Pour entrer dans l’aventure spirituelle à la suite de Thérèse de Jésus, il me semble qu’il faille accueillir deux certitudes essentielles nées de son expérience spirituelle : d’une part de la présence de Dieu au cœur de l’homme, et d’autre part, l’oraison comme chemin de sainteté.
Il nous faut croire, tout d’abord, au désir de Dieu notre Père de venir faire sa demeure au plus intime de notre cœur. Et pour laisser le Seigneur prendre possession de notre être, la porte qui ouvre ce château intérieur, c’est l’oraison. « Considérer notre âme comme un château fait tout entier d’un seul diamant ou d’un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu’il y a beaucoup de demeures au ciel. Car à bien y songer, mes soeurs, l’âme du juste n’est rien d’autre qu’un paradis où Il dit trouver ses délices. (…) Je ne vois rien qu’on puisse comparer à la grande beauté d’une âme et à sa vaste capacité. Vraiment, c’est à peine si notre intelligence, si aigue soit-elle, peut arriver à le comprendre, (…) Il suffit donc que Sa Majesté dise que l’âme est faite à son image pour qu’il nous soit difficile de concevoir sa grande dignité et sa beauté » (1re Deumeure chap. 1). Pensons-nous vraiment que notre cœur est le lieu privilégié de la présence de Dieu ? Savons-nous demeurer dans l’admiration de ce mystère qui nous habite ? Nous avons été créé à l’image de la ressemblance de Dieu, par le baptême nous avons revêtu le Christ, et nous sommes marqués du sceau de l’Esprit Saint.
Celui qui est la source du salut, la santé de notre âme, nous est déjà présent comme une source qui désire se répandre en notre cœur. Il ne s’agit pas pour nous de créer la communion avec Dieu, car elle nous est déjà donnée. Il s’agit pour nous d’un travail d’accueil pour Lui permettre de se développer. Même nos fautes n’empêchent pas cette présence de Dieu au fond de notre cœur. Écoutons Thérèse, « Mon âme se recueillit soudain et me parut tout entière comme un clair miroir, sans envers, ni côtés, ni haut, ni bas qui ne fussent clarté, et au centre m’apparut le Christ Notre Seigneur, tel qu’il m’arrive de le voir. Il me semblait le voir dans toutes les parties de mon âme aussi clairement que dans un miroir, et ce miroir lui-même, je ne saurais dire comment, se sculptait tout entier dans le Seigneur lui-même, par une communication que je ne saurais expliquer, très amoureuse. Je sais que chaque fois que je me rappelle cette vision, j’en tire de grands bienfaits, surtout quand je viens de communier. On me fit entendre que lorsque l’âme est en état de péché mortel, ce miroir se couvre d’un épais brouillard qui le rend très noir, on ne peut donc se représenter ce Seigneur ni le voir, lui qui, toujours présent, nous donne l’être. » (Vida 40,5)
Il s’agit donc pour nous de nous tourner vers cette présence, cette lumière du Christ et qui peut traverser nos ténèbres et nous illuminer. C’est pourquoi la prière personnelle, comme le lieu privilégié de la rencontre avec le Seigneur, est incontournable pour l’accueil de cette présence qui désire nous transformer. Elle est la porte de notre château intérieur et le chemin de notre sanctification car elle permet au Seigneur de prendre possession peu à peu de notre vie. Par l’attention à sa présence, par l’offrande de notre liberté et de notre amour, nous permettons au Seigneur de mettre en œuvre son amour qui nous recrée à partir du centre de notre être. « Pensez-vous qu’il importe peu à une âme qui a tendance à se distraire, de comprendre cette vérité et de savoir qu’elle n’a pas besoin d’aller au ciel pour parler à son Père Éternel, et se délecter avec Lui ? (…) Enfin, songez que dans ce palais habite ce grand Roi qui a daigné être votre Père, et qu’il se tient sur un trône du plus haut prix : votre cœur. (…) Mais quoi de plus merveilleux que de voir celui qui remplirait mille mondes de sa grandeur s’enfermer dans une si petite chose ! (…) Quand une âme commence dans cette voie, il ne se fait pas connaître, de peur qu’elle ne se trouble en se voyant si petite pour contenir quelque chose de si grand, mais, petit à petit, tout doucement, il élargit cette âme à la mesure de ce qu’il met en elle. C’est pourquoi je dis qu’il porte en lui la liberté, car il a le pouvoir d’agrandir ce palais. » (Chemin de Perfection, manuscrit de Valladolid, chap.28,12)
Accueillir le Seigneur pour qu’il transforme de notre vie, c’est tout simplement à voir avec lui une relation d’amitié dans la confiance. En prenant le temps de l’oraison, de la prière personnelle silencieuse, nous entrons dans une relation faite de simplicité et d’humilité. « Nous pouvons dire cette prière de telle façon qu’à peine aura-t-il compris que nous sommes sans arrière pensées, et que nous agirons comme nous le disons, il fera notre fortune. Il aime beaucoup que nous lui parlions franchement ; lorsque nous lui parlons simplement et clairement, sans dire une chose pour nous en réserver une autre il donne toujours au-delà de ce que nous lui demandons. » (CP V 37, 4)
Dieu ne s’offense pas si nous sommes simples et vrais, ce qui ne veut pas dire grossier, ni familier au sens péjoratif du terme. Mais il s’agit de devenir des familiers de Dieu au sens positif du terme. « Mon Dieu n’est nullement susceptible ; il n’est pas méticuleux ; il devra vous savoir gré de ce que vous aurez donné. Quant à celle qui n’est pas généreuse, mais si avare qu’elle n’a pas le cœur de donner, c’est déjà beaucoup qu’elle prête. Enfin, faites quelque chose, Notre-Seigneur nous tient compte de tout ; il s’accommode de toutes nos façons. Lorsqu’il nous demande des comptes, il n’est pas minutieux, mais magnanime ; même si nous lui avons fait du tort, il lui en coûte peu de pardonner. Il paye si scrupuleusement que n’ayez crainte, même si vous n’avez fait que lever les yeux en pensant à Lui, il ne manquera pas de vous en récompenser. » (CP V 23,3)
Que le Seigneur nous donne d’entrer dans cette relation d’amour et de confiance qu’est l’oraison et qui est ouverte à tout chrétien qui a entendu l’appel à la sainteté.
fr. Antoine-Marie, o.c.d.