Thérèse a rédigé successivement trois textes autobiographiques. Les deux premiers lui furent demandés à la suite de l’initiative de sa sœur aînée, sœur Marie du Sacré Cœur, tandis que la troisième le fut par l’intermédiaire de Mère Agnès, sa deuxième sœur aînée. Thérèse écrit donc ces manuscrits par obéissance à l’exception de la longue prière à Jésus dans le Manuscrit B. Elle n’imagine pas alors le retentissement qu’auront ces pages rédigées sur de modestes cahiers d’écolier. Thérèse ne fait ni brouillon, ni ratures : elle adopte le genre épistolaire pour raconter sa vie à celles qui lui ont demandé de le faire ou s’exprime sous la forme d’une prière dans le cas du manuscrit B. Cette manière de faire explique le ton simple et familier de ces écrits rédigés de façon très spontanée durant les courts moments de liberté dont disposait Thérèse.
Ces trois écrits ont en commun de mettre en valeur, en introduction et en conclusion, le thème de la miséricorde de Dieu. Thérèse veut « chanter les miséricordes du Seigneur » tout au long de ces pages et mettre ainsi en lumière les signes de l’Amour de Dieu dans sa vie.
Thérèse écrit pour mieux reconnaître les signes de l’Amour dans sa vie. Elle désigne certains événements comme ayant été de grandes grâces de Dieu, c’est-à-dire des dons gratuits que le Seigneur lui a fait pour lui donner de grandir dans l’amour. Nous regroupons ici les passages où Thérèse évoque ces événements. Il s’agit pour nous de savoir comme elle lire dans nos vies les manifestations de l’Amour. Elle a relu et interprété les événements de sa vie à la lumière de la foi, de la Parole de Dieu, des sacrements de l’Église et d’un engagement constant à y correspondre dans la confiance et l’amour.
I - Le sourire de la Vierge [A 29v°-30v°]
« Tout à coup la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n’avais rien vu de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffable, mais ce qui me pénétra jusqu’au fond de l’âme ce fut le « ravissant sourire de la Ste Vierge ». Alors toutes mes peines s’évanouirent, deux grosses larmes jaillirent de mes paupières et coulèrent silencieusement sur mes joues, mais c’était des larmes de joie sans mélange… Ah ! pensai-je, la Sainte Vierge m’a souri, que je suis heureuse… Sans aucun effort je baissai les yeux, et je vis Marie qui me regardait avec amour ; elle semblait émue et paraissait se douter de la faveur que la Sainte Vierge m’avait accordée… Ah ! c’était bien à elle, à ses prières touchantes que je devais la grâce du sourire de la Reine des Cieux. En voyant mon regard fixé sur la Sainte Vierge, elle s’était dit : « Thérèse est guérie ! » Oui, la petite fleur allait renaître à la vie, le Rayon lumineux qui l’avait réchauffée ne devait pas arrêter ses bienfaits ; il n’agit pas tout d’un coup, mais doucement, suavement, il releva sa fleur et la fortifia de telle sorte que cinq ans après elle s’épanouissait sur la montagne fertile du Carmel. »
II - Lecture de la vie de Jeanne d’Arc [A 32 r°]
« …en lisant les récits des actions patriotiques des héroïnes Françaises, en particulier celles de la Vénérable JEANNE D’ARC, j’avais un grand désir de les imiter, il me semblait sentir en moi la même ardeur dont elles étaient animées, la même inspiration Céleste. Alors je reçus une grâce que j’ai toujours regardée comme une des plus grandes de ma vie, car à cet âge je ne recevais pas de lumières comme maintenant où j’en suis inondée. »
Thérèse décrit ensuite la nature de cette grâce qui constitue la première expression de ce que nous appelons sa petite voie. Même si cette description porte l’emprunte de tout le chemin spirituel parcouru depuis par Thérèse, elle témoigne pourtant que la découverte de la petite voie (à l’automne 1894) est le fruit d’un itinéraire commencé dès l’enfance.
III - La première communion [A 35r°]
« Ah ! qu’il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme ! Ce fut un baiser d’amour, je me sentais aimée, et je disais aussi : " Je vous aime, je me donne à vous pour toujours." Il n’y eut pas de demandes, pas de luttes, de sacrifices ; depuis longtemps, Jésus et la pauvre petite Thérèse s’étaient regardés et s’étaient compris… »
IV - La grâce de lumière concernant la souffrance [A 36r°-v°]
« Je me souviens qu’une fois (Marie) me parla de la souffrance, me disant que je ne marcherais probablement pas par cette voie mais que le Bon Dieu me porterait toujours comme une enfant… Le lendemain après ma communion, les paroles de Marie me revinrent à la pensée ; je sentis naître en mon cœur un grand désir de la souffrance et en même temps l’intime assurance que Jésus me réservait un grand nombre de croix ; je me sentis inondée de consolations si grandes que je les regarde comme une des grâces les plus grandes de ma vie. La souffrance devint mon attrait, elle avait des charmes qui me ravissaient sans les bien connaître. Jusqu’alors j’avais souffert sans aimer la souffrance, depuis ce jour je sentis pour elle un véritable amour. Je sentais aussi le désir de n’aimer que le Bon Dieu, de ne trouver de joie qu’en Lui. »
A partir de ce jour, Thérèse apprend à vivre par amour cette réalité de la souffrance si présente dans sa vie depuis son plus jeune âge.
V - La grâce de Noël 1886 [A 44 r°/ 45r°-v°]
Cette grâce constitue un tournant décisif dans la vie de Thérèse :
« …le Bon Dieu me fait la grâce de n’être abattue par aucune chose passagère. Quand je me souviens du temps passé, mon âme déborde de reconnaissance en voyant les faveurs que j’ai reçues du Ciel, il s’est fait un tel changement en moi que je ne suis pas reconnaissable… Il est vrai que je désirais la grâce "d’avoir sur mes actions un empire absolu, d’en être la maîtresse et non pas l’esclave." [A 43v°]
« Ce fut le 25 décembre 1886 que je reçus la grâce de sortir de l’enfance, en un mot la grâce de ma complète conversion. … En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel… » [A 45r°-v°]
VI - La prière pour Pranzini [A 46v°]
La grâce de Noël conduit Thérèse à s’engager sur le chemin de la prière pour les pécheurs. Le signe qu’elle reçoit à propos de Pranzini, un condamné à mort pour lequel elle a ardemment prié, la confirme sur ce chemin :
« Ah ! depuis cette grâce unique, mon désir de sauver les âmes grandit chaque jour, il me semblait entendre Jésus me dire comme à la samaritaine : « Donne-moi à boire ! » C’était un véritable échange d’amour ; aux âmes je donnais le sang de Jésus, à Jésus j’offrais ces mêmes âmes rafraîchies par sa rosée Divine ; ainsi il me semblait le désaltérer et plus je lui donnais à boire, plus la soif de ma pauvre petite âme augmentait et c’était cette soif ardente qu’Il me donnait comme le plus délicieux breuvage de son amour… »
VII - Lecture des conférences de l’Abbé Arminjon [A 47r°-v°]
« A quatorze ans, avec mon désir de science, le Bon Dieu trouva qu’il était nécessaire de joindre "à la pure farine" du "miel et de l’huile en abondance." Ce miel et cette huile, il me les fit trouver dans les conférences de Monsieur l’abbé Arminjon, sur la fin du monde présent et les mystères de la vie future. … Cette lecture fut encore une des plus grandes grâces de ma vie, je la fis à la fenêtre de ma chambre d’étude, et l’impression que j’en ressens est trop intime et trop douce pour que je puisse la rendre… Toutes les grandes vérités de la religion, les mystères de l’éternité, plongeaient mon âme dans un bonheur qui n’était pas de la terre… (1Co.2,9) Je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux qui l’aiment (non pas avec l’œil de l’homme mais avec celui du cœur) et voyant que les récompenses éternelles n’avaient nulle proportion avec les légers sacrifices de la vie je voulais aimer, aimer Jésus avec passion, lui donner mille marques d’amour pendant que je le pouvais encore… (Gn.15,1) »
VIII - Mère Marie de Gonzague [A 70r°-v°]
« Le bon Père me dit encore ces paroles qui se sont doucement gravées dans mon cœur : "Mon enfant, que Notre Seigneur soit toujours votre Supérieur et votre Maître des novices." Il le fut en effet et aussi "Mon directeur". Ce n’est pas que je veuille dire par là que mon âme ait été fermée pour mes Supérieures, ah ! loin de là, j’ai toujours essayé qu’elle leur soit un livre ouvert ; mais notre Mère, souvent malade, avait peu le temps de s’occuper de moi. Je sais qu’elle m’aimait beaucoup et disait de moi tout le bien possible, cependant le Bon Dieu permettait qu’à son insu, elle fût TRES SEVERE ; je ne pouvais la rencontrer sans baiser la terre, il en était de même dans les rares directions que j’avais avec elle… Quelle grâce inappréciable !… Comme le Bon Dieu agissait visiblement en celle qui tenait sa place !… Que serais-je devenue si, comme le croyaient les personnes du monde, j’avais été "le joujou" de la communauté ?… Peut-être au lieu de voir Notre Seigneur en mes Supérieures n’aurais-je considéré que les personnes et mon cœur, si bien gardé dans le monde, se serait attaché humainement dans le cloître… Heureusement je fus préservée de ce malheur. Sans doute, j’aimais beaucoup notre Mère, mais d’une affection pure qui m’élevait vers l’Epoux de mon âme… »
IX - La profession religieuse [A 76v°-77r°]
« Le matin du 8 Septembre, je me sentis inondée d’un fleuve de paix et ce fut dans cette paix "surpassant tout sentiment" que je prononçai mes Saints Vœux… (Ph 4,7 ; Is 66,12) Mon union avec Jésus se fit, non pas au milieu des foudres et des éclairs, c’est-à-dire des grâces extraordinaires, mais au sein d’un léger zéphyr, semblable à celui qu’entendit sur la montagne notre père Saint Elie… (1R 19,11-13) … Je me suis offerte à Jésus afin qu’Il accomplisse parfaitement en moi sa volonté sans que jamais les créatures y mettent obstacle…(Mt 6,10) … Quelle belle fête que la nativité de Marie pour devenir l’épouse de Jésus ! C’était la petite Sainte Vierge d’un jour qui présentait sa petite fleur au petit Jésus… ce jour-là tout était petit excepté les grâces et la paix que j’ai reçues, excepté la joie paisible que j’ai ressentie le soir, en regardant les étoiles scintiller au firmament, en pensant que bientôt le beau Ciel s’ouvrirait à mes yeux ravis et que je pourrais m’unir à mon Époux au sein d’une allégresse éternelle… »
X - « Chanter les miséricordes du Seigneur » [A 83v°]
Thérèse vient d’énumérer tous les désirs que le Seigneur a exaucé durant ses années de vie religieuse et elle s’écrie :
« O ma Mère chérie ! après tant de grâces ne puis-je pas chanter avec le psalmiste : "Que le Seigneur est BON, que sa MISÉRICORDE est éternelle." »
XI - L’offrande à l’Amour miséricordieux [A 84r°]
« Cette année, le 9 Juin, fête de la Sainte Trinité, j’ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé. … Ma Mère chérie, vous qui m’avez permis de m’offrir ainsi au Bon Dieu, vous savez les fleuves ou plutôt les océans de grâces qui sont venus inonder mon âme… Ah ! depuis cet heureux jour, il me semble que l’Amour me pénètre et m’environne, il me semble qu’à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et n’y laisse aucune trace de péché… »
XII - La vocation de l’amour [B 2v°]
« O mon Bien-Aimé ! cette grâce n’était que le prélude de grâces plus grandes dont tu voulais me combler. »
La grâce dont parle Thérèse est celle d’un rêve dans lequel elle voit la vénérable Mère Anne de Jésus, fondatrice du Carmel en France au début du 17e siècle, lui confirmer qu’elle ne se trompe pas en faisant confiance à la Miséricorde. Thérèse évoque alors sa vocation de carmélite pour exprimer son insatisfaction. Ses désirs vont encore au-delà, vers ce lieu que Dieu lui donne, le cœur de l’Eglise pour qu’elle y soit l’Amour.
XIII - La nuit de la foi [C 4v°]
« Ah ! si l’épreuve que je souffre depuis un an apparaissait aux regards, quel étonnement ! Mère bien-aimée, vous la connaissez cette épreuve ; je vais cependant vous en parler encore, car je la considère comme une grande grâce que j’ai reçue sous votre Priorat béni. »
Thérèse considère comme une grande grâce l’épreuve qui la plonge dans la nuit de la foi : dépouillée de toute consolation sensible, elle choisit d’aimer Dieu d’un amour de gratuité pour vivre son combat en communion avec les incroyants.
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