La Vive flamme d’amour

De nouveau, nous trouvons sous le titre "Vive flamme d’amour" ("Oh llama de amor viva") un poème et un commentaire. C’est l’œuvre la plus courte parmi les quatre grands écrits de Jean de la Croix. Elle est rédigée entre les années 1582 et 1585 quand Jean est à Grenade, pour Ana de Penalosa qui a beaucoup aidé le Carmel déchaussé à s’implanter dans cette ville. Il y a deux versions qui différent peu, nommées A et B.

Le sommet de la vie spirituelle

« (…) Pour sublimes que soient la Vive flamme et les harmonies silencieuses dans lesquelles elle nous introduit, n’oublions pas que ce traité est celui qui nous offre le résumé le plus vivant de la doctrine du Saint, celui auquel chacun reviendra après avoir fréquenté les autres livres, pour retrouver en leur synthèse définitive, les enseignements les plus clairs du Docteur et les ardeurs les plus paisibles du Saint. » (Bx P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, « La Vive flamme », in Carmel 1952/1, p. 13)

Toute l’œuvre de la Vive Flamme a comme un centre invisible une logique qui la sous-tend : la flamme qui est en elle et qui flamboie. C’est l’action de l’Esprit Saint.

La place de l’œuvre par rapport au cheminement de l’âme

Dès les premières lignes nous sommes projetés dans un univers plein de lumière et d’amour ; mais nous ignorons où nous nous trouvons exactement dans le chemin spirituel, s’il y a des étapes qui précèdent, si d’autres suivront, et si le Saint traite ailleurs du même sujet ? Pour cela, il est bon de se poser une question : En quoi consiste cette étape que décrit la Vive Flamme ? Quel chemin l’âme a-t-elle parcouru pour y arriver ? Nous parlerons ensuite du poème et de son mouvement ainsi que de la quatrième strophe en la situant par rapport au sujet qui nous occupe.

Dans son magistère spirituel, le Saint se propose de prendre par la main ceux qui cherchent Dieu à partir de l’étape où ils sont parvenus pour les faire cheminer jusqu’à l’union d’amour avec Dieu par un chemin aride de purifications et de visites de l’Esprit Saint. Ensuite, a lieu le mariage spirituel entre l’âme et le Fils de Dieu. Cette union d’amour est considérée comme le sommet du cheminement spirituel. Mais le Saint nous signale qu’à l’intérieur de cette étape nous avons quelque chose qui peut encore s’améliorer dans l’âme.

L’étape qu’aborde la Vive Flamme est un peu cette seconde phase de l’union d’amour. C’est toujours le même état d’union d’amour, - l’âme ne peut obtenir plus, ce serait le ciel (Cf. Prol,3) - mais elle est ici "rehaussée et consubstanciée davantage en amour" (Ibid.). IJean utilise l’image de la bûche pour mieux nous faire comprendre cette nouvelle étape : "bien que le feu qui a déjà pénétré le bois l’ait transformé en soi et se soit entièrement uni avec lui, toutefois, venant à s’embraser davantage et y demeurant plus longtemps, il devient beaucoup plus ardent et enflammé, jusqu’à jeter force flammes et étincelles." (Ibid.) L’âme n’est pas seulement transformée en Dieu qui est un feu, une flamme, mais elle fait cette même œuvre que Dieu, avec lui, à savoir : de flamboyer, lancer des flammes !

Ce feu (Dieu) qui assaille la bûche (l’âme) a déjà été évoqué par le Saint dans la Nuit Obscure II,10. En fait c’est "le même feu d’amour« qui d’abord purifie et ensuite »s’unit à l’âme en la glorifiant« (Cf. VF I,19). Grâce à cette sorte d’inclusion (le feu, présent au début et à la fin du cheminement) le Saint nous donne une vision unifiée de toute son œuvre. »Il faut donc savoir qu’avant que ce feu d’amour s’introduise en la substance de l’âme et s’unisse à elle par une entière et parfaite purification et pureté, cette flamme, qui est le Saint Esprit, va battant l’âme, consumant et anéantissant les imperfections de ses mauvaises habitudes.« (VF I,19) »Ce que nous disons d’elle [l’âme], touchant l’opération que le Saint Esprit fait en elle, est beaucoup plus que ce qui se passe en la communication et la transformation d’amour. […] C’est pourquoi ces deux manières d’union différentes - savoir est : la simple union d’amour et l’union avec inflammation d’amour […]. […] Et sans doute cette âme n’est pas arrivée à autant de perfection que celle-là [la vie éternelle], toutefois, en comparaison de l’autre union commune, c’est comme un four embrasé avec une vision plus paisible, glorieuse et tendre que la flamme est plus claire et resplendissante, comme le feu dans le charbon." (I,16)

Le poème et son commentaire

Le poème est composé « dans l’oraison » par le Saint probablement en l’an 1584. Il sera offert à une de ses dirigées, Dona Ana de Penalosa, une jeune veuve. C’est elle ensuite qui lui en demandera le commentaire. Ce sera après 1585 qu’il l’écrira en un temps record (15 jours) au milieu de nombreuses occupations. C’est quelques mois avant sa mort, survenue en décembre 1591, qu’il retravaille le commentaire. C’est en un certain sens son testament spirituel .

Le « mouvement » du poème

Le « mouvement » du poème est simple. Dans la première strophe, il expérimente en plénitude l’embrasement dont il est familier. Pour les strophes suivantes, c’est le déploiement de cette expérience : « La flamme, qui blesse et embrase, celle qu’on chante, s’exprime dans ses éléments variés dans la première strophe, en se concentrant, dans une évocation qui goûte à nouveau [ce qu’elle a vécu], et, ensuite, dans chacune des strophes suivantes, en une envie de se communiquer. »

La strophe IV

Les grâces que reçoit l’âme et qui sont mentionnées dans la strophe IV peuvent-elles être apparentées à celles décrites par les trois autres ? Ni les idées ni les termes de « flamme » ou de « feu » n’apparaissent dans la strophe ou dans le commentaire qu’il en fait. Le saint résume ainsi le contenu de la strophe : "L’âme s’adresse ici à son Epoux avec beaucoup d’amour, l’estimant et le remerciant de deux effets admirables qu’il a faits quelquefois en elle par le moyen de cette union. Elle remarque aussi la façon avec laquelle il produit chacun d’eux, comme aussi l’effet qui en rejaillit en elle.« (IV,1) Après une lecture attentive il ressort que les deux grâces décrites dans cette strophe n’ont pas de lien direct avec les développements qui précèdent. Voici des deux grâces : »un réveil de Dieu en l’âme et la façon dont il se fait est toute de douceur, d’amour« et »une aspiration de Dieu en l’âme, et sa façon est de bien et de gloire qui se communique en l’aspiration ; et ce qui en rejaillit ici sur l’âme, c’est de l’énamourer délicatement et tendrement.« (IV,2) Le Saint signale que ces grâces sont faites »quelquefois" en l’âme tandis que les flamboiements eux sont plus fréquents. Leur caractère sublime et ineffable les range dans une autre catégorie de grâces .

Source : Jean Khoury, Les flamboiements de l’Esprit, 2019

Pour approfondir : une analyse du poème

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