Vie d’Anne de Jésus (1545-1621)

La future bienheureuse Anne de Jésus est une figure clef de l’histoire du Carmel thérésien, proche de la Madre Teresa et de Jean de la Croix. La béatification de la fondatrice du Carmel français et du Carmel belge aura lieu le 29 septembre 2024 à Bruxelles en présence du Pape François…

Celle qui relie les trois Docteurs

« Sans aucune hésitation je reconnus la vénérable Mère Anne de Jésus, la fondatrice du Carmel en France. » Par ces mots, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus évoque un songe de 1896 où la Mère Anne intervient. Petite Thérèse est profondément marquée par cette visitation nocturne et y voit une confirmation de son chemin spirituel. Elle est consciente qu’Anne est une figure d’autorité la reliant à sainte Thérèse de Jésus et à saint Jean de la Croix, « une sorte de synthèse doctrinale vivante des deux grands maîtres de la spiritualité du Carmel. » Anne de Jésus a donc conforté le jeune Docteur de l’Église dans son enseignement en genèse. Certes elle-même avait été enseignée de son vivant par deux autres Docteurs. Découvrons l’itinéraire de cette carmélite espagnole qui relie ces trois Docteurs du Carmel.

De Medina à Ávila

Ana de Lobera y Torres naît le 25 novembre 1545 à Medina del Campo (Castille). Son père meurt alors qu’elle a quelques mois, puis sa mère quand Anne atteint 9 ans. Guérie miraculeusement de la surdité et du mutisme, elle est éduquée par sa grand-mère maternelle. A l’âge de 15 ans, Anne et son frère Cristóbal (futur jésuite) partent pour Plasencia chez leur grand-mère paternelle. Elle décide de faire un vœu privé de virginité et refuse de se marier malgré les pressions familiales. Anne cherche la volonté du Seigneur et, avec l’aide de son confesseur jésuite, elle entend parler des monastères fondés par Thérèse de Jésus. Alors qu’elle est gravement malade pendant plusieurs mois, elle correspond avec la Mère Thérèse qui l’admet à entrer au monastère des carmélites de San José à Ávila.

Sœur Anne de Jésus

Anne a 24 ans quand elle prend l’habit le 1er août 1570 à Ávila. Elle n’a guère le temps de s’installer puisque deux mois après, elle accompagne Thérèse dans la fondation du carmel de Salamanque. La fondatrice laisse Anne de Jésus comme maîtresse des novices alors que celle-ci n’a pas encore fait sa profession, ce qui en dit long sur la confiance de sainte Thérèse à son égard ! Anne fait sa profession religieuse le 22 octobre 1571. Petit fait cocasse : Anne de Jésus entre en extase pendant la célébration. Cela conduit la Madre à décider que dorénavant les professions auront lieu en communauté… Déjà, sans le vouloir, Anne de Jésus imprime sa marque sur le devenir du carmel.

En février 1575, elle participe avec Thérèse à la fondation du carmel de Beas de Segura où elle devient prieure jusqu’en 1581. Avant son départ pour Séville, Thérèse échange avec Anne son manteau ; cette dernière conservera cette relique toute sa vie et on peut la vénérer encore aujourd’hui au carmel de Bruxelles. Pendant son priorat, Anne accueille Jean de la Croix échappé du cachot des carmes de Tolède en août 1578 ; au parloir, Jean commence à déclamer ses poèmes et une relation de profonde amitié s’instaure entre eux deux. En 1581, Ana part avec Jean de la Croix fonder le monastère de Grenade où elle passe cinq ans. C’est là en 1584 que frère Jean achève la rédaction du commentaire de son Cantique Spirituel, écrit à la demande d’Anne de Jésus. En 1586, elle a l’honneur de fonder le carmel de Madrid tant désiré par la Madre. Elle y est nommée prieure. Anne profite de cette présence à Madrid pour faire éditer les écrits de la Mère Thérèse par le frère augustin Luis de Léon en 1588.

Commence alors une période de tribulations car Anne, avec d’autres carmélites, s’oppose à la politique du P. Nicolas Doria, supérieur provincial des carmes déchaux. Elle veut défendre l’héritage thérésien : fidélité aux constitutions, liberté du choix des confesseurs, humanisme face à une ascèse exagérée, … En représailles, la carmélite est condamnée à être reléguée dans sa cellule pendant trois ans sans contacts extérieurs. Après la mort du P. Doria, Anne est envoyée au carmel de Salamanque en 1596 où elle est élue prieure.

La fondation du Carmel thérésien en France

Anne pourrait aspirer au repos mais c’est à cette époque que naît le désir de fonder le Carmel déchaussé en France. Les obstacles sont nombreux mais la détermination de plusieurs figures (Barbe Acarie, Jean de Brétigny, Pierre de Bérulle) est grande. Il est décidé d’aller chercher des carmélites espagnoles et de les faire venir en France. Le nom d’Anne de Jésus est proposé par la bienheureuse Anne de Saint-Barthélemy. Et en effet les deux Anne partent avec quatre autres carmélites pour la France réputée devenue protestante. Le voyage est épique !

Anne devient la première prieure du carmel de l’Incarnation fondé à Paris le 18 octobre 1604. Après quelques mois elle accompagne la fondation du carmel de Pontoise. Puis elle réalise la fondation de Dijon où elle est prieure pendant plus d’un an. Ces deux années et demi françaises sont très difficiles car Anne résiste à Pierre de Bérulle qui, selon elle, détourne le charisme thérésien au profit de ses vues personnelles ; elle a le sentiment de s’être faite manipuler…

Dans les Flandres, fondations, édition et maladie

L’affrontement ne durera pas car Anne est alors appelée à fonder le carmel de Bruxelles à la demande de l’infante Isabelle Claire Eugénie. Soulagée par cet appel, la Mère Anne arrive dans les Flandres et devient prieure du Carmel de Bruxelles fondé en janvier 1607. Elle fonde la même année le carmel de Louvain puis en 1608 celui de Mons. Revenue à Bruxelles, Anne a désormais du temps pour faire traduire les œuvres de Thérèse et même pour éditer le livre des Fondations en 1611 avec l’aide du père Gratien ; celui-ci lui demande d’ajouter un chapitre sur la fondation de Grenade. Elle prépare aussi l’édition du Cantique Spirituel qui sera publié pour la première fois après la mort d’Anne en 1628 grâce à Beatrix de la Conception, fidèle compagne d’Anne.

Sa tâche de fondatrice accomplie, Anne désire retourner en Espagne. Mais elle entend intérieurement pendant une messe : « Là où je suis, tu peux être aussi. Tu es venue pour moi, et tu veux t’en aller pour toi ! » Elle consent donc à demeurer à Bruxelles. En 1613 elle tombe gravement malade et le restera pendant huit ans jusqu’à sa mort, ce qui ne l’empêchera pas d’être réélue prieure alors qu’elle est devenue grabataire… Anne médite alors sur le livre de Job avec l’aide du commentaire que Luis de Léon lui a dédié. Elle s’unit à Jésus dans sa Passion car les ténèbres intérieures ne manquent pas.

Sa joie est d’avoir connu la béatification de Thérèse de Jésus en 1614. Anne de Jésus quitte ce monde le 4 mars 1621 à l’âge de 75 ans. Son procès de béatification est ouvert rapidement après sa mort mais a traîné. Le pape François a promulgué les vertus héroïques de la vénérable en novembre 2019. Un miracle a été reconnu et sa béatification a lieu le 29 septembre 2024. Sa mémoire liturgique sera fixée au 25 novembre.

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