La première lecture et le psaume nous rapportent des cris de joie après un temps de souffrance, de captivité, de déportation. De même, l’aveugle de l’Évangile, Bartimé, pousse son cri d’espérance vers Jésus « fils de David, aie pitié de moi ! ». Ce mendiant aveugle croise Jésus alors que celui-ci passe par Jéricho pour se diriger vers Jérusalem afin d’y célébrer la Pâque et en définitive pour y vivre sa propre Pâque. Et comme le signe prophétique, Jésus rend la vue à l’aveugle signifiant par là que la nuit n’est pas éternelle, que la lumière de la vérité et de l’amour l’emportera sur les ténèbres, même sur les ténèbres de cette foule qui l’acclame aujourd’hui et qui demain sera prêt à le lyncher.
Cette foi et cette espérance de l’amour victorieux du Seigneur, le peuple d’Israël l’a portée avant nous, comme nous le rappelle le prophète Jérémie lors de l’épreuve terrible de l’exil à Babylone, et plus récemment encore à travers la nuit de la Shoah pendant la seconde guerre mondiale. L’histoire du peuple de Dieu, d’Israël et de l’église, montre la présence discrète mais finalement victorieuse du Seigneur. Et la joie du prophète Jérémie et du psalmiste retentissent après des années d’obscurité où Israël aurait pu se croire définitivement abandonné.
À cette époque, le peuple élu avait perdu ce qui structurait sa vie, la terre promise, le roi donné par le Seigneur et le temple où il célébrait sa foi. Tout cela était des dons de Dieu et scellait l’alliance reçue au Sinaï. En effet, en sortant d’Egypte, Israël n’avait pas de terre, mais ils reçurent la terre qui leur avait été promise par le Seigneur, en signe d’alliance. La perdre, c’est perdre le don de Dieu, rien de moins. Dès lors comment croire à l’accomplissement de la promesse, si on perd ce qui matérialisait l’amour du Seigneur ? De même, comment accomplir la liturgie prescrite par la parole de Dieu s’il n’y a plus de temple ? Tout ce qui fondait leur foi et qui constituait leur soutien quotidien leur est soudain arraché. Comment ne pas désespérer, comment croire que le Seigneur ne les a pas abandonnés ?
Pendant l’exil à Babylone, Israël vit dans un extrême dénuement et vulnérabilité, il n’y a plus d’appui, dès lors Israël a fait l’expérience de dépendre entièrement de Dieu. Plus rien au monde ne lui donnait de motif d’espérance, il semblait pris dans une nuit sans fin. Il ne lui restait rien d’autre que la Parole à méditer, Parole écrite dans les livres sauvés du saccage, et sa foi dans la fidélité du Seigneur. Et un jour, la lumière a jailli dans leurs ténèbres. « Nous étions comme en rêve », se rappelle le psalmiste. L’explosion de joie rapportée par les lectures de ce jour témoigne de l’intensité de la libération. « Ils étaient partis dans les larmes, dans la consolation je les ramène », dit le Seigneur et Israël répond : « Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous, nous étions en grande fête ! »
Et le prophète Jérémie nous dit qu’à travers cette épreuve vécue dans la foi et l’espérance des choses ont bougé dans leur compréhension du mystère de Dieu. D’abord, le visage de Dieu apparaît plus clairement comme celui d’un père, aimant et présent aux côtés de ses enfants. La première lecture se conclut par cette révélation qui bouleverse notre relation avec le Seigneur : « je suis un père pour Israël ». Ensuite, le peuple d’Israël relisant cette expérience traumatisante de l’exil pourra dire a posteriori qu’elle lui a permis de grandir dans la foi : « qui sème dans les larmes, moissonne dans la joie ». Ainsi la joie manifestée n’est pas seulement la joie du retour, comme si on revenait en arrière, que l’on refermait une parenthèse douloureuse. Mais cette épreuve vécue dans la foi lui a permis de découvrir des réalités cachées et en particulier ce visage paternel et discret du Seigneur.
Le chemin de l’aveugle Bartimé dans la nuit de sa cécité symbolise ce cheminement de la foi à travers les épreuves qu’a connues le peuple d’Israël et aussi la nuit plus terrible encore de Jésus sur la croix. De même son cri de confiance vers Jésus symbolise cet élan de confiance qui touchera les entrailles de miséricorde du Père lorsque le peuple d’Israël demeurera fidèle dans l’exil et encore le cri de Jésus sur la croix, « en tes mains Seigneur, je remets mon esprit ». Et la lumière qui jaillit aux yeux de l’aveugle symbolise la joie du retour après l’exil et elle anticipe la lumière de Pâques qui resplendit encore aujourd’hui sur le visage du Christ et de l’Église.
L’histoire du peuple de Dieu, la vie de Jésus et les nôtres sont marqués par ces passages de l’ombre à la lumière, de la souffrance à la joie, de la mort à la vie, jusqu’au passage définitif à travers la mort corporelle pour la vie éternelle. Ce que l’histoire sainte d’Israël et de l’Eglise, la vie de Jésus, et ce qu’a profondément compris Ste Thérèse de l’enfant Jésus et de la Sainte Face, ce sont que les nuits que nous traversons ne sont que des passages où nous avons à tenir la petite lumière de l’espérance en attendant l’illumination de la venue de notre Père, et à travers ces épreuves nous pouvons découvrir le vrai visage de Dieu.
Notre véritable appui, celui qui peut vaincre toutes les ténèbres n’est pas loin de nous, il passe là sur la route, il est à nos côtés discrètement. Comme l’aveugle à Jéricho, ne craignons pas, même si c’est pour la millième fois, de nous lever et de crier vers lui : « fils de David, aie pitié de moi ! ». La vie et la joie rejailliront si nous tenons dans l’espérance.