Textes liturgiques (année A) : Ez 33,7-9 ; Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9 ; Rm 13,8-10 ; Mt 18, 15-20
« Où es ton frère ? » : c’est la question que Dieu pose à Caïn après le meurtre d’Abel. Et celui-ci de répondre pour se justifier : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » N’avons-nous pas, frères et sœurs, souvent la tentation de répondre de même quand nous sommes interrogés sur le soin que nous prenons de notre prochain ? Nous disons souvent : cela ne me regarde pas ; c’est son problème ; c’est son choix, je n’ai rien à voir avec lui ; je ne connais pas cet homme. Comme Caïn, nous fuyons la responsabilité humaine. Et il est bon que les textes de l’Écriture choisis pour ce dimanche viennent nous réveiller. Ils soulignent que notre vie chrétienne n’est pas individuelle et que notre relation à Dieu ne peut se réduire au rêve d’une tête à tête avec Jésus indifférent aux autres. Le salut est un enjeu collectif et non pas simplement une problématique personnelle.
L’individualisme moderne a grandement contribué à privatiser les choix religieux et spirituels. Cela comporte bien sûr des aspects positifs en termes de liberté et d’engagement sincère : être chrétien aujourd’hui est un vrai choix et est moins l’objet de possibles hypocrisies sociales. Mais il y a aussi le risque d’un nombrilisme spirituel. Chacun va chercher sa voie de développement personnel et doit respecter le choix des autres, sans avoir à intervenir ou à débattre puisque c’est son choix. Il nous faut tolérer, ne pas juger, surtout ne rien dire … parfois au risque de nous désintéresser de que vit l’autre. Or cela est contraire à la charité. Si l’amour accomplit la loi, ce n’est certainement pas dans le sens d’une tolérance molle mais dans la capacité à donner sa vie pour toute personne, croyante ou non. Celui qui apprend à découvrir l’évangile et le visage du vrai Dieu ne peut pas dans un second temps ne pas se préoccuper de la vie des autres.
Le père Jacques de Jésus le dit avec force : « Le Christ, quand on écoute son Cœur, quand on le regarde vivre, on comprend qu’il est venu pour apprendre aux autres le bonheur et il a la passion de cela : c’est un passionné d’apostolat … A mesure que l’on s’unit au Christ, que Dieu vient en nous, le Christ Dieu nous parle des autres : comment voulez-vous qu’on soit son ami et qu’il nous parle d’autre chose que de l’immense détresse des autres, des foules. » (Retraite au Carmel de Pontoise en septembre 1943). Devenir l’ami de Jésus, c’est aussi devenir toujours plus responsable de son prochain. La vie spirituelle chrétienne nous rend plus humains et solidaires des autres.
Le prophète Ezéchiel est un bon témoin de cette vérité. C’est parce qu’il est proche de Dieu et écoute sa parole qu’il doit aussi parler aux autres avec courage. Ne pas parler, se taire, c’est laisser pourrir en soi le don de Dieu. Dieu donne au prophète pour que lui-même donne à son tour et se donne. Être chrétien, c’est faire l’expérience de la communauté. Communauté qui commence par la famille mais aussi la paroisse ou la communauté religieuse. Nous sommes témoins du Christ les uns pour les autres. Dieu veut nous sauver les uns par les autres. Et ainsi la vie chrétienne fait que nous avons besoin les uns des autres pour nous rapprocher du Christ et de notre salut. L’Esprit Saint peut nous demander de dénoncer le mal commis par une autre personne. Ne pas le faire en prétendant tout de suite pardonner, cela peut être dans certains cas une forme de lâcheté et même une forme de complicité avec l’injustice. La dénonciation du mal, si elle est faite avec humilité et charité, permet à son auteur de reconnaître l’acte commis sans s’y identifier. Il ne s’agit pas de se prendre pour un justicier, de tomber dans le travers de dénoncer la paille chez le voisin avec notre poutre mais de discerner les cas où ne pas parler peut être une démission et un manque de courage.
Alors bien sûr, la correction fraternelle est un art délicat et il est vrai que ses nombreuses contrefaçons peuvent laisser des blessures terribles. Mais ce n’est pas parce qu’oser parler de ce qui ne va pas n’est pas facile qu’il vaut mieux choisir le mutisme. Oser prendre la parole est parfois un devoir moral. Mais il faut alors prier l’Esprit Saint pour demander les mots justes et la manière humble, tout en étant prêt à entendre une autre version de l’histoire. L’autre ne vivra jamais le même évènement de la même façon que moi et la vérité exige d’entendre le vécu d’autrui qui a la même valeur que le nôtre.
« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » Le Christ se rend présent et nous exauce quand nous nous mettons d’accord pour demander le bien d’autrui. Puissions-nous donc en cette période de rentrée reprendre conscience de notre responsabilité dans la prière, la parole et l’action pour le chemin spirituel des autres. Apprenons à prier le « Notre Père » en présentant à Dieu tous nos frères et sœurs. Que saint Joseph, gardien de la sainte Famille nous aide à devenir les gardiens les uns des autres. Amen