Le Cantique des Cantiques pour Jean
Le Cantique des Cantiques, livre majeur de la Bible, célèbre l’amour réciproque du Bien-Aimé et de sa bien-aimée. Il est depuis ses origines le livre de chevet de ceux qui vivent de cet amour divin. La liturgie juive lui fait grande place.
La symbolique nuptiale, appelée plus ordinairement « alliance », est présente tout au long de la Bible ; elle apporte sens à la vie en ses différents états : homme et femme, père et mère, enfant, frère et sœur, maître et serviteur… et sert finalement de langage à l’expérience spirituelle. Elles sont d’ailleurs significatives les hésitations à définir le Cantique des cantiques comme chant d’amour humain, mais aussi divin ! L’imaginaire est marqué par la sexualité.
L’humanité, homme et femme, est par elle-même la réalité vivante la plus expressive de Dieu et de notre vie en Lui. Dans notre foi où nous affirmons que « Le Verbe s’est fait chair » [Jean 1, 14], dès les origines « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-là » [Genèse 1, 27-28]. Jésus rappelle cette origine et en précise le but : « Ils ne seront plus deux, mais une seule chair » [Matthieu 19, 6]. Avec lyrisme, l’apôtre Paul parle de la révélation du mystère d’amour du Christ pour son Église qu’il désire « purifiée par le baptême, resplendissante, sans tache ni ride » [Éphésiens 5, 1—6, 9].
À cause de son attrait de l’humain et de ses capacités culturelles, par sa fréquentation assidue des Écritures, Jean de la Croix savait par cœur le Cantique des cantiques, dans le texte de la Vulgate, en latin donc, la langue connue des clercs à l’époque. Comme en une inspiration divine propre à la rédaction des Écritures, il compose son poème au moment le plus pénible de son enfermement à Tolède, parce qu’il pèse de sa longueur. Par la suite, la commentant vers après vers, il traite « sa traduction » avec le même respect que celui rendu aux Écritures.
Au moment de sa mort, le 14 décembre 1591, Jean demandera qu’on lui lise le Cantique des Cantiques, plutôt que d’entendre la prière des agonisants.
Chacun est appelé à vivre de ce mystère. Dans un amour qui est don de soi et qui construit l’unité, s’éclairent les relations de l’homme et de la femme, des parents et de l’enfant. Déjà, la psychologie montre la complémentarité du masculin et du féminin (Jung) faite pour apporter à la vie joie, fécondité et pacification de l’un par l’autre. Au cœur des épousailles et de la filiation spirituelles, telles qu’en parlent Thérèse de Jésus et Jean de la Croix, chacun découvre en lui-même son identité première et puise la plénitude de sa vie divine, reçue et partagée. D’une manière plus signifiante, la femme consacrée au Christ Époux montre à toute l’Église et au monde cette unité. C’est pourquoi Jean dédicacera le Cantique spirituel à une jeune carmélite, sœur Anne de Jésus.
Les étapes du Cantique des Cantiques
Le Cantique des cantiques, texte liturgique du judaïsme, est composé dans la première moitié du 4e siècle avant le Christ, après l’exil, à partir de poèmes de l’amour humains plus anciens. Il chante l’amour du Seigneur pour son peuple, jusque dans la description allégorique de sa terre. L’accomplissement plénier de l’amour est indéfiniment repoussé, ce qui permet son interprétation messianique, surtout dans le christianisme. Pour le croyant, le poème se développe au rythme de l’amour entre Dieu et l’âme. Le Bien-Aimé se laisse entrevoir, il s’éloigne ou se rend proche, et puis se donne. Sa bien-aimée le cherche avec ardeur et finit par le posséder.
On peut discerner dans le poème Adonde te escondiste… le même déploiement scénique que dans le Cantique des cantiques attribué à Salomon. Le plan retenu du Cantique des cantiques est ordinairement le suivant :
- Un prologue : Ct 1, 1-3 dans lequel l’épouse désire retrouver son Époux.
- 1. Le désir et la promesse des Amants : Ct 1, 4-16 et 2, 1-7, anxiété de l’exilée, espérance, charme de la bien-aimée, dialogue, admiration réciproque…
- 2. La venue du Bien-Aimé : Ct 2, 8-17 et 3, 1-5, recherche mutuelle, éloge du Bien-Aimé, leur passion partagée…
- 3. La célébration des noces : Ct 3, 6-11 ; 4, 1-16 ; 5, 1, cortège triomphal du Roi, révélation de la passion de l’Époux, lieu de la rencontre, accueil et don entier de l’épouse…
- 4. La révélation du Bien-Aimé : Ct 5, 2-17 et 6, 1-2, réticence de la bien-aimée et retards, manque, violence de l’attachement, possession mutuelle…
- 5. La révélation de la bien-aimée : 6, 3-12 ; 7,1-13 et 8, 1-4, vers le dénouement, l’Époux chante les grâces de la bien-aimée, véhémentes déclarations d’amour, passion de l’épouse qui n’a pas achevé son sommeil.
- L’épilogue : 8, 5-7, dénouement, l’Époux opère le réveil et exige un amour éternel.
- Appendices : 8, 8-14
Contrairement aux traités de La Montée du Carmel et de la Nuit obscure qui sont d’abord didactiques, même si le poème En una noche oscura… [Durant une nuit obscure…] s’y voient comme enchâssés, les commentaires de Adonde te escondiste… et de Oh llama de amor viva… [Ô flamme par amour vive] suivent le plus souvent le mot à mot des vers. Le poème parle à tous, les commentaires du CSA ou CSB ne peuvent être que partiels, comme il est écrit : " Je demande qu’on ne se croie pas tenu de s’attacher à l’explication " [CS Prologue, 2].
Les Commentaires sont là d’ailleurs pour acheminer à une compréhension plus profonde du poème. S’ils partent du poème, ils y renvoient plus encore. Étant donné leur genèse, les trente et une premières strophes pourraient faire un seul ensemble. Mais à partir de l’expérience spirituelle sous-jacente, un mouvement et plusieurs ensembles peuvent être dégagés de la version de quarante strophes, appelée A’.
- Dans les quatre premières strophes, la recherche du Bien-Aimé
- Le désir de l’union avec le Bien-Aimé se fait inévitablement douloureux : de la strophe cinq à la strophe douze ou treize lorsque l’on tient compte de la strophe onzième ajoutée dans la version de quarante strophe. Et le Bien-Aimé se donne à vivre dans les strophes quatorze et quinze, treize et quatorze en A.
- La rencontre des amants dans le mariage est décrite à partir de la strophe seize jusqu’à la strophe trente-quatre ; le bouleversement des strophes en B a été indiqué plus haut.
- La perfection de l’amour en finale demeure à la même place que dans la première version.
Dans le texte B, le déplacement des strophes intervient seulement à l’intérieur de ce que les commentaires appelleront le mariage spirituel. L’étonnant vient surtout du déplacement de ces grands ensembles 15 à 24 et 25 à 30.