La liturgie de la Toussaint est l’occasion pour nous de tourner notre regard tant vers le passé, vers ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la foi, que vers l’avenir, vers cette pleine réalisation de l’œuvre de Dieu, ce rassemblement des saints dont nous parle le livre de l’Apocalypse. Et ce double regard, vers l’ancien et le nouveau, nous permet de bien saisir le mystère de l’Église dans sa dimension spirituelle. En effet, dans cette liturgie de la Toussaint, bien plus que d’habitude, le Ciel et la Terre viennent se rencontrer pour célébrer l’Amour de Dieu qui œuvre en chaque homme.
Tout d’abord, notre regard se tourne vers ceux qui nous ont précédés et qui ont, d’une manière ou d’une autre, vécu les mystères évangéliques, et pour qui les promesses des Béatitudes se sont réalisées. Et si nous nous tournons vers eux, c’est avant tout pour les remercier, pour rendre grâce, car sans tous ces chrétiens qui nous ont transmis le mystère de la Foi, nous ne serions pas là où nous sommes. Suivant l’ordre chronologique, il nous faut remercier avant tout bien sûr la bienheureuse vierge Marie et les apôtres pour avoir su accueillir et annoncer en premier Jésus, verbe de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous. Ensuite, viennent tous ceux qui ont su accueillir le dépôt de la Foi, le transmettre et le faire fructifier depuis plus de 2000 ans. Enfin, pour chacun de nous, il y a tous ceux qui nous ont permis d’accueillir nous-mêmes cette Foi, nos parents ou grands-parents, des amis, tous ceux qui nous ont marqués. Chacun, en ce jour, peut faire la liste de ses saints ordinaires qui ont compté pour lui et qui ont été le relais pour l’œuvre de grâce en nos cœurs.
Car ce regard vers ceux qui nous ont précédés nous donne un premier enseignement sur le mystère de l’Eglise qui reprend la fameuse réflexion de Paul contemplant sa propre vie, « la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse ». En effet, rendre grâce pour ceux qui nous ont précédés et qui ont été pour nous des relais, ce n’est pas canoniser tout leur vie, mais reconnaître la puissance de Dieu qui se sert d’hommes et de femmes bien fragiles. Par exemple, que sont les apôtres sans le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte ? On peut dire sans exagérer que ce n’est qu’une bande de trouillards ayant perdu tout espoir, et enfermés au cénacle. Mais nous savons aussi que par la grâce de Dieu, ils seront les artisans de la plus belle aventure que l’humanité ait connue.
Le regard de foi, qui nous permet de découvrir la réalité spirituelle, nous aide aujourd’hui à ne pas enfermer la réalité ecclésiale dans les faiblesses des humaines, sans pour cela les excuser. Nous savons que le mystère de l’œuvre de Dieu dépasse et transcende les vases d’argile dans laquelle elle est à l’œuvre. Ainsi, si nous pouvons nous nourrir de la sève du Carmel aujourd’hui, c’est bien grâce aux frères et soeurs qui ont fait vivre les communautés qui nous accueillent aujourd’hui. Et si nous sommes champions pour pouvoir discerner les faiblesses de nos frères et soeurs d’hier et d’aujourd’hui, nous ne pouvons les y enfermer. Certes, nous pouvons croire, par illusion ou par espérance, que nous ferons mieux que ceux qui nous ont précédés, cependant nous ne pouvons oublier deux choses : c’est par eux que l’œuvre de Dieu s’est accomplie, et c’est grâce à eux que nous pouvons en vivre aujourd’hui. Chacun est porteur du mystère de l’œuvre de Dieu qui nous dépasse tous.
Ce regard d’action de grâces vers le passé éclaire notre présent en nous faisant prendre conscience que le mystère de l’Eglise transcende les réalités humaines. Et c’est encore cette réalité spirituelle que découvre notre regard lorsqu’ils se tournent vers l’avenir. Le livre de l’Apocalypse nous découvre la pleine réalisation de cette œuvre de Dieu, et le passage entendu nous ouvre sur cette foule de témoins qui célèbrent la liturgie céleste : les hommes rassemblés par le Christ, tête du corps, tourné vers le Père, dans la puissance de l’Esprit Saint. En effet, le royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boissons, il est paix et joie, exultation pour tous ceux qui participent à la louange de la vie trinitaire.
Et cette réalité spirituelle céleste nous invite à toujours comprendre nos liturgies terrestres dans cette dynamique trinitaire. Nos célébrations perdent une grande partie de leur valeur lorsqu’elles sont comme repliées sur elle-même, quand elles sont purement terrestres. Et elles sont purement terrestres lorsqu’elles se veulent uniquement un temps de réflexion intellectuelle, un temps de rassemblement humain, une “autocélébration“ de l’assemblée. Car toute liturgie chrétienne nous ouvre à la communion de tous les saints, à une véritable catholicité à travers le temps et l’espace. Toute liturgie chrétienne unit le Ciel et la Terre dans la louange, l’action de grâce pour l’œuvre d’Amour du Père en nos cœurs par ses deux mains que sont le Fils et l’Esprit Saint. La fête de la Toussaint nous permet de rappeler cette réalité spirituelle de l’unité du corps du Christ, du temple de l’Esprit Saint qu’est l’Eglise, l’humanité sauvée et rassemblée pour être louange du Père. Le Ciel et la Terre, par tous les saints de tous les temps, sont unis pour célébrer l’unique et véritable liturgie qu’est la vie trinitaire.
« Réjouissons-nous, et soyons dans l’allégresse, car notre récompense sera grande dans les cieux. » Cette joie est celle de tous ceux qui nous ont précédés et avec qui nous célébrons aujourd’hui les promesses de Dieu qui se réalise déjà en nos cœurs.
Fr. Antoine-Marie, o.c.d.