Le mystère de la royauté du Christ, c’est le mystère de son pouvoir universel, de son emprise totale et définitive sur les hommes, sur le destin des hommes et le monde où ils vivent.
Et ce mystère de la royauté de l’Homme-Dieu ressuscité échappe à tel point à nos analyses, et fait à tel point craquer les limites de notre vision de l’histoire, que nous sommes contraints de le cerner par approches successives, tel un photographe qui multiplie les prises de vues, dans l’impuissance où il est d’embrasser en une fois tout un monument.
La liturgie d’aujourd’hui nous propose trois flashes sur le mystère du Christ Roi.
Le premier fixe le Christ dans son rôle de juge à fin des temps : « Et toi, mon troupeau, disait Yahweh par la voix d’Ézéchiel, apprends que je vais juger entre brebis et brebis ». Et Jésus reprend à son compte cette image, du tri, du discernement définitif :« Quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire … toutes les nations seront rassemblés devant lui … Il séparera les hommes les uns des autres … »
Étrange besogne pour celui qui est venu rassembler les hommes et les appeler à l’unité de son Corps. Et pourtant le message est clair, et ineffaçable : Jésus jugera ; il aura le dernier mot, il dira pour chacun le dernier mot. Et le critère du discernement, face au définitif, face à l’éternité, ce sera l’amour fraternel, l’amour terrestre vécu au nom du Christ. Il s’agira de faim, de soif, de chaussures et de paletots, d’hôpitaux et de prison. Il s’agira des besoins de nos frères et sœurs, du bien-être de nos frères et sœurs, de la solitude de nos frères et sœurs. Et pour chacune de nos initiatives d’amour, pour chacune aussi des occasions négligées, Jésus dira :« J’ai pris cela pour moi ».
Le deuxième flash est signé Paul. Quel photographe ! Quel coup d’œil ! Il a saisi en un seul cliché le premier Adam et le Christ, Homme Nouveau, le peuple de ceux qui meurent et le peuple de ceux qui seront vivifiés ; il a fixé en une seule image les deux temps du scénario de la résurrection : d’abord le Christ, « prémices de tous ceux qui se sont endormis », puis « ceux du Christ » lors de sa Parousie.
Ce qui fascine Paul, c’est le Christ glorieux et le mystère de pouvoir et de soumission qui se joue et se jouera dans le ciel entre le Fils et le Père.
Le Christ ressuscité étend son pouvoir sur toutes les forces du mal, sur la mort elle-même, et toutes ces conquêtes du Fils sont autant de cadeaux du Père, car c’est le Père qui lui soumet tout, qui met toutes choses à ses pieds. Viendra le jour où le Christ dira au Père :« Tout est achevé ; tout est soumis ».
Alors le Fils fera du sommet de son pouvoir le sommet de sa soumission, il remettra la royauté à Dieu le Père, il remettra au Père la royauté qu’il tient de lui ; à travers sa propre royauté, l’univers entier fera retour au Père. Alors le monde sera ordonné selon Dieu, selon la hiérarchie définitive des valeurs, celle-là même que Paul inculquait aux chrétiens : « Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ! » Dieu sera tout en tous, parce que tout et tous seront passés par le pouvoir et la soumission du Fils, le Christ roi.
La troisième image nous ramène à l’aujourd’hui du peuple de Dieu. C’est une image en mouvement, qui nous décrit une royauté de tendresse, la royauté du Pasteur. Tout commence un jour de brouillard et d’obscurité, un brouillard si épais que les brebis, tout en broutant droit devant elle, ont perdu de vue leurs sœurs.
Dispersion, solitude ; brouillard, isolement, blessures. Rien ne manque au tableau de la détresse. « J’irai moi-même, dit Dieu, à la recherche de mes brebis. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer ».
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.