I - L’entrée au Carmel
C’est à Saint-Denis, à deux pas de la nécropole des rois de France, que Louise a décidé de passer désormais sa vie. Elle a choisi un couvent pauvre, si austère aussi qu’on le surnomme « la trappe du Carmel ». Pour la communauté sa venue est providentielle. Menacées d’être dispersées en raison de leur trop grande pauvreté, les religieuses ont entamé, dès le 8 février, une neuvaine au Cœur de Marie pour obtenir un secours du ciel. L’une d’entre elles en plaisantant a fait la remarque il nous faudrait au moins une fille de roi ! La prière des sœurs a donc été exaucée au-delà de ce qu’elles pouvaient imaginer.
L’amour du Christ, le désir de le suivre, de trouver dans les sacrements de l’Eucharistie la grâce de la fidélité en toutes choses et d’une existence toujours plus unifiée dans le don total de soi, telles sont les aspirations de Louise.
L’intention de Louise n’est pas qu’on la traite comme une princesse du sang. Elle vient ici pour partager la vie humble et cachée des moniales et accepte bien malgré elle quelques aménagements à la Règle qui lui permettront de s’habituer à son nouveau sort. S’il en est un qu’elle apprécie toutefois, c’est de pouvoir s’aider de cordes qui lui servent de rampe dans l’étroit et raide escalier du couvent. Jamais elle n’a descendu seule les marches du château. Toujours aidée par un page, elle est maintenant prise de vertige face au vide et doit s’asseoir pour ne pas tomber. Mais mis à part quelques détails de la vie quotidienne, elle se met avec bonheur à sa nouvelle existence et supporte avec abnégation la rudesse de sa nouvelle condition. A part quelques rhumes et des attaques de goutte, les rigueurs de l’hiver, pas plus que les chaleurs de l’été, qu’elle endure stoïquement sous sa robe de bure, n’altéreront une santé bien plus florissante qu’au château. Je ne suis pas revenue de la joie qui s’est emparée de mon cœur depuis que je suis dans ce monastère (Lettre de mai 1770, citée par l’abbé Proyart, « Vie de Madame Louise ») Louise qui a reçu le nom de Sœur Thérèse de Saint-Augustin se coule avec facilité dans cette nouvelle vie à laquelle elle s’est secrètement préparée. Elle entend être traitée à l’égal de ses nouvelles sœurs, et n’accepte que par obéissance et à contrecœur quelques accommodements.
Ses sœurs, qui n’ont appris qu’après son départ sa décision, viennent la visiter. La toute jeune Marie-Antoinette à peine arrivée en France pour épouser le Dauphin, futur Louis XVI, se rend aussi à Saint-Denis pour faire la connaissance de sa tante. C’est même elle qui lui remettra le voile le 10 septembre 1770, jour de sa prise d’habit. Un an plus tard, le 11 septembre 1771, Madame Louise fait profession. A la cérémonie privée, en succède une seconde, publique, au cours de laquelle, en présence d’une vingtaine d’évêques et d’une nombreuse assemblée, elle reçoit le voile noir des mains de la comtesse de Provence (épouse du futur Louis XVIII).
II - Maîtresse des novices
Le lendemain de sa prise de voile, elle est nommée maîtresse des novices. Son expérience du monde, sa finesse psychologique, la font apprécier par celles qui lui sont confiées. Toutes gardent le souvenir des conseils avisés qu’elle a su leur donner pour les guider avec une ferme douceur. Elle leur est elle-même très attachée et se dit édifiée par leur ferveur.
Comment voulez-vous que j’aie un moment à moi ; chargée de treize novices qui m’aiment au point de venir me le répéter plusieurs fois par jour ? Elles me le prouvent encore mieux par leur vertu. Leur petit cœur est toujours sur leurs lèvres. Elles sont d’une ferveur qu’il faut s’étudier continuellement à modérer. Je n’ai de difficulté que quand il faut les faire reposer. Au plus grand goût pour la prière, elles joignent le plus grand zèle pour les travaux pénibles : elles avaleraient comme du miel ce que la Règle nous tolère de surplus, si l’on n’apportait la plus grande prudence pour les arrêter. (Lettre de Madame Louise à la Mère Dépositaire de Grenelle, 29 août 1782, in “Oraison funèbre” prononcée par le Père François)
Je ne puis voir mes novices sans me sentir encouragée au service du Seigneur. Leur ferveur s’élève sans cesse contre mes lâchetés. Je rends grâce à la divine Providence d’avoir environné ma faiblesse de ce petit groupe d’anges qui ne respirent que le pur amour de Dieu, et qui en faisant ma confusion, font cependant aussi ma joie. Je regarde mes novices comme autant de maîtresses que le Seigneur m’a données dans sa miséricorde pour m’apprendre à être humble, mortifiée, courageuse, pénitente et fervente (Mère Stanislas Tourel, “Vie de la révérende Mère Thérèse de Saint-Augustin”, 1857, t. I.)
Sachant avec lucidité et discrétion aider ses « filles » à discerner et approfondir leur vocation, Sœur Thérèse de Saint-Augustin, sait gagner leur confiance et leur cœur. Une humble persévérance, la constance, la modération dans les tâches et les épreuves quotidiennes assumées avec bonne humeur telle sont ses recommandations essentielles. Après sa mort, on a retrouvé les papiers où étaient écrits ses instructions et ses conseils. On en a formé un petit recueil sous le titre de “Testaments spirituels”, publié à la suite des « Méditations eucharistiques ».
Si la pédagogie de Madame Louise à l’égard des jeunes religieuses qui lui sont confiées s’appuie sur un jugement sain et équilibré, l’exemple qu’elle donne jour après jour lui vaut aussi l’estime de toutes les sœurs. Sa piété est aussi éloignée du Quiétisme que du Jansénisme. Sereine, mais sans complaisance, lucide, mais sans rigueur excessive ou vain orgueil, elle repose sur un fond de bons sens qui fait bien le propre de son caractère. Sa charité active se traduit par maints petits gestes attentionnés envers ses sœurs. Elle qui, à Versailles, avait toujours été servie, n’hésite pas à arranger la paillasse de telle d’entre elles pour lui en éviter la peine.
A l’infirmerie elle précède celle qui doit tôt le matin administrer des potions aux malades pour alléger son travail :
Elle ne boude pas non plus les récréations au cours desquelles la communauté se réunit et se distrait. Les sœurs y font de menus travaux de broderie ou d’aiguilles, d’autres préparent des poèmes ou des saynètes. A l’occasion de l’un des premiers essais de vol en montgolfière, l’une d’elles s’amuse à représenter sur un mode fantaisiste les adieux de la princesse à « Mesdames » ses soeurs. Cette invention toute nouvelle (comme un siècle plus tard l’ascenseur pour Thérèse de l’Enfant Jésus !) inspire déjà à la facétieuse moniale le moyen le plus rapide de gagner le ciel. Madame Louise, quant à elle ne manifeste guère d’enthousiasme pour ces expériences périlleuses. Témoin cette lettre amusante où elle fait part de ses inquiétudes lors des premiers essais d’aérostation.
III - Chef de travaux
A la fin de l’année 1771, Madame Louise est nommée dépositaire, c’est à dire sœur économe. Elle gardera longtemps cette tâche qu’elle accomplira avec perspicacité. Elle fait effectuer de nombreux travaux dans le carmel dont elle surveille de près l’exécution, comme l’attestent ses nombreux billets à M. Collemberg, le chargé d’affaires de la communauté.
Sous le règne de Louis XVI, le projet - déjà envisagé sous Louis XV - de reconstruire l’église délabrée, est mené à bien. Les plans établis par Fleuret, professeur à l’école militaire ne sont pas retenus ; les travaux sont confiés dès 1779 à Richard Mique. Originaire de Nancy, cet architecte a travaillé pour le roi Stanislas Leszczynski. A la mort de celui-ci en 1766, il passe au service de sa fille la reine Marie Leszczynska, qui meurt en 1768. Dès 1770, il travaille pour la nouvelle dauphine, Marie-Antoinette. En 1782, il est nommé architecte du roi et directeur de l’Académie royale d’architecture. La correspondance de Madame Louise reflète toute l’attention qu’elle porte au chantier qui dure jusqu’en 1785.
Je brûle de zèle pour toi mon Seigneur !!! (“Livre des Rois”, 1, 19)
Qu’il s’agisse du gros œuvre, des finitions ou de la décoration, d’une écriture hâtive, où l’orthographe est souvent malmenée, Mère Thérèse de Saint-Augustin donne des instructions précises :
A ce programme iconographique s’ajoutent trois bas reliefs dans le vestibule : la « Déposition de croix », la « Présentation de Jésus au temple » et « Jésus devant les Docteurs »
Elle ne manque pas à l’occasion de manifester son impatience, voire son agacement devant la lenteur des travaux et ne s’en laisse pas conter quant à la qualité et au coût des matériaux.
Le chantier est aussi retardé par des "accidents de travail. En 1780, un charretier est écrasé sous les pierres qu’il transporte. La communauté émue assure les frais de son enterrement. En 1782, un ouvrier a le doigt écrasé ; Madame Louise le déplore : cela fait grand pitié. Quand le Saint Sacrement est installé dans le nouveau chœur le 28 mai 1784, reste l’aménagement et la décoration à terminer. Madame Louise demande à Richard Mique d’intervenir auprès du sculpteur Deschamps :
IV - Carmélite et princesse
En novembre 1773, Madame Louise est élue prieure, puis réélue trois ans plus tard. Elle sera à nouveau appelée à cette charge en 1785. Toujours active, elle refuse cependant d’intervenir en toute affaire de privilège : Il faut faire oublier tout ce que j’ai été. Pourtant elle sait rappeler l’autorité de sa naissance et se dépense sans compter dès qu’il s’agit du bien de l’Ordre et de l’intérêt de la Religion. Elle qui voulait disparaître du monde, comprend peu à peu qu’il lui faut accepter sa naissance et assumer son rang jusqu’au fond de son couvent, pour la plus grande gloire de Dieu. Elle sera princesse et carmélite.
Ainsi appuie-t-elle de son autorité le règlement de la question janséniste dans les carmels qui avaient adhéré à la bulle « Unigenitus ». La querelle janséniste empoisonne en effet la vie religieuse et politique durant tout le siècle : une minorité active, en particulier dans le clergé et dans la magistrature, n’a jamais accepté la condamnation définitive par la bulle Unigenitus en 1713, des thèses forgées dans le sillage de Port-Royal. La polémique entrave trop souvent le traitement des vrais problèmes et nuit à l’image du clergé. Les parlementaires eux-mêmes, en intervenant dans les conflits nés des refus de sacrements entendent défendre leur autorité et leurs privilèges face à l’absolutisme monarchique. Madame Louise n’entre pas dans la polémique ou dans le débat théologique. Son souci est avant tout inspiré par la crainte de voir ses sœurs se perdre dans l’erreur. Elle essaie de faire revenir les « brebis égarées » qui avaient fui le couvent au plus fort de la crise d’épuration. Seule la sœur Marie-Marthe de Saint-Joseph réintégrera le carmel, après trente années passées dans le siècle. Âgée de 89 ans, les jambes paralysées, elle a gardé toute sa tête. Madame Louise tout en l’entourant de soins attentifs s’attache à la ramener à la vraie foi. La vieille religieuse après avoir satisfait à un examen tendant à prouver qu’elle adhère à la bulle Unigenitus, renouvelle ses vœux le 15 août 1775.
Dans les affaires du siècle, ses sympathies vont plutôt au parti dévot. Sa foi est sincère et pure, mais sans compromission avec les idées des Philosophes : pour elle l’impiété croît avec l’influence des Lumières. Ainsi s’insurge-t-elle contre les « glissements » de vocabulaire par lesquels des mots à connotation par trop « pieuse » disparaissent du langage, remplacés par des termes mieux adaptés à un humanisme de bon aloi. A titre d’exemple, dans son mandement de Carême 1783, Monseigneur Le Clerc de Juigné, regrette de voir le vocable « bienfaisance » remplacer celui de « charité », la carmélite prend aussitôt le pas :
L’application la plus aboutie de l’influence des Lumières en politique est la signature par Louis XVI de l’édit de tolérance, par lequel l’état civil est reconnu aux protestants, sans que toutefois leur soit accordée une totale liberté de culte. Madame Louise ressent la mesure comme une véritable trahison. Sans doute, ici ne fait elle pas preuve d’ouverture d’esprit ! Mais elle est de son temps, droite, cohérente avec elle-même, ferme dans ses convictions. Fille de France, elle n’admet pas que le roi puisse manquer au serment du Sacre de défendre la foi catholique et de combattre l’hérésie. Nous sommes-là sur le plan des idées, et comme dans son combat contre le Jansénisme, Mère Thérèse de Saint-Augustin ne se montre jamais tiède. Mais devant toute humanité blessée ou diminuée, par la maladie ou l’âge, elle se révèle pleine de compassion. Ainsi prodigue-t-elle sans compter soins et attentions à cette vieille sœur janséniste revenue mourir à Saint-Denis qu’elle s’applique à servir au détriment de sa propre santé. Bien sûr tant de sollicitude s’explique aussi par le souci de ne pas laisser de jeunes sœurs et surtout des novices s’approcher de cette brebis subversive ; bien sûr s’attache-t-elle à la ramener sur la bonne voie autant qu’à remédier à ses maux. Peut-on lui reprocher de se soucier du salut de l’âme en même temps que du réconfort moral et physique de ses semblables ? Peut-on lui reprocher de se désoler de l’édit de 1787, elle qui pense sans doute sincèrement que son neveu, en cédant à la mode des temps laisse s’égarer des chrétiens dans des chemins de perdition ?
Plus qu’idéologiques, ses prises de position sont avant tout empreintes d’une charité active. Et c’est bien en ce sens, qu’en juin 1783, elle accueille à Saint-Denis les treize religieuses du carmel de Bruxelles, chassées de leur couvent par la politique de Joseph II, frère de Marie-Antoinette, qui gouverne seul l’empire autrichien depuis 1780 et qui entend que les Flandres soient « balayées de tous les fainéants contemplatifs ». En « catholique éclairé », il pense que l’Eglise, soumise à l’Etat, doit participer à la construction du bonheur dès ici-bas. Pour cela, la foi doit être épurée de toute superstition et le clergé de ses membres parasites : contrairement aux enseignantes et aux hospitalières, les contemplatives, à ses yeux, ne contribuent en rien au bien commun. Pour recevoir ses sœurs bannies, Madame Louise ouvre son couvent où s’entasseront, en 1787, cinquante huit religieuses qui devront fraternellement apprendre à s’accepter mutuellement, malgré leurs différences d’habitudes et de mode de vie.
Elle qui avait tant souhaité qu’on oublie son état comprend peu à peu que par les relations que lui valent son rang, elle peut se mettre au service de l’Église. Toujours elle refusera d’intervenir en toute affaire de privilège ou de bénéfice, mais dès qu’il y va de l’intérêt de l’Ordre et de la défense de la pureté de la foi, elle se démène sans compter. Tout au long de sa vie, elle entretient une correspondance suivie avec de nombreuses personnalités, n’hésitant pas à jouer de son influence pour venir en aide à une communauté en difficulté, ou à encourager une vocation. Ainsi fait-elle parrainer par Marie-Antoinette Madame Lidoine qui, reconnaissante, prendra en religion le nom de Thérèse de Saint-Augustin. Devenue prieure du carmel de Compiègne, elle montera la dernière à l’échafaud après toute sa communauté, le 17 juillet 1794.
Madame Louise elle, ne connaîtra pas le martyre. Brutalement frappée par la maladie, elle meurt en 1787, âgée de cinquante ans. Ses dernières paroles disent toute son impatience pour enfin rejoindre l’Epoux en son Royaume : « Allons vite au galop, au Paradis ! » En son temps, elle avait déjà compris le prix des petits sacrifices quotidiens assumés avec discrétion et persévérance. Son plus grand titre de gloire se trouve dans la fidélité à un « Oui » renouvelé jour après jour. « L’héroïcité » de ses vertus, se fonde dans une constante attitude d’obéissance face à une réalité joyeusement assumée ; le secret de sa sainteté, dans l’intuition d’une « petite voie bien droite » : une voie royale !