Les Commentaires du poème Adonde te escondiste… furent d’abord oraux : « Frère, qu’est-ce que cela veut dire pour nous ? » À la demande de sœurs, de frères et de séculiers, Jean de la Croix explique le sens des strophes et de chaque vers.
Les différentes versions
Le Cantique spirituel, poème et commentaires vers après vers, est une interprétation mystique du Cantique des Cantiques. Même si Jean de la Croix fut l’auteur des commentaires – ce qui reste contesté par certaines critiques linguistiques -, demeure la question du bouleversement des strophes et commentaires à partir d’une première rédaction de 39 strophes qui semble déjà avoir été opérée en trois ou quatre fois. Nous n’avons pas de textes autographes, sinon quelques annotations marginales de la main de Jean sur le manuscrit dit de Sanlúcar de Barrameda qui donne le texte ordinairement appelé A et annonce une amélioration de l’ensemble du texte. Ce sera la version B.
Quelle est donc la raison du remaniement du Cantique spirituel ? Est-elle apparue comme nécessaire à Jean lui-même après la rédaction des autres écrits et à la relecture d’un premier commentaire ? Jean aurait lui-même progressé dans la connaissance du « chemin spirituel » ! Ce sont les raisons ordinairement avancées. Si Jean prend le risque de bouleverser l’ordre interne des strophes, sans en changer un mot, c’est plus sous la pression des commentaires eux-mêmes qui ne lui apparaissent plus suffisamment ordonnés. Outre le « sommaire » ajouté, avec apports et modifications, il place une « remarque » au début de chaque commentaire des strophes pour rendre le texte plus structuré.
Des polémiques se sont développées dans les années 1930 concernant l’authenticité du contenu des enseignements, en particulier celui qui décrit la capacité d’une plénitude de l’expérience mystique dans le temps (Cantique A), repoussée dans l’éternité (Cantique B)… Certains critiques vont jusqu’à ne retenir comme authentiques que les poèmes. Mais ils sont très minoritaires. Nous possédons nombre de copies des textes A et B, voire A’ qui intercale la strophe 11. Elles datent donc du temps de la vie de Jean (Sanlúcar) et un texte proche de Sanlúcar est édité dans une traduction française dès 1610, A’ parce qu’il inclue la strophe ajoutée et son commentaire.
Il demeure que la première version du poème est le chef-d’œuvre, dont les 31 premières strophes ont été composées dans cachot de Tolède, en 1578. Les commentaires du Cantique B se veulent tout à la fois, didactiques, récapitulatifs et exhaustifs de l’enseignement de Jean sur la vie d’oraison, tel qu’il apparaît dans le « sommaire » ajouté. Comme l’indiquent aussi les « remarques », il est didactique quand il décrit les étapes de la vie spirituelle : commençants, progressants, avancés, parfaits, bienheureux… Il est récapitulatif quand il y reprend les enseignements donnés dans La vive Flamme d’Amour sur l’expérience béatifique… Il est exhaustif, tout en estimant intégrés des enseignements des Écrits précédents, telle la passivité, mais reprenant et développant tout le parcours spirituel sous le mode des merveilles de l’œuvre de Dieu.
Il semble que le Cantique spirituel B a été rédigé en 1584. Les premières éditions (1618) ne reprennent pas le Cantique spirituel. En 1630 seulement est édité le Cantique spirituel (A).
Quel texte retenir ?
À la lecture des deux commentaires A et B, il est facilement perçu que les commentaires se font vers après vers, même si une réflexion théologique est plus développée en B, comme cela se voit dès la strophe 1. Apparemment, le bouleversement des strophes ne change en rien le mouvement général du texte.
Mais progressivement, outre le bouleversement des strophes, le commentaire peut diverger : soit qu’il diverge tout à fait, allant jusqu’à supprimer ; soit qu’il atténue l’expérience en la repoussant dans « la vie éternelle », alors qu’il intègre dans le nouveau texte les données de La vive Flamme d’amour.
Il est vrai que nous n’avons pas de textes originaux de Jean, sauf des annotations sur un manuscrit, dit de Sanlúcar de Barrameda. À quoi attribuer cette situation : Jean avait un secrétaire ! Des originaux furent-ils détruits par peur des répressions inquisitoriales ? Ses commentaires ont-ils été sinon rédigés, du moins corrigés, afin d’élaborer une doctrine orthodoxe ? Les éditeurs des siècles précédents et les traducteurs n’hésitaient aucunement à modifier, alléger, développer, synthétiser les textes.
Il importe de garder l’élan poétique, c’est pourquoi nous choisissons de suivre ici l’ordre de la version appelée A’, en renvoyant après chaque strophe au texte du Cantique spirituel B, la dernière version.