me parla. Son regard et ses caresses étaient la plus douce des réponses. Cependant elle me dit : « Le Bon Dieu ne demande rien autre chose de vous. Il est content, très content !… » Après m’avoir encore caressée avec plus d’amour que ne l’a jamais fait pour son enfant la plus tendre des mères, je la vis s’éloigner… Mon cœur était dans la joie, mais je me souvins de mes sœurs, et je voulus demander quelques grâces pour elles, hélas !… je m’éveillai !…
O Jésus ! l’orage alors ne grondait pas, le ciel était calme et serein.., je croyais, je sentais qu’il y a un Ciel et que ce Ciel est peuplé d’âmes qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant… Cette impression reste dans mon cœur d’autant mieux que la Vénérable Mère Anne de Jésus m’avait été jusqu’alors absolument indifférente, je ne l’avais jamais invoquée et sa pensée ne me venait à l’esprit qu’en entendant parler d’elle, ce qui était rare. Aussi lorsque j’ai compris à quel point elle m’aimait, combien je lui étais peu indifférente, mon cœur s’est fondu d’amour et de reconnaissance, non seulement pour la Sainte qui m’avait visitée, mais encore pour tous les Bienheureux habitants du Ciel…
II - La vocation de l’amour (2 v°-3 v°)
1) Des désirs qui touchent à l’infini
O mon Bien-Aimé ! cette grâce n’était que le prélude de grâces plus grandes dont tu voulais me combler ; laisse-moi, mon unique Amour, te les rappeler aujourd’hui… aujourd’hui, le sixième anniversaire de notre union… Ah ! pardonne-moi Jésus, si je déraisonne en voulant redire mes désirs, mes espérances qui touchent à l’infini, pardonne-moi et guéris mon âme en lui donnant ce qu’elle espère !!!
Être ton épouse, ô Jésus, être carmélite, être par mon union avec toi la mère des âmes, cela devrait me suffire… il n’en est pas ainsi… Sans doute, ces trois privilèges sont bien ma vocation, Carmélite, Épouse et Mère, cependant je sens en moi d’autres vocations je me sens la vocation de GUERRIER, de PRÊTRE, D’APÔTRE, de DOCTEUR, de MARTYR ; enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus, toutes les œuvres les plus héroïques… Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Église…
Je sens en moi la vocation de PRÊTRE ; avec quel amour, ô Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque, à ma voix, tu descendrais du Ciel… Avec quel amour je te donnerais aux âmes !… Mais hélas ! tout en désirant d’être Prêtre, j’admire et j’envie l’humilité de Saint François d’Assise et je me sens la vocation de l’imiter en refusant la sublime dignité du Sacerdoce.
O Jésus ! mon amour, ma vie… comment allier ces contrastes ? [3r°] Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme ?…
Ah ! malgré ma petitesse, je voudrais éclairer les âmes comme les Prophètes, les Docteurs, j’ai la vocation d’être Apôtre… je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Évangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées… Is 66,19 Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles… Mais je voudrais par-dessus tout, ô mon Bien-Aimé Sauveur, je voudrais verser mon sang pour toi jusqu’à la dernière goutte…
Le Martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi avec moi sous les cloîtres du Carmel… Mais là encore, je sens que mon rêve est une folie, car je ne saurais me borner à désirer un genre de martyre… Pour me satisfaire, il me les faudrait tous… Comme toi, mon époux Adoré, je voudrais être flagellée et crucifiée… Je voudrais mourir dépouillée comme Saint Barthélémy… Comme Saint Jean, je voudrais être plongée dans l’huile bouillante, je voudrais subir tous les supplices infligés aux martyrs… Avec Sainte Agnès et Sainte Cécile, je voudrais présenter mon cou au glaive et comme Jeanne d’Arc, ma sœur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer ton nom, ô JÉSUS… En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens au temps de l’Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir et je voudrais que ces tourments me soient réservés… Jésus, Jésus, si je voulais écrire tous mes désirs, il me faudrait emprunter ton livre de vie, Ap 20,12 là sont rapportées les actions de tous les Saints et ces actions, je voudrais les avoir accomplies pour toi…
2) Reconnaissance de son impuissance
O mon Jésus ! à toutes mes folies que vas-tu répondre ?… Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que la mienne !…
a) Confiance en Jésus : Thérèse exaucée en raison de sa faiblesse
Cependant à cause même de ma faiblesse, tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres désirs plus grands que l’univers…
b) Recherche active et découverte
A l’oraison mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de Saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux… J’y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc… que l’Église est composée de différents membres et que l’œil ne saurait être en même temps la main… 1Co 12,21 ; 1Co 12,29
La réponse était claire mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas la paix… Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide Jn 20,11-18 finit par trouver [3v°] (Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide finit par trouver)… ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but. Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : « Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente. » Jn 20,11-18 Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR… Que la Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement à Dieu. Enfin j’avais trouvé le repos… Considérant le corps mystique de l’Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par Saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous… La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, 1Co 13,1-3 le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était BRULANT d’AMOUR. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX … EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL !…
Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’EST L’AMOUR !… Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’AMOUR… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé !… 1Co 13,1-4
Pourquoi parler d’une joie délirante ? non, cette expression n’est pas juste, c’est plutôt la paix calme et sereine du navigateur apercevant le phare qui doit le conduire au port… O Phare lumineux de l’amour, je sais comment arriver jusqu’à toi, j’ai trouvé le secret de m’approprier ta flamme.
c) Abandon à l’Amour : acte d’offrande
Je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus ! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu Fort et Puissant. Pour satisfaire la Justice Divine, il fallait des victimes parfaites, mais à la loi de crainte a succédé la loi d’Amour, et l’Amour m’a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature… Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ?… Oui, pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’Il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant…
3) Mise en œuvre pour l’église (4 r°-v°)
[4r°] O Jésus, je le sais, l’amour ne se paie que par l’amour, aussi j’ai cherché, j’ai trouvé le moyen de soulager mon cœur en te rendant Amour pour Amour. « Employez les richesses qui rendent injustes à vous faire des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels. » Lc 16,9 Voilà, Seigneur le conseil que tu donnes à tes disciples après leur avoir dit que « Les enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires que les enfants de lumière. » Lc 16,8 Enfant de lumière, j’ai compris que mes désirs d’être tout, d’embrasser toutes les vocations, étaient des richesses qui pourraient bien me rendre injuste, alors je m’en suis servie à me faire des amis… Me souvenant de la prière d’Élisée à son Père Élie, lorsqu’il osa lui demander SON DOUBLE ESPRIT, je me suis présentée devant les Anges et les Saints, et je leur ai dit : « Je suis la plus petite des créatures, je connais ma misère et ma faiblesse, mais je sais aussi combien les cœurs nobles et généreux aiment à faire du bien, je vous supplie donc, ô Bienheureux habitants du Ciel, je vous supplie de M’ADOPTER POUR ENFANT, à vous seuls sera la gloire que vous me ferez acquérir mais daignez exaucer ma prière, elle est téméraire, je le sais, cependant j’ose vous demander de m’obtenir : VOTRE DOUBLE AMOUR. » 2R 2,9 ; Ap 8,3
Jésus, je ne puis approfondir ma demande, je craindrais de me trouver accablée sous le poids de mes désirs audacieux… Mon excuse, c’est que je suis une enfant, les enfants ne réfléchissent pas à la portée de leurs paroles, cependant leurs parents, lorsqu’ils sont placés sur le trône, qu’ils possèdent d’immenses trésors, n’hésitent pas à contenter les désirs des petits êtres qu’ils chérissent autant qu’eux-mêmes ; pour leur faire plaisir, ils font des folies, ils vont jusqu’à la faiblesse… Eh bien ! moi je suis l’Enfant de l’Église, et l’Église est Reine puisqu’elle est ton épouse, ô Divin Roi des Rois… Ce ne sont pas les richesses et la Gloire, (même la Gloire du Ciel) que réclame le cœur du petit enfant… La gloire, il comprend qu’elle appartient de droit à ses Frères, les Anges et les Saints… Sa gloire à lui sera le reflet de celle qui jaillira du front de sa Mère. Ce qu’il demande c’est l’Amour… Il ne sait plus qu’une chose, t’aimer, ô Jésus… Les œuvres éclatantes lui sont interdites, il ne peut prêcher l’Évangile, verser son sang… mais qu’importe, ses frères travaillent à sa place, et lui, petit enfant, il se tient tout près du trône Ap 14,3 du Roi et de la Reine, il aime pour ses frères qui combattent… Mais comment témoignera-t-il son Amour, puisque l’Amour se prouve par les œuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des fleurs, il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera de sa voix argentine le cantique de l’Amour…
Oui mon Bien-Aimé, voilà comment se consumera ma vie… Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, [4v°] aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par amour… Je veux souffrir par amour et même jouir par amour, ainsi je jetterai des fleurs devant ton trône ; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller pour toi… puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (pourrait-on pleurer en faisant une aussi joyeuse action ?) je chanterai, même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus mélodieux que les épines seront longues et piquantes.
Jésus, à quoi te serviront mes fleurs et mes chants ?… Ah ! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces pétales fragiles et sans aucune valeur, ces chants d’amour du plus petit des cœurs te charmeront, oui, ces riens te feront plaisir, ils feront sourire l’Église Triomphante, elle recueillera mes fleurs effeuillées par amour et les faisant passer par tes Divines Mains, ô Jésus, cette Église du Ciel, voulant jouer avec son petit enfant, jettera, elle aussi, ces fleurs ayant acquis par ton attouchement divin une valeur infinie, elle les jettera sur l’Eglise souffrante afin d’en éteindre les flammes, elle les jettera sur l’Église combattante afin de lui faire remporter la victoire !…
O mon Jésus ! je t’aime, j’aime l’Église ma Mère, je me souviens que : « Le plus petit mouvement de PUR AMOUR lui est plus utile que toutes les autres œuvres réunies ensemble » mais le PUR AMOUR est-il bien dans mon cœur… Mes immenses désirs ne sont-ils pas un rêve, une folie ?… Ah ! s’il en est ainsi, Jésus, éclaire-moi, tu le sais, je cherche la vérité… si mes désirs sont téméraires, fais-les disparaître car ces désirs sont pour moi le plus grand des martyres… Cependant je le sais, ô Jésus, après avoir aspiré vers les régions les plus élevées de l’Amour, s’il me faut ne pas les atteindre un jour j’aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma folie, que je n’en goûterai au sein des joies de la patrie, à moins que par un miracle tu ne m’enlèves le souvenir de mes espérances terrestres. Alors laisse-moi jouir pendant mon exil des délices de l’amour… Laisse-moi savourer les douces amertumes de mon martyre…
Jésus, Jésus, s’il est si délicieux le désir de t’Aimer qu’est-ce donc de posséder, de jouir de l’Amour ?…
III - La petite voie et la folie de l’Amour (4v°-5v°)
1) La petite voie appliquée à la vocation de l’Amour
Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à posséder la plénitude de l’Amour ?… O Jésus ! mon premier, mon seul Ami, toi que j’aime uniquement, dis-moi quel est ce mystère ? Pourquoi ne réserves-tu pas ces immenses aspirations aux grandes âmes, aux Aigles qui planent dans les hauteurs ?… Moi je me considère comme un faible petit oiseau couvert seulement d’un léger duvet ; je ne suis pas un aigle, j’en ai simplement les yeux et le cœur car malgré ma petitesse extrême j’ose fixer le Soleil Divin, le Soleil de l’Amour et mon cœur sent en lui toutes [5r°] les aspirations de l’Aigle … Le petit oiseau voudrait voler vers ce brillant Soleil qui charme ses yeux, il voudrait imiter les Aigles ses frères qu’il voit s’élever jusqu’au foyer Divin de la Trinité Sainte… Hélas ! tout ce qu’il peut faire, c’est de soulever ses petites ailes, mais s’envoler, cela n’est pas en son petit pouvoir ! Que va-t-il devenir ! mourir de chagrin se voyant aussi impuissant ?… Oh non ! le petit oiseau ne va même pas s’affliger. Avec un audacieux abandon, il veut rester à fixer son divin Soleil ;
2) Croire dans la nuit de la foi
Rien ne saurait l’effrayer, ni le vent ni la pluie, et si de sombres nuages viennent à cacher l’Astre d’Amour, le petit oiseau ne change pas de place, il sait que par delà les nuages son Soleil brille toujours, que son éclat ne saurait s’éclipser un instant. Parfois, il est vrai, le cœur du petit oiseau se trouve assailli par la tempête, il lui semble ne pas croire qu’il existe autre chose que les nuages qui l’enveloppent ; c’est alors le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible. Quel bonheur pour lui de rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à sa foi !!!…
3 ) Faire confiance envers et contre tout
a) malgré les distractions
Jésus, jusqu’à présent, je comprends ton amour pour le petit oiseau, puisqu’il ne s’éloigne pas de toi… mais je le sais et tu le sais aussi, souvent, l’imparfaite petite créature tout en restant à sa place (c’est-à-dire sous les rayons du Soleil), se laisse un peu distraire de son unique occupation, elle prend une petite graine à droite et à gauche, court après un petit ver… puis rencontrant une petite flaque d’eau elle mouille ses plumes à peine formées, elle voit une fleur qui lui plaît, alors son petit esprit s’occupe de cette fleur… enfin ne pouvant planer comme les aigles, le pauvre petit oiseau s’occupe encore des bagatelles de la terre. Cependant après tout ces méfaits, au lieu d’aller se cacher au loin pour pleurer sa misère et mourir de repentir, le petit oiseau se tourne vers son Bien-Aimé Soleil, il présente à ses rayons bienfaisants ses petites ailes mouillées, il gémit comme l’hirondelle et dans son doux chant il confie, il raconte en détail ses infidélités, pensant dans son téméraire abandon acquérir ainsi plus d’empire, attirer plus pleinement l’amour de Celui qui n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs… Si l’Astre Adoré demeure sourd aux gazouillements plaintifs de sa petite créature, s’il reste voilé…eh bien ! la petite créature reste mouillée, elle accepte d’être transie de froid et se réjouit encore de cette souffrance qu’elle a cependant méritée…
b) Malgré le sommeil
O Jésus ! Que ton petit oiseau est heureux d’être faible et petit, que deviendrait-il s’il était grand ?… Jamais il n’aurait l’audace de paraître en ta présence, de sommeiller devant toi… Oui, c’est là encore une faiblesse du petit oiseau lorsqu’il veut fixer le Divin Soleil et que les nuages l’empêchent de voir un seul rayon, malgré lui ses petits yeux se ferment, sa petite tête se cache sous sa petite aile et le pauvre petit être s’endort, croyant toujours fixer son Astre Chéri. A son réveil, il ne se désole pas, son petit cœur reste en paix, il recommence son office d’amour, il invoque les Anges et les Saints qui s’élèvent comme des Aigles vers le Foyer dévorant, objet de son envie.
c) Malgré les angoisses
[5v°] et les Aigles prenant en pitié leur petit frère, le protègent, le défendent et mettent en fuite les vautours qui voudraient le dévorer. Les vautours, images des démons, le petit oiseau ne les craint pas, il n’est pas destiné à devenir leur proie ,mais celle de l’Aigle qu’il contemple au centre du Soleil d’Amour. »
4) Le fondement eucharistique de la petite voie
O Verbe Divin, c’est toi l’Aigle adoré que j’aime et qui m’attires ! C’est toi qui t’élançant vers la terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin d’attirer les âmes jusqu’au sein de l’Éternel Foyer de la Trinité Bienheureuse, c’est toi qui remontant vers l’inaccessible Lumière qui sera désormais ton séjour, c’est toi qui restes encore dans la vallée des larmes, caché sous l’apparence d’une blanche hostie… Aigle Éternel, tu veux me nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant… O Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à la folie… Comment veux-tu devant cette Folie, que mon cœur ne s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance aurait-elle des bornes ?… Ah ! pour toi, je le sais, les Saints ont fait des folies, ils ont fait de grandes choses puisqu’ils étaient des aigles…
Jésus, je suis trop petite pour faire de grandes choses… et ma folie à moi, c’est d’espérer que ton Amour m’accepte comme victime… Ma folie consiste à supplier les Aigles mes frères, de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour avec les propres ailes de l’Aigle Divin…
Aussi longtemps que tu le voudras, ô mon Bien-Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes, toujours il demeurera les yeux fixés sur toi, il veut être fasciné par ton regard divin, il veut devenir la proie de ton Amour… Un jour, j’en ai l’espoir, Aigle Adoré, tu viendras chercher ton petit oiseau, et remontant avec lui au Foyer de l’Amour, tu le plongeras pour l’éternité dans le brûlant Abîme de Cet Amour auquel il s’est offert en victime…
5) La fécondité missionnaire de la petite voie
O Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. Mais pourquoi désirer communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce pas toi seul qui me les a enseignés et ne peux-tu pas les révéler à d’autres ?… Oui, je le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes… je te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de ton amour.