Vie de sainte Mère Maria Maravillas de Jésus (1891-1974) par Soeur Mirjam o.c.d. du carmel d’Hauenstein extraite du Grand livre des saints et bienheureux du Carmel
En juillet 1998 se produisit un miracle à Nogoya (en Argentine) : un petit enfant, Manuel Vilar, âgé de 18 mois, tombé dans une piscine contenant de l’eau stagnante et sale, fut victime d’un arrêt du cœur et de la circulation et tomba dans un coma profond. Fait inexplicable pour la médecine, il fut guéri subitement suite à une demande d’intercession de ses parents adressée à la carmélite espagnole mère Maravillas de Jésus qui venait d’être béatifiée. Qui était cette carmélite qui déploya dans le monde entier une activité charitable extraordinaire et manifesta une fécondité spirituelle, non seulement durant sa vie terrestre, mais aussi après sa mort et qui est appelée en Espagne, sa patrie, « la santa Teresa du XXe siècle » ?
I - Jeunesse et vocation au Carmel
Maria Maravillas Pidal y Chico de Guzman naquit le 4 novembre 1891 à Madrid et fut baptisée le 12 novembre suivant. Son père, le marquis Luis, était à cette époque ambassadeur d’Espagne auprès du Saint-Siège. Une éducation chrétienne solide, spécialement de la part de sa grand-mère maternelle, trouva chez elle un terrain favorable parce qu’elle se sentait déjà très tôt attirée vers Dieu. En compagnie des deux aînés de la fratrie, « Nini » (Maria Concepcion) et Alfonso, elle vécut une enfance joyeuse et heureuse. Une autre petite sœur était décédée peu après la naissance. La prière en famille, la profonde religiosité de ses parents et de sa grand-mère s’imprimèrent profondément en son cœur. Tôt déjà, son regard profond et sérieux fut remarqué de même que sa volonté forte et son courage. Elle soigna son père avec un dévouement tendre et attentif lors de sa maladie mortelle et elle resta ensuite seule auprès de sa mère. Entre-temps, elle ressentit toujours plus clairement que l’appel de Dieu au don total qu’elle entendait déjà depuis longtemps (« Je reçus la grâce de la vocation en même temps que l’âge de raison ») lui indiquait le chemin du Carmel.
Là, elle voulait s’offrir pour toujours à Dieu à qui elle s’était déjà promise à l’âge de 5 ans, en retrait du monde et pourtant toute offerte dans la prière pour le monde. Le 12 octobre 1919, elle fut enfin admise chez les carmélites déchaussées à El Escorial (à proximité de Madrid). Après 6 mois, elle reçut l’habit et le nom de Maria Maravillas de Jésus. Elle fit profession temporaire le 7 mai 1921. Elle était extrêmement heureuse car désormais elle pouvait réaliser ce qu’elle avait reconnu de la part de Dieu comme étant l’œuvre de sa vie : être, par amour, conformée au Christ. Par la contemplation, la pénitence et la pauvreté, en suivant l’exemple de la Vierge Marie – la Mère du Carmel – et sous sa protection, elle voulait mettre joyeusement toute la force de sa volonté au service de son amour. « Je ne veux vivre que pour imiter le plus possible la vie du Christ » (cf. lettre 458), écrivait-elle du Carmel. De là son si grand désir de donner tout, comme Jésus, d’être méprisée, de souffrir et d’expier pour sauver des âmes, en union avec Lui sur la Croix.
II -La première fondation
Elle n’avait pas encore fait profession solennelle lorsqu’elle reçut du Seigneur la mission de fonder un carmel à côté du grand monument du Sacré-Cœur sur le Cerro de los Angeles (la colline des Anges), le centre géographique de l’Espagne, afin de proclamer l’amour de Dieu par la prière et l’offrande ininterrompues des sœurs et pour implorer la protection et la bénédiction de Dieu sur le peuple espagnol que le roi Alphonse avait consacré au Cœur de Jésus en 1919. Sur un simple papier de cette époque, on peut lire :
Sur indication de l’évêque de Madrid, elle s’installa le 19 mai 1924, avec trois consœurs qui avaient la même inspiration, dans une petite maison aménagée provisoirement à Getafe d’où elles pouvaient contrôler la construction du nouveau couvent. Elles vivaient dans la plus grande pauvreté. C’est ici que Sr Maravillas fit profession solennelle le 30 mai 1924 :
Peu après, des vocations arrivèrent et l’évêque nomma Sr Maravillas comme auxiliaire de la maîtresse des novices et, le 28 juin 1926, comme prieure. Désormais, elle mit en œuvre toute son énergie pour implanter dans les cœurs des jeunes sœurs l’idéal de l’ordre du carmel. Grâce à son exemple et à ses instructions solides, elles furent formées et affermies dans la fidélité aimante à l’appel de Dieu. « (Mon pauvre) Jésus (qui) désire tellement rendre ses créatures heureuses et recevoir leur amour […]. Si nous, du moins, nous étions comme Il le veut, nous pourrions beaucoup, avec sa grâce, pour que les âmes l’aiment » (cf. lettre 1859). Dans ce but, elles devaient vivre dans la pauvreté, la simplicité et la sainteté. Finalement, le couvent, aux pieds de la statue du Sacré-Cœur, fut consacré le 26 octobre 1926, le jour où fut célébrée pour la première fois la fête liturgique du Christ-Roi.
III - Le temps des persécutions
En 1931, la deuxième République d’Espagne fut proclamée et il y eut de sévères persécutions de l’Église. Mère Maravillas, qui souffrait beaucoup des offenses infligées à Dieu, veillait jour et nuit avec ses sœurs, depuis une fenêtre, sur la statue du Sacré-Cœur car elle craignait qu’elle ne soit profanée ou détruite. C’est à partir de cette époque environ qu’elle ne dormit plus que trois heures, assise par terre et adossée à son lit de camp ; durant le reste de la nuit, elle priait. En ces temps difficiles, un évêque missionnaire d’Inde demanda la fondation d’un carmel à Kottayam et mère Maravillas y envoya en 1933 huit sœurs. Ce couvent donna naissance plus tard à deux autres fondations.
Lorsqu’en 1936 la guerre civile éclata en Espagne, les carmélites furent bientôt arrêtées et, après quelque temps, transférées à Getafe. De là, elles assistèrent à la destruction de la statue du Sacré-Cœur sous des blasphèmes épouvantables ; ce fut pour elles un martyre bien plus douloureux que si elles avaient été elles-mêmes exécutées. Elles se rendirent compte que la volonté de Dieu était qu’elles restent ensemble : elles cherchèrent finalement refuge dans un petit appartement à Madrid où elles poursuivirent, sous de sévères privations et d’incessantes menaces, leur vie de carmélites avec Jésus au milieu d’elles dans un minuscule tabernacle.
Rapidement, la nouvelle s’ébruita qu’un carme venait chaque jour malgré les persécutions pour célébrer la messe ; beaucoup de personnes vinrent et cherchèrent consolation et réconfort. Après quatorze mois d’indescriptibles sacrifices, mère Maravillas réussit, avec toute sa communauté et quelques personnes proches, à quitter Madrid et à parvenir, en passant par la France, dans l’Espagne nationale. Grâce à la divine Providence, elle avait acquis, début 1936, le vieux carmel abandonné de Batuecas (Salamanque). Elles s’y réfugièrent dès lors. Après la libération de Madrid en 1939, elles purent retourner au Cerro de los Angeles ; Mère Maravillas y laissa, à la demande de l’évêque du lieu, une partie de ses sœurs comme nouvelle communauté.
Ce n’était pas seulement la statue du Sacré-Cœur, mais aussi leur couvent du Cerro qui était partiellement dévasté et inhabitable.Ensemble, avec quelques sœurs, mère Maravillas commença à déblayer les décombres, à nettoyer et à reconstruire bien que l’essentiel leur manquât. Mais comme la mère précédait les sœurs avec force d’âme et avec amour, elles se mirent au travail remplies d’espérance et de confiance. Durant les nuits, mère Maravillas était tourmentée par d’intenses angoisses ; personne ne se rendait compte de ses dures épreuves car durant la journée, elle répandait la joie et la confiance au milieu de toutes les privations et de toute la misère. Dieu voulait édifier sur le fondement solide de la foi et de l’amour purifié pour donner une nouvelle impulsion, non seulement à l’Espagne, mais aussi à l’ordre du carmel.
IV - Tout manquait sauf les vocations que Dieu envoyait à profusion.
De ce fait, un nouveau carmel s’imposait. En 1944, mère Maravillas fonda un nouveau couvent à Mancera de Abajo (Salamanque) et en 1947 un autre à Duruelo (Avila) ; ce faisant, elle put reconquérir par les voies de Dieu deux localités qui avaient de l’importance pour le carmel : Duruelo était le berceau de la réforme de la branche masculine du Carmel faite par saint Jean de la Croix (1568) et cette première communauté avait déménagé en 1570 à Mancera.
V - Fondations multiples et rayonnement
À la demande des frères, mère Maravillas leur céda le carmel de Batuecas à l’abandon et déplaça la communauté qui y résidait à Cabrera. Jusqu’en 1964, elle fonda au total neuf carmels féminins. Elle passa les dernières années de sa vie à La Aldehuela, près de Madrid, fondé en 1961. En 1960, elle fit construire un couvent pour les frères à Talavera de la Reina (Toldo). En 1964, on la pria de restaurer le carmel d’El Escorial où elle était jadis entrée ; en 1966, elle devait restaurer le carmel de l’Incarnation à Avila, riche de ses traditions et lui insuffler une nouvelle vie. Déjà en 1954, elle avait, à la demande de la direction de l’Ordre, envoyé plusieurs sœurs à Cueuca (Ecuador).
En tout, elle guettait le plus petit signe de Dieu et s’abandonnait à la divine Providence. Le flot d’argent qu’elle recevait, elle le distribuait. Comme elles vivaient elles-mêmes dans la pauvreté et la simplicité, selon le charisme de l’Ordre, elle utilisait le reste pour des œuvres de bienfaisance : elle soutenait d’autres couvents, des prêtres et des séminaristes nécessiteux, aidait des familles pauvres ; elle fit construire des maisons simples et une école ; elle institua une fondation caritative pour des religieuses malades et donna l’argent nécessaire pour une clinique. Mais le plus grand don qu’elle légua à ses soeurs et aux personnes qui la connaissaient fut le témoignage de sa foi, de son espérance et de sa charité. Dans le décret sur ses vertus, il est écrit : « La prière fut la respiration de son âme, la volonté était la norme suprême de sa vie et de son agir. Elle ne s’appuyait pas sur ses dons naturels,bien que ceux-ci fussent excellents, mais sur l’aide de Dieu qu’elle implorait sincèrement et humblement. »
Sa relation intime avec Dieu la rendait capable d’un héroïque amour du prochain. Elle fut une tendre mère pour ses sœurs de même que pour les personnes qui venaient lui confier leurs misères ; elle prenait soin de tous et priait pour tous. Sa bonté et son humilité, son intelligence et sa patience étaient un reflet de son intention de vivre comme Jésus et de lui amener des âmes afin que tous puissent trouver en Lui le vrai bonheur et afin que Son Cœur soit consolé. Ce fut pour elle le sens du mot sainteté : « Nous voilà, fermement décidées à être vraiment des saintes ; il n’y a pas d’autre manière pour correspondre à l’Amour excessif du Seigneur » (cf. lettre 1941).
Sans que personne ne s’en rende compte, elle s’infligea en outre de sévères exercices de pénitence en expiation des offenses infligées à Dieu. Elle se consuma littéralement dans le désir que toutes les âmes puissent trouver Dieu. Sa joie surnaturelle et la paix qu’elle rayonnait montraient la voie vers le Seigneur crucifié et ressuscité. L’amour et l’expérience pratique lui faisaient comprendre qu’une fidélité délicate dans l’observation des commandements divins et de la règle de l’Ordre, que l’amour de la croix et l’oubli de soi rendent le cœur libre pour vivre entièrement en présence de Dieu et Lui donner l’occasion d’agir en notre faveur et par nous. En conséquence, elle défendait ardemment le style de vie traditionnel et la doctrine des deux grands réformateurs du carmel, Thèrese de Jésus et Jean de la Croix, parce qu’elle reconnaissait comme eux les conditions préalables nécessaires en vue d’une vie contemplative authentique et féconde pour l’Église et le monde de notre temps, dans la solitude et le silence du cloître, dans la prière continue et l’austérité, dans la simplicité et la vie cordiale en communauté. C’est ce qui fut la mission spécifique de cette femme charismatique et prophétique.
Pour protéger et promouvoir ce précieux héritage, elle fonda, sous l’impulsion du concile Vatican II, « l’Association de Sainte Thérèse » qui fut approuvée en 1972 par le Saint-Siège et à laquelle de nombreux couvents adhérèrent. Mère Maravillas supporta patiemment les maladies et les infirmités de la vieillesse. Elle s’unissait intérieurement à Jésus en croix comme elle l’avait fait tout au long de sa vie, dans les épreuves intérieures et extérieures, en déposant sa propre impuissance entre ses mains. Avant sa mort, elle ne cessait de répéter : « Quel bonheur de mourir carmélite ! » Elle mourut ainsi le 11 décembre 1974 en odeur de sainteté. De son corps misérable et usé s’exhalait un inhabituel parfum de lys. Beaucoup de personnes implorèrent son intercession et furent exaucées. Comme elle avait été inhumée à La Aldehuela dans le cimetière conventuel à l’intérieur de la clôture, sa dépouille fut transférée, à la demande de nombreuses personnes dans l’église conventuelle.
VI - Béatification et canonisation
Le 10 mai 1998, 23 ans seulement après son décès, elle fut béatifiée à Rome par le pape Jean-Paul II. Ce fut également le saint pape qui l’a canonisé à Madrid le 4 mai 2003. II résume son message et sa signification pour l’Église et le monde contemporain en les termes suivants : « Mère Maravillas est un modèle de la vie consacrée à Dieu et un exemple qui mérite d’être imité par tous les chrétiens qui sont appelés à reconnaître la primauté de Dieu. Elle a fait resplendir l’attractivité de l’essentiel, en témoignant du fait que la vie contemplative, au cas où elle reste fidèle à son charisme, possède une efficacité apostolique et missionnaire extraordinaire ».