I - Les origines d’un renouveau
Doña Teresa de Ahumada avait vingt ans lorsqu’elle entra à l’Incarnation d’Avila. Les fréquentes visites des séculiers, l’absence de clôture et la grande pauvreté y avaient fait naître bien des abus, ce qui n’empêchait pas, cependant, la présence d’un bon noyau de religieuses ferventes. D’emblée, Thérèse en fit partie, même si pendant de longues années, elle résista à Dieu. Dans sa quarantième année, une grâce puissante lui donna la force de se décider pour lui seul. Cette femme, éminemment douée humainement et spirituellement, était prête à entreprendre l’œuvre que Dieu lui destinait.
Thérèse avait conscience que l’idéal premier du Carmel n’était pas intégralement vécu dans son couvent. Sa soif de prière, de silence, de solitude allait grandissant. D’autre part, en 1560, un appel de Philippe II lui avait fait connaître les plaies infligées à l’Église par la réforme protestante. « J’aurais volontiers sacrifié mille vies pour une seule de ces âmes qui se perdaient ! », s’écrie-t-elle. Que faire pour que ce désir intense d’une vie à la fois purement contemplative et pleinement apostolique devienne réalité ? Une conversation fortuite fit naître dans l’esprit de la sainte l’idée de fonder un monastère de religieuses déchaussées où serait observée dans toute sa rigueur la règle « primitive » de l’Ordre.
II - La fondation de Saint-Joseph d’Avila
Dieu lui ayant fait comprendre qu’il voulait cette fondation, Doña Teresa se mit à l’œuvre de toute son ardeur. Prévoyant l’opposition du provincial des carmes, elle suivit la recommandation de ses conseillers ecclésiastiques : en grand secret et par l’intermédiaire d’amis sûrs, elle s’adressa au Saint Siège afin d’obtenir pour son carmel un rescrit qui la placerait sous la juridiction de l’évêque du lieu et le privilège de la pauvreté absolue. Ce document lui ayant été accordé le 7 février 1562, Don Alvaro de Mendoza, évêque d’Avila, accepta de prendre le futur monastère sous son obédience. Déjà la fondatrice avait acheté et fait aménager une petite maison avec l’aide de sa sœur Juana, de son beau-frère Juan de Ovalle et de son amie Doña Guiomar de Ulloa. Le 24 août, tout étant prêt, Thérèse de Jésus ainsi qu’elle se nommera désormais va s’enfermer avec quatre novices dans son tout petit monastère dédié à saint Joseph. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un violent orage contre le nouveau couvent et sa fondatrice.
Le jour même, la prieure de l’Incarnation ordonna à Thérèse de réintégrer sa communauté. Sans hésiter, la carmélite obéit. Le lendemain, on soumit son cas au provincial, Ange de Salazar, qui fut conquis par son humilité. Il lui promet de la laisser rentrer à San José, si la fondation subsiste. Car dans la ville, on s’était juré de faire disparaître ce monastère fondé sans rentes. La tempête s’étant calmée, Thérèse y retourna fin 1562 ou au début de l’année 1563. Peu à peu, elle organise la vie conventuelle et rédige ses constitutions, chef-d’œuvre d’équilibre humain et spirituel.
IV - De nouvelles fondations féminines … et masculines !
Ayant appris par un missionnaire, en 1566, la grande misère spirituelle des Indiens du Nouveau Monde, elle supplie le Seigneur de lui donner d’attirer des âmes à son service. Elle reçut cette réponse : « Tu verras de grandes choses ! ». La promesse divine devait se réaliser sans tarder. Lors de sa visite canonique à Avila l’année suivante, le prieur général Rubeo ne se contenta pas d’approuver l’œuvre de la Madre. Il lui donna des patentes pour fonder dans les provinces de Nouvelle et Vieille Castille d’autres monastères en nombre illimité et soumis à la juridiction immédiate du Père Général. Quant à l’érection de couvents de carmes déchaux, le père de l’Ordre se montra moins empressé. Mais Thérèse parvint à vaincre ses réticences et, par lettre du 10 août 1567, il lui donna licence de fonder deux maisons de « carmes contemplatifs » qui devront rester perpétuellement soumises à la province de Castille.
La même année, un deuxième monastère de carmélites fut érigé à Medina del Campo. La fondatrice y rencontra les deux premiers carmes qui embrasseront la réforme : le prieur du couvent de cette même ville, Antoine de Heredia, et un jeune étudiant carme, Jean de Saint-Mathias, qui allait devenir Jean de la Croix. En 1568, deux autres fondations de moniales furent réalisées à Malagon et Valladolid, suivies, le 28 novembre, par la fondation dans la plus grande pauvreté, d’un premier et minuscule couvent de carmes déchaux à Duruelo. Antoine de Jésus, Jean de la Croix et le diacre frère Joseph firent leur nouvelle profession selon la règle « primitive ».
V- Extension et difficultés de juridictions
Avec la bénédiction de Rubeo, la réforme continua de s’étendre rapidement : entre 1570 et 1574, le prieur général donna des patentes pour la fondation de sept couvents de déchaux, leur interdisant toutefois, à une exception près, de fonder en Andalousie. Une dérogation à cette défense allait susciter une tempête contre eux.
Les rois d’Espagne s’étaient arrogé des privilèges très étendus : proposer des candidats pour les sièges épiscopaux ; relever de toutes peines ecclésiastiques, y compris l’excommunication ; soumettre la publication des décrets pontificaux au placet royal. Un ministre de Philippe II disait, non sans raison : « En Espagne, il n’y a pas de pape. »
Voulant réformer tous les Ordres religieux d’Espagne, le roi chercha à obtenir pleins pouvoirs du Saint Siège, qui se récusa sous prétexte que le concile de Trente traiterait de cette réforme. Le 2 décembre 1563 fut promulgué, en effet, le décret conciliaire De regularibus qui confiait le renouvellement des instituts religieux à leurs supérieurs respectifs. Pour tenter d’obtenir mainmise au moins sur l’Ordre du Carmel, dont le chapitre général était proche, Philippe II tenta de faire nommer, par le pape et le nouveau prieur général, un vicaire général pour l’Espagne. Rubeo réagit avec une prudence consommée : il fixa les pouvoirs de l’hypothétique vicaire général et annonça à Philippe II qu’il viendrait en personne introduire la réforme du concile de Trente dans les provinces du royaume. Ayant obtenu un bref pontifical à cet effet, Rubeo arriva à Madrid en juin 1566 pour se munir du placet royal et rencontrer Philippe II, qui le reçut aimablement.
Le général commença sa visite par l’Andalousie, où il constata de nombreux abus et des divisions tenaces, dus surtout aux agissements du provincial, Gaspard Nieto, de ses frères Melchior et Balthasar et de leurs partisans. Il punit sévèrement les fauteurs de désordre et promulgua au cours du chapitre final ses institutions et ordonnances, réelles constitutions conformes aux décrets tridentins. Mais à peine Rubeo s’était-il éloigné de cette province, que les carmes châtiés et excommuniés se mirent à intriguer odieusement contre lui à la cour royale, où ils furent relevés de leurs peines. Le général poursuivit sa visite canonique par le Portugal, « province bénie, exemplaire quant à la vie commune et de grande observance » dira-t-il. Il la termina par la Castille, l’Aragon et la Catalogne dont l’état était assez bon malgré le petit nombre des religieux.
Pendant ce temps, des négociations se poursuivaient en grand secret entre la cour de Madrid et la curie romaine. Philippe II voulait pousser plus loin la réforme et finit par obtenir deux brefs (décembre 1566 et avril 1567) qui, pour le renouveau, soumettaient les Ordres religieux d’Espagne aux évêques. Mais à la suite de plaintes multiples, saint Pie V choisit d’autres visiteurs et nomma pour le Carmel, le 20 août 1569, trois dominicains : Pierre Fernandez en Castille, Michel de Hebrera en Catalogne et Aragon, et François de Vargas en Andalousie. Pour le temps de la visite, leur autorité primait sur celle du pouvoir ordinaire du général. Il leur était pratiquement donné carte blanche pour tout ce qui regardait la réforme et leurs pouvoirs pouvaient être délégués à d’autres dominicains ou à des carmes. Certaines imprécisions, des interprétations divergentes du document de nomination des dominicains et surtout le fait que Rubeo avait conservé les mêmes droits de commissaire apostolique allaient provoquer de graves litiges entre chaussés et déchaux.
VI - L’émergence du conflit entre déchaux et chaussés
Le P. Fernandez mit des déchaux à la tête de plusieurs couvents de l’antique observance en Castille, afin de les réformer conformément au désir du roi. Pour organiser les maisons des déchaux, il nomma vicaire provincial Balthasar de Jésus (Nieto) qui s’était joint à eux. Et en 1571, le visiteur envoya Thérèse de Jésus à l’Incarnation d’Avila en qualité de prieure, afin d’amener les religieuses à une vie plus régulière. Malgré le mécontentement causé par ces dispositions parmi certains chaussés, la visite de Fernandez fut un succès : Rubeo décida, en 1575 au chapitre de Plaisance, que ses décrets devaient être mis en pratique.
En Andalousie, la situation était bien plus grave. La visite du P. de Vargas, dont le jugement n’était pas à la hauteur de la tâche, n’y eut pas plus d’effet que celle du prudent et vénérable père général. Le seul moyen efficace pour la réforme de cette province lui sembla l’introduction des déchaux, malgré l’interdiction formelle de Rubeo. Il embarqua ainsi la jeune réforme dans une situation juridique inextricable. Même si, légalement, la décision du visiteur pouvait se défendre, elle fut un désastre pour l’Ordre tout entier. Après avoir remis, en novembre 1572, le couvent de Saint-Jean-du-Port à deux religieux déchaux descendus fortuitement en Andalousie, le visiteur fit venir de Castille, l’année suivante, le P. Balthasar de Jésus pour la fondation de Grenade et le P. Gabriel de la Conception pour celle de la Penuela. Ce sont donc d’anciens chaussés rebelles et gravement sanctionnés par Rubeo, qui firent les premières fondations de déchaux en Andalousie.
Le 28 avril 1573, Vargas nomme Balthasar de Jésus supérieur des trois couvents et lui délègue ses propres pouvoirs de visiteur pour les chaussés et les couvents de déchaux fondés ou à fonder en Andalousie. Il lui enjoint aussi d’établir une nouvelle maison à Séville. Cependant, le 4 août de la même année, Balthasar Nieto transmet ses pouvoirs à un jeune déchaux, frais émoulu du noviciat, très brillant mais manquant totalement d’expérience : Jérôme Gratien de la Mère de Dieu. Sous prétexte d’accompagner Ambroise Mariano, un autre déchaux, qui devait se rendre en Andalousie pour affaires, il quitta la province de Castille sans bruit. Lorsque son provincial le rappela, Vargas prit la défense de Jerôme Gratien. En octobre, celui-ci rendit la maison de Saint-Jean-du-Port aux carmes chaussés et, en janvier 1574, ouvrit un nouveau couvent de déchaux à Séville. Il en informa le P. Rubeo qui lui écrivit une lettre sévère, l’accusant d’avoir « agi contrairement à l’obéissance alors qu’il était à peine un novice. » Gratien, convaincu que ses pouvoirs apostoliques étaient supérieurs à ceux du général, ne lui écrivit jamais plus, malgré les instances de Thérèse de Jésus.
Le 13 juin de la même année, Vargas alla plus loin en nommant Gratien vicaire provincial des « carmes, primitifs comme non primitifs » d’Andalousie, lui ordonnant d’accepter sous peine d’excommunication et de rebellion. De plus en plus irrité, Rubeo obtint de Grégoire XIII, par un motu proprio du 13 août 1574, la révocation des visiteurs dominicains, à condition que soit maintenu ce qu’ils avaient décrété. Les carmes seraient visités dorénavant par leur prieur général ou ses délégués. Le nonce Ormaneto conservait pourtant ses pouvoirs apostoliques pour la réforme des Ordres religieux. Ne jugeant pas achevée celle des carmes, il la prit personnellement en mains et, le 22 septembre, nomma Vargas et Gratien solidairement visiteurs d’Andalousie. En réalité, la visite allait reposer presque exclusivement sur les jeunes épaules du déchaux.
Thérèse de Jésus était enchantée des progrès de ses fils en Andalousie, tout en regrettant le déplaisir du prieur général. Elle avait repris ses fondations avant la fin de son priorat à l’Incarnation : le monastère de Ségovie fut érigé en 1574. Puis, libérée de sa charge, elle se rendit à Beas qu’elle ne croyait pas être en Andalousie. Beas l’était pourtant et la Madre se trouvait ainsi soumise à la juridiction de Gratien, qu’elle n’avait encore jamais vu. C’est à Beas qu’ils allaient se rencontrer. La fondatrice, bien plus âgée que Gratien, fut tellement charmée par le brillant jeune carme qu’elle lui donna immédiatement toute sa confiance. Belle preuve que cette grande mystique avait su conserver intacte toute sa féminité. En mai 1575, à la demande de Gratien, elle part fonder à Seville, persuadée de la supériorité des pouvoirs de Gratien sur ceux de Rubeo.
VII - Le chapitre général de Piacenza
Cette fondation coïncidait, à quelques jours près, avec l’ouverture du chapitre convoqué par le prieur général à Plaisance pour le 21 mai 1575. La révocation des visiteurs dominicains fut lue officiellement. Les décrets du chapitre général interdisent aux « contemplatifs » de former une province ou congrégation séparée de la province de Castille ; ceux qui ont ouvert des maisons contre la volonté du général devront être déposés de leurs charges ; les couvents de Grenade, Séville et La Peñuela doivent être abandonnés dans les trois jours. Le verdict était sévère… L’une des décisions du chapitre ne fut pas rendue publique, mais communiquée directement à Thérèse de Jésus : elle se voyait assignée à résidence dans un monastère de son choix. La Madre se décida pour Tolède.
Le 3 août 1575, le nonce Ormaneto donna à Gratien des patentes de visiteur de tous les chaussés et déchaux d’Andalousie et des déchaux de Castille. Fort de ces pouvoirs et s’appuyant sur le désir, exprimé verbalement par le nonce, Gratien se crut en droit d’ériger, par lettre du 3 août 1576, « une province et congrégation » soumise immédiatement au prieur général, laquelle comprendrait toutes les maisons de déchaux, fondées ou à fonder, afin qu’ils puissent vivre de manière uniforme. En même temps (28 août), le visiteur convoquait un chapitre des déchaux à Almodovar, où ils se trouvèrent réunis le premier septembre. Il parait clair que, dans ce cas, Gratien outrepassa ses droits.
La guerre ouverte ne tarda pas à éclater. Le 5 août 1576, le P. Jerôme Tostado, délégué de Rubeo pour l’application des décrets de Plaisance, arrive en Espagne, mais va tout d’abord visiter le Portugal : le 18 juin 1577, le protecteur des déchaux, le nonce Ormaneto, meurt. Son successeur, Mgr Sega, arrive le 29 août, prévenu contre eux. Le même mois, Tostado est à Madrid. Le nouveau nonce interdit à Gratien de poursuivre la visite. Le déchaux se soumet, s’attendant au pire. Tostado intervient à l’Incarnation d’Avila, où les sœurs veulent réélire Thérèse de Jésus, qui de fait n’était plus éligible. Le provincial des carmes préside l’élection qui fut orageuse. Le 3 décembre, Jean de la Croix et son compagnon, chapelains du couvent, sont emmenés de nuit comme des malfaiteurs. Après avoir gouverné lui-même les déchaux jusqu’au 16 octobre, Tostado les plaça sous la juridiction des provinciaux de Castille et d’Andalousie.
Le 5 septembre 1578, le grand Rubeo avait rendu son âme à Dieu. En apprenant la nouvelle, Thérèse de Jésus est dans le plus grand chagrin. Si on avait eu recours à lui, toutes les difficultés seraient aujourd’hui aplanies, écrit-elle, sans doute avec raison.
VIII - De la province autonome des carmes déchaux à un nouvel Ordre
Le premier avril 1579, le prudent et bienveillant P. Ange de Salazar était nommé Vicaire Général des déchaux. Après avoir examiné à fond le conflit qui divisait les carmes, le nonce engagea Philippe II à s’adresser au pape pour obtenir l’érection d’une province séparée des fils de sainte Thérèse. Grégoire XIII répondit favorablement par le bref du 22 juin 1580. Au premier chapitre des déchaux, tenu en mars 1581 à Alcalà, Jérôme Gratien fut élu provincial.
Thérèse, bien que « vieille et cassée », fonda, en 1580, les monastères de Villanueva de La Jara et Palencia, et l’année suivante celui de Soria. En 1582, La Madre fundadora érigea à Burgos son dernier carmel au prix de grandes épreuves. La mère du Carmel rénové mourut à Alba de Tormès le 4 octobre 1582. On comptait alors 15 couvents de déchaux et 17 de carmélites déchaussées.
A la fin du provincialat de Gratien, le chapitre de Lisbonne (1585) lui donna pour successeur, sur sa proposition, le P. Nicolas de Jésus-Marie Doria, un Gênois austère qui mettait l’accent moins sur la contemplation débordant en apostolat que sur l’observance régulière. Il se proposait avant tout l’entière séparation des déchaux d’avec les chaussés. Deux ans déjà après son élection, il obtient un bref du pape érigeant les déchaux en congrégation indépendante, soumise immédiatement au prieur général et gouvernée par un vicaire général. L’année suivante, Nicolas de Jésus-Marie est élu à cette charge. Sans tarder, il institua un nouveau mode de gouvernement sur le modèle des Jésuites et des Congrégations sans Chapitres Généraux, la Consulta, formée par le vicaire général et son conseil à laquelle sont remis tous les pouvoirs.
Les carmélites craignaient que Doria ne touchât aussi à leurs lois. La prieure de Madrid, Anne de Jésus, à l’insu de Doria, s’adresse alors a Sixte-Quint et obtient un bref confirmant les constitutions des moniales approuvées à Alcalà, du vivant de Thérèse de Jésus. Le vicaire général se fâche à outrance et menace d’abandonner le gouvernement des carmélites. Saint Jean de la Croix proteste contre cette résolution et contre le dessein de Doria de chasser Gratien de l’Ordre. Tombé en disgrâce, le docteur du Carmel sort du chapitre de Madrid sans charge aucune. Il se rend, serein, à La Penuela, puis à Ubeda, où après de grandes souffrances physiques et morales, il meurt dans la joie le 13 décembre 1591. Le sort de Gratien fut tragique : après un procès inique, Doria l’expulsa du Carmel rénové en 1592. Vingt-deux ans plus tard, le collaborateur de sainte Thérèse mourut paisiblement, réintégré chez les grands carmes de Bruxelles.
Le supérieur des déchaux se voyait enfin libre d’agir selon ses vues, puisque les résistants avaient disparu. La réforme suivrait désormais ses propres chemins. Au chapitre général de Crémone, en 1593, Doria fit présenter une supplique demandant « pour le bien de la paix, de la tranquillité et de l’augmentation de tout l’Ordre, comme de la congrégation des déchaux, leur séparation totale d’avec l’antique observance en vue de former un Ordre indépendant. » Le chapitre répondit par un vote favorable, confirmé le 20 décembre de la même année, au moyen de la bulle « Pastoralis officii », par Clément VIII, qui nomma Doria premier préposé général de l’Ordre des carmes déchaux. L’année suivante, le « Lion du Carmel » mourut à l’âge de 55 ans. On lui a fait dire : « Même après ma mort, mes os, s’entrechoquant dans la tombe, crieront encore : observance, observance… »
Séparées juridiquement, les deux branches du Carmel restent néanmoins unies par leurs origines et leur patrimoine spirituel communs. D’ailleurs, comme par une ironie de l’histoire, Thérèse de Jésus et Jean de la Croix étaient morts au sein de l’ancien Carmel indivis.