Dieu et le Christ, qui le révèle, s’imposent à la Foi comme la grande et ultime réalité. Non pas que le monde et ses innombrables tâches seraient sans consistance. Mais si le monde a un sens et une valeur, c’est précisément dans la lumière de Dieu et dans sa relation à Dieu. Dans cette lumière, Dieu est précisément saisi comme la Réalité unique et souveraine, la Source de la vie, du mouvement et de l’être.
L’Absolu de Dieu ne dévalorise pas nos tâches terrestres, nos responsabilités humaines, puisqu’il les fonde. Mais c’est avec un regard et un cœur nouveaux que tout sera vécu.
Ce sens d’un Dieu tout autre, le Carmel l’a puisé dans ses racines bibliques. Un lien particulier relie l’histoire du Carmel au prophète Elie, témoin et champion de la Sainteté de Dieu : Il est vivant le Seigneur devant qui je me tiens [1]. La sainteté ou la transcendance de Dieu, c’est la face cachée, secrète, mystérieuse de son Être indicible. Rien ne peut le contenir ni le mesurer.
La tradition carmélitaine garde très vif ce sens de l’impossibilité de « dire Dieu ». Il en découle une conséquence pratique pour la vie de foi et de prière. Nous sommes encombrés par toutes sortes de fausses images de Dieu, qui sont plutôt un obstacle qu’une aide pour la rencontre de la prière. Et tout progrès dans la foi et la prière implique une radicale purification de tous ces faux visages de Dieu. Purification pour laquelle saint Jean de la Croix est un guide sûr.
Mais la sainteté de Dieu ne l’éloigne pas, Lui, des pécheurs. Le Tout-Autre est aussi le Tout-Proche. Si proche qu’il vient habiter dans nos cœurs. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure [2].
Cette Bonne Nouvelle - Demeurez en moi, comme je demeure en vous - le Carmel l’accueille avec empressement et joie. Sainte Thérèse d’Avila a construit l’œuvre de sa maturité (Le Livre des Demeures) sur cette certitude de la présence de Dieu au plus intime du cœur du croyant.
Vivre en présence de Dieu, voilà le cœur de la vie du Carmel. Ce n’est pas une affaire d’intelligence, ni d’imagination, ni de sensibilité, mais une affaire de foi et d’amour.
Tout baptisé peut y prétendre humblement. Loin de détourner les laïcs de leurs responsabilités terrestres, cette vie cachée en Dieu, qui fut celle de Marie, Notre-Dame du Mont Carmel, les achemine à une profondeur et une paix, une joie que le monde ne peut donner [3].
Présence à Dieu dans et par son Verbe, le Christ, lui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie [4]. Le cheminement du chrétien sera donc l’union d’amour au Christ, la conformation à l’image du Fils de Dieu [5]. Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître [6] , nous dit Jésus. Celui qui m’aime gardera ma Parole [7]. Dieu nous est aussi présent par sa Parole dans l’Ecriture. Celle-ci est la nourriture première de l’oraison. La découvrir, la méditer est un souci quotidien et les saints du Carmel nous aident à cette méditation. Ainsi sainte Thérèse d’Avila, dans le Chemin de la Perfection fait, entre autres, un long commentaire du Pater. Ainsi saint Jean de la Croix illustre en ses écrits ce passage de l’Epître aux Hébreux :
Vivante est la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur ; tout est à nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. C’est à elle que nous devons rendre compte [8]. Ainsi sainte Thérèse de Lisieux disait à la fin de sa vie : C’est par-dessus tout l’Evangile qui m’entretient pendant mes oraisons ; là je puise tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme [9].
Présence de Dieu par son Esprit Saint que le Père envoie pour nous enseigner toutes choses et nous faire ressouvenir de tout ce que Jésus nous a dit [10] . Présence en nous de l’Esprit Saint qui ne dort ni ne sommeille [11], et qui sans cesse prie en nous avec des gémissements ineffables [12].
C’est pourquoi le « précepte central » de la Règle du Carmel, repris dans les Constitutions de l’Ordre des Carmes Déchaux Séculier, est : Méditez jour et nuit la loi du Seigneur, veillant dans la prière [13]. Ce précepte de la prière continue semblerait impossible à mettre en pratique littéralement, si l’on oubliait que c’est la multitude des croyants qui le réalise. Chacun y a son rôle indispensable, irremplaçable.
Dieu, en effet, nous est présent dans les autres, par les autres, avec les autres. Le Christ n’est pas seulement présent en ses apôtres et par eux dans leurs disciples. Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour tous ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi… afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux [14]. Jésus est présent aussi dans le plus petit de ses frères [15].
Parce que le Christ est présent là où deux ou trois sont assemblés en son nom [16], on ne se contente pas au Carmel de la prière communautaire vocale, on fait oraison ensemble. Et même, cet « ermite » qu’est souvent le laïc carmélitain, dans la solitude où il fait oraison, sait qu’il n’est jamais seul à prier. Car il est toujours précieux de donner pour base à notre oraison la prière qui est sortie d’une bouche telle que celle de Notre Seigneur [17] . Or il nous a appris à dire NOTRE PÈRE.