Thérèse d’Avila impressionne souvent, paraît difficile à comprendre, parfois excentrique, pour le moins baroque. En un mot elle est mystique. Voilà de quoi décourager ou susciter tout au plus la curiosité. Il faut une grâce spéciale pour pouvoir surmonter ces a priori. Tout au plus admire-t-on comme l’une des gloires passées de l’Eglise cette femme qui eut une vie exceptionnelle. Mais si l’Eglise nous la propose en exemple, n’est-ce pas pour nous rappeler que la vie de foi est toute entière mystique ou qu’elle n’est pas. Elle est mystique au sens où elle est communion à la vie de Dieu. Il ne faut donc pas se laisser impressionner par les manifestations spectaculaires de la grâce dans l’expérience de Thérèse ; elles appartiennent à une culture qui en effet n’est plus la nôtre ; pourtant, la réalité de la foi qu’elle a vécue de cette manière est à vivre aujourd’hui tout autant qu’à son époque.
Je vais donc partir d’une expérience mystique qui, pour Thérèse, est au cœur de l’itinéraire de foi. Elle l’appelle la grâce d’union et la présente comme une expérience de la vie nouvelle en Christ. C’est une expérience profonde de l’amour de Dieu qui constitue un tournant décisif dans la vie de foi ; après un long cheminement durant lequel le croyant a fait l’expérience de sa faiblesse, de ses limites, de son incapacité à aimer Dieu comme il le désire, voilà qu’il lui est donné d’expérimenter, l’espace d’un instant, la fulgurance de l’amour révélé par le Christ.
Cette grâce libère de la peur et des fausses images de Dieu. Elle donne une liberté jusque là inconnue et le désir de donner sa vie en réponse à un tel amour. Cette grâce est d’une telle importance que Thérèse veut fournir un signe clair qui permette de l’identifier : Ce signe n’est autre qu’une certitude d’avoir reçu ce don de Dieu.
Thérèse affirme que la foi comme don de Dieu est source de certitude. C’est peu recevable aujourd’hui, car on se méfie des certitudes religieuses qui conduisent si souvent à des attitudes intolérantes voire fanatiques. Mais la certitude réellement donnée par Dieu n’est pas de cet ordre. C’est une certitude fondée sur l’humilité, sur la conscience que l’homme est faible, qu’il ne saurait posséder la vérité. Cette certitude est celle du pécheur qui se sait gratuitement aimé. Elle ne sert pas de protection contre l’angoisse, et elle ouvre pourtant à un amour plus fort que toute angoisse humaine.
Le disciple du Christ sait que Dieu seul peut être l’origine d’une telle certitude, car elle dépasse les capacités humaines. Thérèse déclare à ce propos : Le Seigneur nous fait une grâce en nous accordant la grâce d’union, mais c’en est une autre encore qu ‘il accorde lorsque nous comprenons de quelle grâce il s’agit, et le don qu ‘elle représente, et c’est encore une nouvelle grâce que de savoir en parler et de pouvoir donner à comprendre ce qui en est. (Vie XVII, 5)
L’union à Dieu est la grâce de nous en remettre filialement à la volonté de Dieu reconnue comme une volonté infiniment aimante. La grâce d’union est celle de pouvoir faire confiance à Dieu dans le Christ Jésus et de se laisser conduire par son Esprit. Cette grâce est capitale, mais tous n’ont pas conscience de l’avoir reçue. C’est pourquoi Thérèse affirme que c’est une nouvelle grâce que de comprendre la grandeur du don reçu. Pouvoir s’émerveiller de ce que nous portons en nous la certitude d’un amour inconditionnel est en effet une autre marque de son amour de Dieu. C’est la grâce de la relecture de notre confiance humaine comme signe de la vie de Dieu. Mais Thérèse ajoute un troisième temps, celui du témoignage ou de la mission : c’est encore une nouvelle grâce, dit-elle, que Dieu nous fait lorsqu’il nous rend capable de communiquer à d’autres notre expérience de son amour et de partager la confiance qui nous fait vivre.
Thérèse nous invite à prendre conscience, frères et soeurs, de cette certitude que Dieu a déposé en nos cœurs. Au sein même de notre condition humaine, si sujette à l’erreur, une certitude plus forte que toute mort nous fait vivre, nous donne de relire notre histoire à la lumière du don de Dieu et nous porte à partager avec d’autres, dans la douceur et l’humilité, la grâce de cet amour qui nous entraîne vers lui.
Fr. Olivier Rousseau, o.c.d.