Un étrange miracle (Homélie 23° dim. TO)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Is 35,4-7 ; Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10 ; Jc 2, 1-5 ; Mc 7, 31-37

Certes, Dieu a bien fait toutes choses, comme l’affirment les témoins de ce miracle de Jésus. Pourtant, avouons qu’il y a quelque chose d’étrange dans cette guérison pour notre regard du XXIe siècle. Déjà, on peut se demander si Jésus aurait pu réaliser ce miracle aujourd’hui  : mettre de sa salive sur la langue d’une autre personne est plus que suspect et en tout cas ne franchit pas la ligne rouge des normes sanitaires ! Il en est de même pour le fait de mettre ses doigts dans les oreilles d’autrui. L’hygiène a en effet bien changé. Ces gestes intimes voire intrusifs sont d’autant plus étonnants que nous savons que le Christ n’a pas besoin de telles démonstrations pour opérer une guérison. Le passage qui précède le nôtre dans l’évangile de Marc évoque la guérison de la fille d’une syro-phénicienne par la seule parole de Jésus. Il suffit que Jésus parle et le miracle advient. Pourquoi donc Jésus prend-il autant de temps et de manières pour faire cette guérison ? La demande des gens qui lui apportent cet infirme n’est d’ailleurs qu’une simple imposition des mains en vue d’une guérison.

La première lecture nous met sur une piste à travers l’oracle d’Isaïe : les guérisons de Jésus ne sont pas de simples actes spectaculaires. Elles ne prennent sens qu’en relation avec l’attente d’un peuple. La guérison des sourds et des muets est un signe messianique  : elle atteste que la fin des temps est advenue et donc que celui qui accomplit de tels gestes vient de Dieu et pourrait être le messie. « Voici votre Dieu !  » En Jésus de Nazareth, c’est bien le Dieu d’Israël qui vient nous visiter et nous sauver. Il est donc normal que Jésus prenne le temps d’opérer de telles guérisons qui ne sont donc pas de simples miracles mais bien des signes, selon l’expression propre à saint Jean. Le Christ accomplit bien les paroles des prophètes.

Mais il accomplit également toute la Torah, la loi de Dieu contenue dans les premiers livres de la Bible. En particulier, cet épisode de guérison nous renvoie aux tous premiers chapitres de la Genèse. Le soin apporté par Jésus envers cet infirme nous éveille l’attention : il le prend à part, loin de la foule ; il met ses doigts dans ses oreilles et sa salive sur sa langue. C’est comme si Jésus voulait toucher, visiter toute l’humanité de cette homme, en commençant par ses sens : l’ouïe, le goût, le toucher ; la vue et l’odorat étant également sollicités dans cette scène intime. Le Christ vient remodeler l’humain, comme Dieu l’avait fait en façonnant Adam à partir de la glaise. Il ressaisit sa création en revisitant tout ce qui, en elle, est tordu par le mal et le péché ; en soupirant, les yeux levés vers son Père des cieux, Jésus insuffle de nouveau l’haleine de vie (Gn 2,7). Nous comprenons donc que cette guérison est le signe d’une nouvelle création humaine. Dieu vient créer de nouveau l’humanité endommagée par le mal : il l’équipe de nouveau pour la vie.

Cette interprétation se retrouve dans le rituel du baptême des petits enfants qui cite la parole de Jésus en araméen ‘Effata’ pour signifier la délivrance du mal de l’enfant. Le ministre du baptême prononce ses paroles après avoir touché les oreilles et la bouche de l’enfant : « Effata (c’est-à-dire) Ouvre-toi ! Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets : qu’il te donne d’écouter sa parole, et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père. » Le baptême est bien cette nouvelle création, cette nouvelle naissance qui reconfigure totalement notre humanité. Et ce qui est particulièrement neuf, c’est l’ouverture de nos oreilles et de notre bouche. Jésus guérit ainsi à la fois notre capacité d’écoute mais aussi notre capacité de parler, toutes deux blessées par le péché.

Car oui, notre écoute est sélective : nous n’écoutons essentiellement que ce qui nous plaît ou nous intéresse et nous faisons la sourde oreille à ce qui nous froisse ou nous dérange. Nous n’écoutons pas vraiment la parole que Dieu nous adresse et l’Esprit Saint doit venir nous ouvrir de l’intérieur pour faire de nous des disciples. La première mission du disciple est d’écouter la parole de Dieu jusqu’au bout, que cela lui plaise ou non. Et nous avons besoin pour cela de force ; car sinon, c’est la peur qui s’empare de nous et nous nous replions sur elle. Nous nous refermons en nous-mêmes. Mais le Seigneur nous demande de ne pas fermer notre cœur : Effata, ouvre-toi. Ouvre ton cœur, ouvre ton oreille à la parole de vie qui te libère de tes prisons et de tes murs. Il faut que les doigts de Jésus transpercent délicatement toutes nos murailles intérieures pour que notre cœur s’ouvre.

Et alors, de disciples, nous pouvons devenir missionnaires, par la guérison de notre bouche : nous sommes rendus capables de dire les merveilles de Dieu dans notre vie. Notre langue ne nous est pas donnée pour la médisance, le jugement ou la calomnie mais pour la louange et la proclamation de la Parole de Dieu. Cette parole entrée par l’ouverture de nos oreilles puis intériorisée doit ressortir par notre bouche en action de grâces et en témoignage. Si notre humanité a été transformée par Jésus à travers les sacrements qui touchent notre corps et nos sens, c’est pour que toute notre humanité soit transfigurée et lumineuse de la lumière de Dieu. L’ouverture de nos sens laisse passer la lumière du Christ dans nos humanités. Voilà pourquoi, notre foi doit être bien incarnée et passer par notre corps.

Prenons le temps dans cette eucharistie d’accueillir le Seigneur avec nos oreilles et notre bouche : notre oreille s’ouvre pour entendre la parole de vie ; notre bouche s’ouvre pour accueillir le pain de vie et le sang de l’alliance. Que cette expérience corporelle, charnelle fasse descendre notre foi de la tête au corps, de la tête au cœur. Et qu’ainsi, nous soyons tous vraiment des disciples-missionnaires. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau , ocd - (Couvent d’Avon)
LE PAQUIER, jardin2
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