I - Une rencontre providentielle
Au début du carême de 1583, Jean de Brétigny, gentilhomme de Rouen dont la famille est originaire de Séville, les Quintanaduenias, accompagne un ami, bienfaiteur du carmel qui va rendre visite à la mère prieure, Marie de Saint-Joseph, une proche de Thérèse de Jésus. La conversation qui s’ensuit le bouleverse, les documents qui lui sont remis, les contacts successifs, les « Avis » de la Mère Thérèse qu’il médite, lui permettent de comprendre davantage la spécificité du carmel rénové : « Travailler par la prière et la pénitence à l’avènement du règne de Dieu ». Son désir sera désormais de fonder un carmel à Rouen, sa ville natale.
Contact est pris avec le Père Provincial des Carmes Déchaux, Jérôme Gratien, tout aussi sensible que Marie de Saint-Joseph à la dimension missionnaire de l’Ordre. Très rapidement, il est désigné comme procureur des Carmes pour la fondation d’un couvent de Carmes à Rouen.
Les religieuses entament des séries de neuvaines pour le succès de l’entreprise mais la situation politique particulièrement difficile en France à cause des luttes entre catholiques et protestants ainsi que les relations conflictuelles avec l’Espagne (assassinats du Duc de Guise et d’Henri III) font échouer la fondation de Rouen.
II - Une attente fructueuse
Jean de Brétigny, ordonné prêtre en 1598, se tourne vers un autre projet. Après avoir financé en 1588, l’édition, à Madrid, des œuvres de la Mère Thérèse, il décide de les traduire lui-même en français pour mieux les faire connaître dans son pays. Le 31 janvier 1601, paraît à Paris l’Autobiographie rapidement suivie du Chemin de la Perfection et du Château Intérieur. Il fait aussi circuler des images de Thérèse, le succès est impressionnant. Il est vrai que le contexte est porteur, nombreux sont ceux qui aspirent profondément à un renouveau spirituel vivant et vrai.
III - Un « salon mystique » : l’Hôtel Acarie
L’Hôtel Acarie va répondre à ces aspirations en offrant un lieu de réunions, d’échanges, de méditation à tous ces hommes et femmes désireux de vivre une spiritualité exigeante et authentique par l’approfondissement de la vie intérieure. Le roi Henri IV, lui-même, soutient et favorise cette initiative. Certaines grandes dames de la Cour dont la Princesse de Longueville, fréquentent ce lieu assidûment ainsi que des universitaires comme le Père André Duval qui deviendra le supérieur des Carmélites de France avec le Père Pierre de Bérulle, futur fondateur de l’Oratoire.
C’est la réputation de sainteté de Madame Acarie qui les attire. Désireuse de rentrer chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu, elle est, cependant, mariée par son père à 16 ans et demi à Pierre Acarie, conseiller du Roi et maître de la Chambre des Comptes. Ils auront six enfants dont trois filles seront carmélites. Grande mystique, elle a fréquemment des extases, dès 1588. Dirigée par le Père Benoît de Canfeld, un capucin, ainsi que par Dom Beaucousin, de la Chartreuse de Paris, elle sera initiée, avec toute l’élite dévote qu’elle réunira chez elle, à la mystique germanique, à travers Ruysbroek, en particulier.
Dès 1601, Madame Acarie lit les écrits de la réformatrice, mais ce n’est qu’après une vision de la Mère Thérèse elle-même, qu’elle comprend qu’elle est appelée à la fondation du Carmel en France. Il faut une fondatrice séculière, elle la trouvera en la personne de la Princesse de Longueville qui s’engagera à verser une rente de 800 écus.
Tout est bouleversé : la fondation française se fera à Paris, ce sera un monastère de Carmélites, on ne souhaite pas que s’installent des pères carmes, alors que les problèmes avec la Ligue et le Parti Dévot sont encore loin d’être résolus.
IV - La fondation
Trois supérieurs sont désignés : les Pères Jacques Gallement, André Duval et Pierre de Bérulle. Le Roi accordera les lettres patentes le 18 juillet 1602.
Madame Acarie trouvera une maison au Faubourg Saint Jacques, le Prieuré Notre-Dame-des Champs, mais les accords avec les bénédictins seront longs à obtenir.
Le 29 avril 1603, la duchesse de Nemours, la princesse de Longueville et la princesse d’Estouteville posent les premières pierres ; Pierre de Bérulle, la première pierre du chœur quelques jours plus tard. Le nouveau monastère doit être absolument conforme aux normes établies par la Mère Thérèse.
Il fallait encore obtenir la bulle d’érection canonique du Pape Clément VIII. A la suite de la supplique rédigée par la princesse de Longueville et les douze postulantes et de la lettre du roi Henri IV, la bulle est enfin accordée avec l’aide de François de Sales le 13 novembre 1603, mais ce n’est que le 4 août 1604 que le Père Carme Général de la congrégation d’Espagne, François de la Mère de Dieu, signa « la patente qui autorisait quatre carmélites espagnoles à quitter leur patrie pour aller fonder en France ».
Tout était préparé désormais pour l’arrivée des carmélites espagnoles qui implanteraient en France l’esprit de la réforme thérésienne.
V - Les futures carmélites françaises
Dans la Congrégation Sainte Geneviève, située en face de l’église du même nom, Madame Acarie, avait préparé un certain nombre de postulantes désireuses d’entrer dans la future congrégation du Carmel réformé. Elle y accueillit, en particulier, Madeleine de Fontaine-Marans, déjà accompagnée par Pierre de Bérulle et qui sera la future Madeleine de Saint-Joseph, très vite prieure de ce premier carmel français, le Carmel de l’Incarnation, et fondatrice de nombreux autres. Marie d’Hannivel, parente de Brétigny, Marie de la Trinité, par sa connaissance de l’espagnol assurera les fonctions de secrétaire et d’interprète de la prieure espagnole, Anne de Jésus. Louise Jourdain qui participera au voyage en Espagne, Louise de Jésus, et Andrée Levoix, femme de chambre de Madame Acarie, Andrée de Tous-les-Saints, prendront l’habit le 1er novembre 1604.
La formation spirituelle de la Congrégation était assurée par les Pères capucins ; Jean de Brétigny les initiait à la vie dans les carmels déchaussés espagnols, M. Gallement et M. Duval donnaient des conférences, Pierre de Bérulle était leur confesseur.
Bibliographie :
- « Histoire littéraire du sentiment religieux en France » t.2 Henri Brémond (épuisé)
- « Pierre de Bérulle et les Carmélites de France » Stéphane Marie Morgain ocd, Cerf
VI - Le temps des négocations
Les démarches pour obtenir la fondation en France ne furent pas simples et ce ne fut pas sans difficultés que les carmélites espagnoles (que le Père de Bérulle avait choisies, car il n’était pas question d’envoyer en France n’importe qui), quittèrent leur pays, pour fonder à Paris le premier monastère de Carmélites Déchaussées.
Monsieur de Brétigny était toujours dévoré du désir d’implanter en France le Carmel de sainte Thérèse d’Avila si préoccupée par le « salut de la France » et les « coups portés à la foi catholique », comme elle l’écrivait dans « Le Chemin de la Perfection ». D’interminables négociations avaient été menées à bien dans cette période plus que troublée des relations entre nos deux pays. Comme utiliser les Constitutions ne semblait pas suffisant, il fut décidé d’aller chercher sur place des compagnes de sainte Thérèse qui permettraient de s’imprégner au mieux des exigences de cette nouvelle vie.
Trois dames françaises partirent avec M. de Brétigny : Madame Jourdain, la future Louise de Jésus, une des trois premières postulantes, Madame du Pulcheu dont le frère était Docteur en Théologie en Espagne, et Rose Lesgue qui sera carmélite, elle aussi, ainsi que Monsieur Gauthier, conseiller d’État chargé de présenter au roi Philippe III d’Espagne, la demande d’Henri IV, roi de France.
VII - L’incroyable expédition
Départ de Paris le 26 septembre 1603, dans le plus grand secret. Même les noms des participants sont changés. Carrosse, jusqu’à Orléans, descente de la Loire en bateau, arrivée à Nantes où règne la peste mais impossibilité de prendre la mer pendant six semaines. Après dix jours de mer démontée, on ne peut accéder au port de Laredo, sur la côte cantabrique. N’ayant rien pu manger pendant une semaine, les voyageurs, encore bien incommodés, se voient confisquer tous leurs livres par l’Inquisition… Dans les montagnes, la pluie glacée, les précipices, les mules qui se cabrent, le logis qu’on doit partager avec les bêtes… Burgos, enfin : quelle joie d’être là, d’entrer dans un carmel, le dernier fondé par sainte Thérèse, le premier dans lequel pénètrent les français ! On arrive à Valladolid, le premier dimanche de l’Avent, non sans embarras : les roues des voitures cassent, le cocher reçoit un coup de poignard… (on croirait lire le livre des « Fondations » de Thérèse, elle-même). On y restera des mois, car les pères carmes ne se montrent pas décidés à laisser partir les sœurs et surtout pas celles que le Père de Bérulle a choisies : Anne de Jésus, un élément d’élite qualifiée de « capitaine des prieures », Anne de Saint Barthélemy, sœur converse, fidèle compagne de sainte Thérèse jusqu’à sa mort, Éléonore de Saint Bernard, Isabelle de Saint Paul, Isabelle des Anges et Béatrix de la Conception. Seul le Nonce arrivera, par la menace, au bout du refus du Père Général.
VIII - Un retour prometteur
Salamanque, Avila, Burgos… le voyage vers la France peut commencer. Deux pères carmes accompagnent les religieuses, ils resteront à Paris pendant quinze jours et donneront l’habit aux trois premières novices. Sur le chemin du retour les péripéties se multiplient à nouveau : les carrosses ne peuvent avancer, l’un d’entre eux tombe dans une rivière, il y a des punaises dans les lits des auberges, des problèmes avec les ponts-levis, à Bordeaux, les roues se détachent en pleine ville…
Mais les Mères espagnoles sont prêtes à tout, elles sont décidées à souffrir tous les martyres car elles pensent voir, bientôt, des hérétiques au détour de chaque chemin et elles brandissent chapelets et crucifix aux portières des carrosses.
Le 15 octobre 1604, soit presque un an depuis le départ, on atteint Paris, dans l’octave de la saint Denis. La princesse de Longueville et Madame Acarie, chevilles ouvrières de cette fondation, viennent les rejoindre au Petit Châtelet. De là, on se dirige vers l’Abbaye de Saint Denis en France, célèbre pour ses reliques.
Retournement de situation complet ! Anne de Jésus se montre émerveillée par l’architecture du lieu, ses richesses, la ferveur des 300 religieux qui chantent au chœur sans interruption et elle va jusqu’à s’exclamer que « tout ce qui se voit à l’Escurial n’est que bagatelle ». Son admiration redouble le lendemain, à Montmartre, dans l’Abbaye des Bénédictines où elle déclare qu’elles sont saintes parce qu’elles se sont réformées grâce à la lecture des livres de sainte Thérèse et « qu’en bien des choses, elles semblent déchaussées ». Plus d’appréhension, les espagnoles avouent même que le roi est très catholique, qu’à Paris il y a « une fréquentation des sacrements [qui] ressemble à celle de la primitive Église ».
Le 17 octobre 1604, les religieuses s’installent dans leur nouveau monastère, aménagé dans le Prieuré Notre-Dame-des-Champs. Très rapidement, les sept premières carmélites françaises prennent l’habit et se mettent à l’école des espagnoles impressionnées par leur sainteté et leurs qualités humaines. La vie s’organise, les Mères espagnoles les initient à la vie carmélitaine et, en plein Paris, elles vont vivre désormais comme dans un carmel espagnol de Sainte Thérèse.
Les vocations affluent, on fondera un second couvent à Paris, rue Chapon, puis à Pontoise, Dijon, Amiens, Tours, Rouen, Bordeaux, Châlons, Besançon, Dieppe en dix ans seulement. L’essor était donné, le Carmel rayonnait en France et comblait les désirs de ses fondateurs.
Bibliographie
- « Chroniques de l’Ordre des Carmélites » - Troyes 1846
- « Mémoire sur la fondation, le gouvernement et l’observance des Carmélites Déchaussées » - Reims 1894
- « Histoire littéraire du sentiment religieux en France » t.2 Henri Brémond (épuisé)
IX - Les religieuses carmélites espagnoles
C’est ainsi avec beaucoup de difficultés et après vingt ans de tergiversations que M. de Bérulle et Jean de Brétigny finirent par obtenir du Père Général des Carmes et du Supérieur des Carmes d’Espagne la permission de ramener en France des sœurs carmélites et surtout, des religieuses de leur choix. Ils désiraient qu’elles aient été très proches de la Mère Thérèse pour que les traditions et l’esprit du Carmel réformé soient transmis avec la plus pure authenticité.
Anne de Jésus fut choisie pour être la Mère fondatrice ; Anne de Saint-Barthélemy, converse, la fidèle et sainte compagne de Thérèse jusqu’à sa mort, quitta son carmel de Saint Joseph d’Avila ; deux professes de Salamanque, Isabelle des Anges et Béatrix de la Conception suivirent ; la plus jeune, Éléonore de Saint Bernard du carmel de Loeches, était tout indiquée, c’était la seule qui parlait français. Le carmel de Burgos donnera Isabelle de Saint-Paul.
X - Anne de Jésus (1545 - 1621)
Ana de Lobera, sourde et muette de naissance, fut, dit-on, miraculeusement guérie par la Vierge Marie à l’âge de sept ans. Très appréciée et recherchée dans le monde, elle sut pourtant y mener une vie pleine de piété, pénitence et charité.
A 24 ans, elle prend l’habit des Carmélites Déchaussées au carmel saint Joseph d’Avila.
« Soyez la bienvenue, je ne vous regarderai pas comme ma novice, mais comme ma coadjutrice dans l’œuvre de Dieu », lui écrit Thérèse d’Avila qui la considérera comme l’une des colonnes de son œuvre. Elle fait profession le 22 octobre 1571 et dès 1574, elle fonde le carmel de Béas en Andalousie dont elle devient la prieure. D’une exceptionnelle énergie, elle prend une part active dans la lutte qui opposa les Carmes Déchaussés aux Mitigés. Favorisée de nombreuses grâces, elle acquit très vite la réputation d’être une sainte.
« Quand je vois la Mère Anne de Jésus, je crois voir un séraphin » disait Jean de la Croix, son directeur spirituel.
Elle participa aux fondations de Grenade en 1582 et Madrid en 1586. A la mort de la Mère Thérèse de Jésus, elle fit imprimer l’intégralité de ses œuvres et par un bref, fit approuver et confirmer les Constitutions et Lois des Carmélites Déchaussées.
On conçoit aisément que les supérieurs espagnols, aient longuement résisté avant de lui permettre de partir pour fonder à Paris le Carmel de l’Incarnation au Faubourg Saint Jacques. Elle ira ensuite à Pontoise, Dijon, Amiens. Sa rigueur et sa raideur seront parfois difficilement acceptées. Voyant que les pères carmes n’arrivent toujours pas, elle se laisse souvent gagner par l’amertume. C’est sans doute pourquoi, en 1607, sollicitée une fois de plus par l’Infante Isabelle, la Vénérable Anne de Jésus quitte définitivement la France pour aller fonder d’autres carmels dans les Flandres, terres d’Espagne à cette époque.
XI- Anne de Saint Barthélemy (1549 - 1626)
Anne Garcia, orpheline dès l’âge de dix ans. Humble et remplie d’une grande tendresse, elle sut résister aux projets de mariage qu’on faisait pour elle. Elle entre à 21 ans au carmel de saint Joseph d’Avila, ce sera la première sœur converse. Elle fait profession le 15 août 1572 et ne quittera plus jamais la Mère Thérèse de Jésus. Elle lui sert d’infirmière, de secrétaire, elle apprendra à écrire pour soulager Thérèse accablée sous le poids de la correspondance. Elle écrira beaucoup par la suite et en particulier de nombreuses lettres et un manuscrit « Instructions aux novices ». Thérèse mourra dans ses bras dix ans plus tard à Alba de Tormes, elle regagnera alors son carmel d’origine à Avila. Choisie pour faire partie des sœurs fondatrices pour la France, à 54 ans, elle se laissera imposer le voile noir des choristes pour être prieure à Pontoise et deviendra même prieure du Carmel de l’Incarnation à Paris. Elle fondera à Tours en 1608 et à la fin de son mandat, sur les instances d’Anne de Jésus, elle partira dans les Flandres et fondera le carmel d’Anvers où elle mourra le 7 juin 1626. Elle entretint une correspondance très suivie avec la mère prieure du carmel anglais voisin où se mêlent conseils pour la vie spirituelle et directives pratiques.
Toute de douceur et de patience, elle sera particulièrement appréciée par les novices, et béatifiée par le Pape Benoît XV en 1917.
En savoir plus : Anne de Saint-Barthélémy
XII - Isabelle des Anges (1565 - 1644)
« Elle aima les Françaises autant qu’elle en fut aimée » Ce fut, en effet, la seule religieuse espagnole parmi les fondatrices qui resta en France jusqu’au bout.
Née le 5 février 1565 à Villacastin, elle entre dans le carmel le plus pauvre de l’Ordre, Salamanque en 1589. Professe en 1591, elle devient sous-prieure en 1602. Sous-prieure de Paris en 1604, elle suivit Anne de Jésus à Dijon en 1605 puis fonda Amiens en 1606, Rouen en 1609, Bordeaux en 1610, Toulouse en 1616, Limoges en 1619 où elle mourut le 14 octobre 1644.
Isabelle de Saint-Paul et Béatrix de la Conception ont peu séjourné au monastère de l’Incarnation et n’y ont pas exercé de charge.
Eléonore de Saint Bernard fut chargée à Paris du noviciat à cause de sa connaissance de la langue française, mais dès 1605, elle fut remplacée par Anne de Saint-Barthélemy qui devint plus tard prieure.
Bibliographie :
- « La belle Acarie » : Bruno de Jésus-Marie ocd, DDB (épuisé)
- « Anne de Saint Barthélemy, lettres d’Anvers » : Pierre Sérouet, DDB 1981 - « Histoire du sentiment religieux en France » t. 2 : Henri Brémond (épuisé)
XIII - Les futures carmélites françaises
Dans la Congrégation Sainte Geneviève, située en face de l’église du même nom, Madame Acarie, avait préparé un certain nombre de postulantes désireuses d’entrer dans la vie religieuse et, en particulier, dans la future congrégation du Carmel réformé. Elle y accueillit Madeleine de Fontaine-Marans, déjà accompagnée par Pierre de Bérulle et qui sera la future Madeleine de Saint Joseph, très vite prieure de ce premier carmel français, le Carmel de l’Incarnation, et fondatrice de nombreux autres.
La formation spirituelle de la Congrégation était assurée par les Pères Capucins ; Jean de Brétigny les initiait à la vie dans les carmels déchaussés espagnols ; M. Gallement et M. Duval donnaient des conférences ; Pierre de Bérulle était leur confesseur.
Les premières carmélites françaises sont issues de ce cénacle : Marie d’Hannivel, parente de Brétigny, Marie de la Trinité qui par sa connaissance de l’espagnol, assurera les fonctions de secrétaire et d’interprète de la prieure espagnole, Anne de Jésus et accompagnera, pour cette raison aussi, Anne de Saint-Barthélemy pour la fondation de Pontoise ; Madame Jourdain, Louise de Jésus qui participa au voyage en Espagne ; Andrée Levoix, femme de chambre de Madame Acarie, Andrée de Tous-les-Saints, prendront l’habit le 1er novembre 1604.
Mademoiselle Deschamps, Aimée de Jésus, Madame du Coudray, Marie de la Trinité, Charlotte Sancy, Marie de Jésus les suivront très vite.
XIV - Madame Acarie (1566 - 1618)
Barbe Avrillot fille d’un conseiller du roi fut attirée très tôt par la vie religieuse mais pour obéir à ses parents, elle épouse à seize ans Pierre Acarie, maître des comptes. Elle lui donnera six enfants. Elle sera une épouse parfaite, paisible et joyeuse. Elle a un charme extrême qui fait d’elle une exquise dame de la haute société qui la surnommera « la belle Acarie ». Elle a une vie intérieure intense : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit. » disait-elle ajoutant : « Quand on donne du temps à Dieu, on en trouve pour tout le reste. » Elle mena de front une vie très active de mère de famille et une profonde vie d’oraison. La situation politique très troublée de cette époque et les engagements de son mari qui sera arrêté pour cause d’opposition politique, la mettent dans une situation très difficile ; mais son hôtel particulier devint assez rapidement un centre spirituel dont le rayonnement fut très grand, où l’on rencontrait des universitaires de l’époque et des grands hommes d’Église comme saint Vincent de Paul, François de Sales et Monsieur de Bérulle, son cousin, qui l’initie à la lecture des mystiques. Elle contribuera à l’installation des Ursulines et à la fondation des Prêtres de l’Oratoire. Elle s’occupa de la réforme de certains monastères, tout particulièrement des Bénédictines de Montmartre et des religieuses de l’Ordre de Fontevrault.
A la suite de la lecture des œuvres de Thérèse d’Avila, et surtout d’une vision de celle-ci, elle entreprend de fonder en France le Carmel réformé, projet approuvé par François de Sales et par Bérulle. Les carmélites arrivent à Paris en 1604. Avec son aide les fondations vont se succéder : Pontoise, Dijon, Amiens, Tours, Rouen. Trois de ses filles entrèrent dans les nouvelles fondations. A la mort de son mari, ayant établi ses enfants, elle entre au carmel d’Amiens où elle deviendra Marie de l’Incarnation, simple sœur converse. Elle fit courageusement les tâches ménagères malgré les séquelles d’une chute de cheval qui l’handicapaient beaucoup, avec une obéissance et une charité admirables. Transférée au carmel de Pontoise, elle rentre dans la paix de ce Dieu qui tant lui suffisait, en 1618 et fut béatifiée par Pie VI en 1791.
Elle entretint avec sa femme de chambre, Andrée Levoix : sœur Andrée de Tous-les-Saints, à peu près de son âge, des relations privilégiées, elles vivaient ensemble comme deux sœurs. Ses parents la lui avait donnée pour la servir et lui tenir compagnie. Elle suivit Barbe dans la maison de M. Acarie, et demeura avec elle jusqu’à la fondation des carmélites. Elle fut une des premières à entrer au Carmel de l’Incarnation et c’est la première qui y prit l’habit. Atteinte d’une douloureuse maladie elle mourra six mois plus tard, le Vendredi Saint, après avoir fait profession sur son lit de mort. Le désir d’avancer dans le chemin de la perfection les a profondément unies. On raconte qu’elles avaient l’habitude de s’accuser tous les soirs, l’une après l’autre, de ce qu’elles avaient fait de répréhensible pendant la journée. Madame Acarie, à genoux aux pieds de sa femme de chambre, lui avouait ses moindres fautes, et la suppliait de lui dire si elle ne lui en avait pas vu faire d’autres.
En savoir plus : Madame Acarie
XV - Magdeleine de Saint Joseph (1578 - 1637)
Très tôt favorisée de grâces spéciales, elle pensait entrer chez les Capucines mais au cours d’une visite chez elle, elle fut remarquée par M. de Bérulle qui lui parla de l’Ordre du Carmel réformé par Thérèse d’Avila. Il la recommanda à Madame Acarie qui la présenta aux Carmélites espagnoles. A cause de problèmes de santé, elle ne put prendre l’habit que le 11 novembre 1604, en la fête de saint Martin, Patron de la Touraine, sa région d’origine, à laquelle elle était très attachée. Son père, très affecté par son départ, opéra un chemin de conversion à cette occasion. A la mort de sa femme, il se fit prêtre et entra dans la Congrégation de l’Oratoire fondée par M. de Bérulle. Dès 1605 et jusqu’en 1608, elle deviendra une extraordinaire maîtresse des novices. Elle écrivit des « Avis pour la conduite des novices » dans lesquels transparaît son idéal thérésien très pur, fidèle écho des enseignements des fondatrices espagnoles. Sa préoccupation constante était d’inculquer l’esprit érémitique et apostolique du Carmel.
Elle devient la première prieure française le 20 avril 1608, participera à la fondation du carmel Notre-Dame de Pitié à Lyon, puis revint à Paris pour la création du deuxième carmel parisien, celui de la rue Chapon. Elle sera de nouveau prieure au Carmel de l’Incarnation de 1624 à 1630. Les reines, Marie de Médicis et Anne d’Autriche, nombre de grands personnages venaient la consulter mais son humilité était très grande. Elle mourut en odeur de sainteté le 30 avril 1637 et fut plus tard déclarée « vénérable ».
Voilà ce que pensaient les religieuses de leur prieure.
Bibliographie :
- « Bérulle et les Carmélites françaises » - Stéphane-Marie Morgain ocd
- « Madame Acarie » - Salmon Malebranche (Association du vert buisson)
- « La belle Acarie » - Bruno de Jésus Marie ocd - DDB (épuisé)
- « La vénérable Madeleine de Saint-Joseph » - Carmel de l’Incarnation (épuisé)