Frère Laurent, né en 1614 en Lorraine, entre comme « frère laïc » au couvent des Carmes de la rue de Vaugirard à Paris à l’âge de 26 ans. Sa vie y est faite d’oraison (deux heures de prière silencieuse par jour) et de travail manuel. Les frères laïcs prennent en effet sur eux les tâches matérielles les plus lourdes du couvent. D’abord chef cuisinier pendant 15 ans, ce qui n’est pas une mince affaire dans une maison de plus de cent religieux. Lorsque sa santé ne lui permet plus d’accomplir ces tâches, il devient savetier. Il meurt à l’âge de 77 ans.
On peut donc dire que toute sa vie, frère Laurent de la Résurrection a été un homme au travail, ce qui fait de lui le frère de tous les gens ordinaires, le vrai « frère » laïc. Pourtant, de son vivant déjà, il avait la réputation d’être un grand priant, un mystique. Quel est son secret ?
I - Tout faire pour Dieu
Les dix premières années de sa vie religieuse sont un temps de dures épreuves pour Laurent. Il se rappelle les péchés de sa jeunesse. Il se demande même s’il n’est pas damné. Mais à l’apogée de sa souffrance, il pose un acte qui le lance définitivement sur la voie de l’amour. Il décide de se donner, de s’abandonner inconditionnellement à Dieu. Le résultat ne se fait pas attendre : « Je me trouvai tout d’un coup changé. Et mon âme, qui jusqu’alors était toujours en trouble, se sentit dans une profonde paix intérieure, comme si elle était en son centre et en un lieu de repos. »
A travers cette expérience très profonde, notre frère cuisinier découvre le secret de la contemplation. Il ne s’agit pas de quitter son travail, son devoir d’état, pour rejoindre Dieu. Non, explique-t-il, « notre sanctification dépend, non du changement de nos œuvres, mais de faire pour Dieu ce que nous faisons ordinairement pour nous-mêmes. » Et il continue : « je retourne ma petite omelette pour l’amour de Dieu… »
Dans l’épaisseur de notre travail, une véritable voie mystique s’ouvre à nous, avec la possibilité de créer une grande unité de vie et de vivre pleinement l’union à Dieu. Cela se fait simplement. D’abord par un exercice continuel d’amour, en faisant tout pour l’amour de Dieu. « Il ne faut point se lasser de faire de petites choses pour l’amour de Dieu, qui regarde non la grandeur de l’œuvre mais l’amour. » Ensuite, en apprenant à vivre chaque instant en présence de Dieu.
II - S’exercer à la divine présence
Nous sommes là au cœur de la découverte de Laurent. « Je m’appliquais soigneusement le reste du jour, et même pendant mon travail, à la présence de Dieu, que le considérais toujours auprès de moi, souvent même dans le fond de mon cœur. » Au début cela n’allait pas de soi, confesse Laurent. Quelquefois il oubliait même Dieu pendant longtemps. Laurent n’a pas appris sans peine à vivre dans la Présence de Dieu, mais avec « beaucoup de lâchetés et d’imperfections ». A ceux qui veulent suivre son chemin, il conseille de ne pas s’étonner si au début on a l’impression de temps perdu et même de la répugnance. Mais à force de vouloir vivre sous le regard de Dieu, à travers un véritable exercice, une attention répétée et entretenue du cœur, la conscience de la présence de Dieu est devenue chez lui comme naturelle.
Laurent nous apprend que des actes séparés, épisodiques peuvent par leur multiplication devenir une « habitude ». Ce mot entraîne une image : celle de l’habitude qui nous sied comme un habit, où nous habitons comme dans une habitation… Quelle joie quand on habite vraiment en Dieu et Dieu en nous ! Laurent le confirme à maintes reprisses : « L’habitude ne se forme qu’avec peine ; mais lorsqu’elle sera formée, tout se fera avec plaisir… » Ou encore : « Cette présence de Dieu, un peu pénible dans les commencements, pratiquée avec fidélité, opère secrètement des effets merveilleux en notre âme ». Alors les choses sont comme inversées. Si notre esprit s’éloigne de la divine présence, c’est elle qui se présente immédiatement à lui : « Si quelquefois je suis un peu trop absent de cette divine présence, Dieu se fait sentir aussitôt dans mon âme…par des mouvements intérieurs si charmants et si délicieux que je suis confus d’en parler » .
Frère Laurent atteste qu’en pratiquant la présence à Dieu « comme il faut, on devient spirituel en peu de temps. » « Je possède Dieu, affirme-t-il, aussi tranquillement dans le tracas de ma cuisine, où quelquefois plusieurs personnes me demandent en même temps des choses différentes, que si j’étais à genoux devant le Saint Sacrement. » Lorsque Laurent, arrivé au sommet de la vie mystique, parle ainsi, ce n’est pas pour diminuer l’importance de l’adoration eucharistique. Au contraire. Laurent décrit ses temps de prière « plus longs », ses heures d’oraison, tout simplement comme l’intensification et la continuation de ses efforts pour vivre en Présence de Dieu au cours de la journée. Inversement, ses temps de prière plus longs avaient tendance à ne plus s’arrêter et à s’étendre sur les heures suivantes dans toute leur diversité. Il demeurait dans la Présence rencontrée : « Je ne m’y occupais pas moins pendant la journée que pendant mes oraisons ».
Le chemin qu’a découvert frère Laurent de la Résurrection est un chemin accessible à tous. Dans sa correspondance , on trouve de nombreux conseils pour nous mettre à sa suite.
III - Une voie accessible à tous
A celui qui veut vivre au soleil de la Présence divine, Laurent conseille d’abord de prendre « dès à présent une ferme et sainte résolution ». Pour avancer sur le chemin de la contemplation, il faudra une volonté bien trempée, prête à affronter les difficultés de la route. Cela ne se pourra sans une grande foi et confiance dans Celui qui nous appelle et veut se donner à nous.
Une fois supposées la décision et la confiance, frère Laurent nous invite avant tout à la répétition des actes de présence, des prises de conscience. Le naturel et l’habitude ne viendront qu’ « à force de réitérer ses actes », affirme-t-il. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et cela se fait le plus facilement du monde.
Il suffit d’un instant d’attention, d’un « petit regard intérieur » qui nous conduit au devant de Dieu dans notre cœur. La plupart du temps, nous pouvons y joindre une parole, une prière : « Père, ton Nom, ton Règne, ta Volonté ! », ou « Envoie ton Esprit », ou « Gloire à toi, Seigneur », ou tout simplement le nom de « Jésus ». « Il n’est rien de plus facile que de réitérer souvent pendant la journée ces actes d’adoration intérieure », estime Laurent, « sans que personne n’en voie rien ! »
Pour entrer dans ce cœur à cœur, dans cette relation vivante et continuelle avec Celui qui nous aime, Laurent conseille de souvent « penser à » Dieu. « Pensez-y souvent et pensez-y bien ». Nous savons tous ce que cela signifie « penser », et penser à un autre. Nous le faisons beaucoup. Même si, très souvent, celui ou celle à qui nous pensons n’est pas corporellement et visiblement présent(e). Mais notre esprit possède, au-dedans, cet autre, unique peut-être pour notre cœur. Alors notre pensée s’envole vers lui et véhicule notre affection, créant un lien invisible. « Pense à quelqu’un » devient souvent synonyme de l’aimer. Comme le mot « attention » peut signifier la concentration de notre esprit et la bienveillance de notre cœur.
IV - D’humbles petits moyens
Tout peut être occasion à saisir pour s’orienter vers Dieu. La beauté de la nature ne devrait-elle pas susciter notre louange et ainsi nous tourner vers Dieu ? Lorsque Laurent apprenait des nouvelles, il priait. Nous pouvons suivre son exemple en lisant le journal ou en écoutant les informations à la radio. « Merci, Seigneur, pour cette bonne nouvelle … » Prends pitié, Seigneur, des personnes victimes de drame… » « Donne la paix à notre monde ! » « Convertis les pécheurs ! »
Chaque rencontre peut devenir l’occasion de trouver Dieu si nous sommes capables de voir en l’homme plus qu’un être humain, mais le tabernacle de la Présence de Dieu. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40)
Au seuil de sa formation religieuse, Laurent a appris à utiliser des points de repère, d’humbles petits moyens, pris parmi les réalité matérielles qui l’entourent. Ce peut être un Crucifix, une image de Marie, un clocher… Laurent s’arrêtait souvent auprès d’une statue de Jésus flagellé lié à la colonne ; pendant les dix années obscures de la souffrance intérieure, il a beaucoup prié près d’elle, beaucoup regardé, beaucoup compris…Partout le langage virtuel nous environne : pourquoi ne pas donner aussi à nos yeux quelque chose qui renvoie aussi à Dieu ?
V - Du monde du Bien-Aimé
Notre faiblesse aussi est un moyen de tourner notre regard vers Dieu. Laurent n’expose pas ses faiblesses comme un écran dressé entre lui et Dieu, mais il les dépose à ses pieds comme un miroir qui reflèterait la miséricorde. Après une faute, il se tournait vers le Seigneur : « c’est mon ordinaire, je ne sais faire que cela ! »… avec pleine confiance : « c’est à Vous de m’empêcher de tomber ! »
Enfin, Laurent avait découvert que l’union à Dieu s’obtient par un exercice continuel d’ amour, en faisant tout pour l’amour de Dieu. Il nous explique comment il s’y prenait concrètement : avant d’entamer un travail, il prenait soin de jeter un regard sur Dieu ; au cours de ce travail il renouvelait ce regard « de temps en temps » ; et toujours il terminait par là.
L’exemple de Laurent nous montre que la vie mystique est accessible aux laïcs dans leur vie de tous les jours : vivre, travailler, aimer peut être vécu comme une expansion de la vie de Dieu en nous. Ce qui est apparemment petit et banal peut devenir le matériau d’une fascinante aventure d’amour, où tout est grand et beau et appartient au monde du Bien-Aimé.