Assomption de la Vierge Marie - Carmel de Tolède
Session sur les Demeures à Avila (12-21 août 2013)
Textes liturgiques : Ap 11,19 -12,10 ; Ps 44 ; 1 Co 15,20-27 ; Lc 1,39-56
Quel contraste, frères et sœurs, dans les textes liturgiques d’aujourd’hui entre le récit de saint Luc et la vision de saint Jean ! Que s’est-il donc passé ? Comment est-on passé de Marie de Nazareth l’humble servante du Dieu d’Israël à la femme revêtue de soleil et couronnée de douze étoiles décrite par le voyant de l’Apocalypse ? Là est tout le mystère de la solennité que nous célébrons aujourd’hui, l’Assomption de la Vierge Marie, l’entrée dans la gloire du Ciel de celle qui a fait si peu parler d’elle de son vivant.
La clé de ce passage, de cette transformation nous est donnée dans la bouche Élisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Le Pape François écrit à ce propos dans son encyclique sur la foi Lumen fidei (LF58) : « La Mère du Seigneur est l’icône parfaite de la foi. (…) En la mère de Jésus, en effet, la foi a porté tout son fruit. » Mais comment comprendre cette fécondité « intégrale » si je puis dire ? Pourquoi la foi de Marie a-t-elle porté la plénitude de la fertilité ? Le Pape précise : « À la plénitude des temps, la Parole de Dieu s’est adressée à Marie, et elle l’a accueillie avec tout son être, dans son cœur. » La foi de Marie a porté tout son fruit parce qu’elle a accueilli la Parole de Dieu avec tout son être ; Marie s’est en effet engagée totalement dans sa parole devant l’Ange à l’Annonciation : « que tout se passe pour moi selon ta parole ». « Que votre oui soit oui » demandait Jésus. Le « oui » de Marie a été total, sans conditions, un contrat sans clauses restrictives, mieux un chèque en blanc. Le TOUT de sa fécondité ne prend sens que par le TOUT de son OUI : Marie a tout reçu parce qu’elle a tout donné. Le mystère de l’Assomption ne se comprend qu’en regard de la maternité divine de Marie : c’est parce que Marie a tout donné, y compris sa chair, son corps que nous pouvons célébrer son entrée corps et âme dans le ciel. C’est toute la vie de Marie qui a été assumée : sa chair offerte à Dieu est maintenant glorifiée. Nous ne pouvons, frères et sœurs, qu’être dans la joie aujourd’hui en communiant à l’allégresse de l’Eglise qui célèbre l’Assomption de Marie : c’est la joie des enfants de Dieu qui sont en même temps les fils et les filles de Marie. Mais il faut tout de suite préciser de quelle joie il s’agit car il y a une sorte de joie trompeuse qui pourrait nous guetter.
Une telle joie serait distante ou prudente, admirative et jalouse à la fois, un peu dans le style : « on est content pour elle ! » ou « c’est chouette, il y en a au moins une qui a réussi sa vie ! » C’est d’ailleurs souvent la manière dont la presse « people » présente la vie des familles royales : on se réjouit de la naissance du petit Georges, le prince royal d’Angleterre ou de l’anniversaire de la Reine Mère, mais cela ne nous concerne pas vraiment … Or avec la Reine du Ciel, il n’en est pas de même puisqu’elle est d’abord notre Mère et surtout la figure de l’Eglise : ce que nous contemplons en Marie, c’est ce que nous sommes tous appelés à devenir par la grâce de Dieu. L’Assomption de Marie préfigure notre résurrection à venir. Oui, notre corps sera glorifié, oui notre chair est promise à la résurrection, ni plus ni moins. Nous sommes promis, destinés au même itinéraire de gloire, à travers les vicissitudes de notre vie, comme celles d’ailleurs de la Vierge Marie : la gloire passe toujours par la croix.
« On dira peut-être que ce sont-là des choses qui paraissent impossibles et qu’il est bon de ne pas scandaliser les faibles. » N. M. Ste Thérèse nous avertit au début du livre des Demeures (1D1,4) : « je sais très bien que quiconque n’en est pas convaincu n’en fera jamais l’expérience, car Dieu aime extrêmement que l’on ne mette pas de limites à ses œuvres. » Voilà cette fausse joie qui nous menace, c’est de croire que cette fête ne concerne que Marie et surtout pas nous, c’est de croire que ce que Dieu a réalisé en Marie n’est pas une invitation pour nous. Ce serait une joie fallacieuse, un leurre, une fausse protection pour ne pas être touché par l’amour. Thérèse, elle, y a cru et nous le voyons déjà dans son chemin sous la protection de la Bse Vierge Marie du Mt Carmel. Sa vie souligne que la transfiguration de l’existence chrétienne commence dès ici-bas à travers le mystère pascal : la « Madre » a en effet traversé près de vingt ans d’années obscures à l’Incarnation avant de vivre cette transformation qui est passée par son corps, à travers extases et ravissements. La grandeur de Thérèse a été de croire que le chemin ouvert par Jésus à Marie et tant de saints était pour elle, que l’amour de Dieu est assez fou pour nous promettre cette transformation dès maintenant.
Voilà peut-être l’invitation de cette solennité de l’Assomption : nous engager plus résolument sur ce chemin de transfiguration de notre être, prémisses de notre résurrection au dernier jour. Il n’y a en fait qu’une condition : un oui sans conditions, une libre réponse de foi à la proposition honnête du Dieu d’amour. « Je veux réaliser en toi de grandes choses comme je l’ai fait pour ma mère, comme je l’ai fait pour Thérèse. Y crois-tu ? T’y risques-tu ? Mais pour cela, j’ai besoin d’un OUI total qui te prend corps et âme. Si tu ne me donnes qu’une partie de toi-même, si tu mets des conditions ou des limites à ton oui, tu mettras des bornes à mon œuvre en toi. Réfléchis et choisis ! Il n’y a que toi pour décider. Si tu dis oui de tout cœur et de tout corps, tu pourras chanter à ton tour le Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles. Tous les âges me diront bienheureuse. »
Vierge Marie, intercède pour nous : que le Seigneur puisse aujourd’hui faire en nous sa demeure et son temple ; qu’il nous soit donné de dire un oui total pour que ton Fils puisse venir prendre ses délices au milieu de nous. Que son Esprit d’amour nous transfigure et nous prépare à te rejoindre au dernier jour dans la gloire et la joie éternelle des enfants de notre Père d’amour. Alors Dieu sera tout en tous.