« Qu’elle est douce la voie de l’amour ! »
Cette exclamation de Thérèse encadre les dernières pages du manuscrit A (f°83 r° et 84 v°). Cette inclusion comprend également l’expression du désir de faire la volonté du Bon Dieu. Elle vient couronner le long récit de son enfance et de ses premières années au Carmel. Thérèse est parvenue à une période lumineuse d’épanouissement humain et spirituel. Elle a déjà pu tout au long de ces pages : « chanter les miséricordes du Seigneur »
Elle vient d’exposer là ce qu’elle appellera ensuite sa « petite voie » (Ms.C f° 2 v°), cette voie d’enfance spirituelle qui est au cœur du message qu’elle a désiré transmettre. Elle nous livre là le fruit de tout un itinéraire où les épreuves et les combats n’ont pas manqué. Elle y a discerné les signes de la proximité de Dieu : le Seigneur l’accompagne et lui donne ce qu’il faut pour traverser avec succès les souffrances de la vie. Sa sollicitude bouleverse Thérèse et la transporte de reconnaissance : « Quelle est douce la voie de l’amour ! »
Si Thérèse a pu supporter en effet beaucoup de souffrances sans jamais désespérer, c’est qu’elle a fait l’expérience de l’amour de Dieu dans sa vie. N’a-t-elle pas eu l’audace d’affirmer au début de son récit : « Toute ma vie le Bon Dieu s’est plu à m’entourer d’amour… » (f° 4 v°) Les années de vie religieuse qui vont lui permettre de découvrir sa petite voie vont être parsemées de ces actes de la prévenance divine que Thérèse ne manquera pas de garder dans son cœur. Sans ces événements, jamais Thérèse n’aurait pu croire de tout son être à la tendresse de Dieu pour elle. Nous retiendrons ici les éléments qui nous semblent constituer une préparation directe à la découverte de sa petite voie.
I - Les flots de la confiance et de l’amour
Il s’agit tout d’abord de la retraite prêchée dans son carmel par le Père Prou, un franciscain (7-15 oct.1891). Thérèse est la seule d’entre ses sœurs à être enthousiaste. Elle se confie alors à ce Père et se sent admirablement comprise. Il ose lui dire que ses « fautes ne faisaient pas de peine au Bon Dieu » et lance Thérèse « à pleines voiles sur les flots de la confiance et de l’amour. » (f.° 80 v°) Dans l’ordre spirituel, ce religieux exerce là une fonction paternelle décisive qui permet à Thérèse de s’élancer avec audace dans une étonnante aventure spirituelle vers ce Dieu « plus tendre qu’une Mère » (ibid.).
L’élection au priorat de Mère Agnès, sa chère Pauline qui fut sa seconde Maman, va permettre à Thérèse d’avancer encore plus loin sur le chemin de la confiance. Pauline Prieure (20 fév.1893 - 21 mars 1896) devient doublement sa Mère ! Comment entre les mains d’une telle prieure dont elle avait reçu tant d’affection dans l’enfance, ne volerait-elle pas sur le chemin de la confiance ? Des désirs inexprimés vont pouvoir se réaliser ; des talents encore enfouis vont pouvoir se développer. Sa nouvelle prieure lui demande en effet de composer des poésies et de petites pièces de théâtre pour les fêtes de la communauté. Elle exauce aussi un désir secret de Thérèse en lui apprenant à dessiner et à peindre. Les résultats feront l’émerveillement de la communauté. Ainsi, les désirs de Thérèse de ressembler à sa sœur jusque dans ses dons artistiques se trouvent réalisés !
Puis elle raconte comment, en entrant au Carmel, elle avait cru qu’elle serait privée de fleurs, elle qui les aimait tant. Elle constate au contraire qu’elle n’en a jamais eu autant et reconnaît bien là l’infinie délicatesse de son Seigneur.
Enfin, son plus grand désir était l’entrée dans son propre carmel de sa sœur Céline, la chère compagne de son enfance ! C’est ce qui va se produire quelques mois après la mort de Monsieur Martin malgré les craintes de certaines sœurs de voir quatre filles Martin dans le même carmel. La religieuse la plus hostile à cette entrée change en effet d’avis d’une manière qui fait l’étonnement de Thérèse et Céline entre le 14 septembre 1894.
Céline en entrant au Carmel apportait avec elle de petits carnets dans lesquels elle avait recopié des passages de l’Écriture. Thérèse se plonge avidement dans la lecture de ces carnets dès cet automne 1894. C’est là qu’elle découvre les textes qui vont devenir les fondements de sa petite voie : Pv.9,4 et Is.66,23.12
Mr Martin est mort le 29 juillet 1894 et nous lisons dans une lettre de Thérèse à Léonie datée du 20 août 1894 (LT.170) :
II - Les signes de la tendresse de Dieu
Thérèse est pacifiée et sort mûrie de ses cinq années d’épreuve. Elle voit donc dans les circonstances qui ont permis la réalisation successive de tous ses désirs, un signe de la tendresse maternelle de Dieu. Elle est délivrée de l’exigence de mener un combat volontariste pour dominer son affectivité et parvenir à la sainteté. C’est dans ce contexte d’épanouissement spirituel que Thérèse découvre sa petite voie.
En effet, comment aurait-elle pu aller jusqu’à l’extrême de la confiance dans les épreuves qui ne cessèrent de jalonner son cheminement, si elle n’avait fait l’expérience de ces joies qui donnent à la vie sa grâce d’humanité ? Comment aurait-elle pu croire jusqu’au bout à la tendresse de Dieu si elle ne l’avait reconnue d’abord dans ces événements heureux qui lui ont permis de mûrir et de grandir ?
C’est alors qu’elle peut écrire :
Sûre de la tendresse de Dieu, elle est en mesure de s’offrir à Lui « en victime d’holocauste à l’Amour Miséricordieux » (Ms.A,84 r°). Elle ne pense plus alors à ses désirs mais à la joie de Dieu, au propre désir de Dieu ! Puisque toutes ces marques de tendresse dont elle fut l’objet témoignent assez combien Dieu a le désir de nous combler de son amour, elle veut s’offrir à lui pour qu’il puisse le faire totalement jusqu’à la consumer entièrement dans son amour divin !
III - Reconnaître la volonté du Père
De désirs en désirs, toujours attentive à se laisser enseigner par ce qu’elle recevait dans sa vie de famille, puis dans sa vie de carmélite, Thérèse a discerné l’appel de Dieu, un appel auquel elle a voulu répondre jusqu’au bout. Elle nous invite à reconnaître, à notre tour, cette Parole dans chacune de nos histoires humaines. A nous, comme à Thérèse, Jésus a donné son Esprit pour que nous découvrions la volonté du Père dans la simplicité de l’aujourd’hui. Pour nous, comme pour Thérèse, cet Esprit répandu dans nos cœurs nous donne d’aimer cette volonté dans le quotidien qui façonne les grandes orientations d’une vie. En nous, comme en Thérèse, l’Esprit est souffle du désir qui nous entraîne vers Dieu. Si nous osons faire confiance comme elle à nos désirs les plus audacieux, nous sommes à même d’entendre l’appel que Dieu nous adresse. La Parole de Dieu s’est fait entendre, en Jésus-Christ, par un chemin d’humanité. Sur nos chemins d’humanité, elle vient à la rencontre de chacune de nos vies.
IV - L’acte d’offrande
Nous sommes parvenus au cœur de la spiritualité thérésienne, une spiritualité qui nous ramène à l’essentiel de la vocation chrétienne telle que Saint Paul l’exprime dans l’épître aux Romains :
S’offrir à Dieu, telle est la vocation à laquelle le Christ a répondu comme Fils unique et Bien-Aimé du Père et à laquelle il nous invite à répondre à sa suite. Tel est aussi le sens ultime du OUI de Marie à l’Annonciation (Lc.1,38), ce OUI qui est pour tout chrétien le modèle d’une réponse de foi authentique. Tel est enfin le sens profond de la petite voie de Thérèse, pleinement réalisée à travers cet acte d’offrande à l’Amour miséricordieux.
Cet acte est le fruit de la reconnaissance du caractère infini de l’Amour. C’est aussi la mise en œuvre de la grâce du baptême par laquelle nous participons par adoption à cette Vie d’Amour comme enfant de Dieu.
Cet acte est une décision qui engage toute la vie et puise son dynamisme à la source du baptême. Cet acte est aussi vécu à chaque instant à travers une fidélité quotidienne qui se traduit par une attention aimante aux plus humbles réalités de la vie.