« Tu es le Christ ! » La réponse n’allait pas de soi. Elle signifiait d’abord :« Tu es le Messie, le fondé de pouvoir de Dieu sur la terre, celui qui opère, au nom de Dieu, une mutation décisive de l’histoire humaine, celui qui vient réconcilier les hommes avec Dieu ».
Pierre a vu juste ; mais que met-il exactement sous le nom de Messie ? Probablement ce que les Juifs fervents y mettaient : l’espérance d’une extraordinaire rénovation des cœurs, mais de plus l’attente d’une restauration nationale pour Israël.
Jésus ne veut pas que l’on se trompe sur sa mission, sur son style, sur son message. C’est pourquoi :« il commença à leur enseigner » ..
Cet enseignement, réservé aux disciples, caractérise la seconde phase de la révélation de Jésus, révélation explicite, après la révélation progressive par paraboles et signes.
Mais la souffrance du Messie fait scandale pour Pierre. Nous aussi, nous voudrions le Messie sans la Passion, les Béatitudes sans la Croix, l’amitié de Jésus sans la conversion ; nous voudrions que l’histoire des hommes ne soit pas une histoire de salut.
En s’opposant à la Passion de Jésus, Pierre reprend le rôle du Satan, qui suggérait à Jésus de mettre à son service sa puissance et ses miracles. Pierre quitte sa place de disciple, qui doit marcher derrière Jésus. Suivre Jésus, ce sera toujours suivre un crucifié, mais nous le suivrons jusqu’à la gloire.
Il ne faut pas se méprendre sur la Passion du Christ, comme si Dieu n’était content que lorsque les hommes souffrent. Ce qui glorifie Dieu, c’est l’amour, et non la souffrance en soi. Et pour le Christ, le summum de la souffrance coïncide mystérieusement avec le summum de l’amour.
Nous devons paisiblement avouer que nous sommes en plein mystère. Pourquoi Dieu le Père a-t-il permis, et donc d’une certaine manière voulu, les souffrances de son Christ ? Nous devinons que quelque part en Dieu au sommet de l’amour répond le sommet de ce qui serait pour nous la souffrance. Mais là, plus nous approchons de Dieu, plus nous butons sur le mystère ; et il nous appartient, filialement, de le respecter.
Pour nous, les hommes, la souffrance doit toujours être replacée sur l’horizon de l’amour. Le fait que certains ou certaines autour de nous traversent maintenant un destin de souffrances ne doit pas assombrir notre vie ni tarir en nous l’espérance, comme si pour nous l’existence avec Dieu, notre Père et Ami, devait obligatoirement déboucher sur la souffrance. Ce serait désespérer de l’homme et de Dieu, et cela doit être abandonné, dans la paix et joyeusement, à la sagesse de Dieu.
Mais il faut rester prêt à souffrir si notre chemin d’amour passe par les épreuves. Dieu seul sait, Dieu seul pourrait le dire d’avance, et il faut laisser cela à son regard paternel et à son amour. Ce qui est sûr d’avance – et c’est le point d’appui de notre confiance et de notre joie – c’est que Dieu nous donnera toujours force et lumière pour porter avec amour la souffrance qui se présente dans notre vie.
La souffrance ne doit pas être anticipée ou imaginée, mais accueillie, quand elle se manifeste, de la main de Dieu ; en même temps il nous est demandé de comprendre, au maximum, ceux et celles qui passent longuement par l’épreuve.
Avec la souffrance, la joie est là, la confiance est notre chemin, et l’amour le sens de ce que nous vivons.
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.