Frères et Sœurs,
Pour clore l’année liturgique, la lecture qui a été choisie et que nous venons d’entendre, c’est cette grande fresque du jugement dernier en saint Matthieu. Un épisode évangélique très connu puisqu’il est écrit en lettres de pierre sur les tympans des cathédrales de France.
Nous avons tous en tête cette image du Christ Pantocrator avec d’un côté les justes conduits par les anges vers le paradis et de l’autre les mauvais que les démons attrapent et agrippent pour les entraîner dans un lieu de souffrances…
Mais peut-être que nous connaissons trop ce passage d’évangile avec toutes les représentations que nous avons vues. Et comme nous le connaissons trop, nous le connaissons trop mal. Je vous propose de reprendre ce texte en le découpant en trois ensembles, mais d’une nouvelle manière.
Tout d’abord, nous pourrions avoir un ensemble qui commence avec : « Quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire… » Et nous irions jusqu’au début du dialogue du Roi avec ceux qui sont placés à sa droite : « Recevez le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. » Ces quelques phrases couvrent toute l’histoire du Salut, toute l’histoire de l’humanité ; de la fin des temps où le Christ viendra dans la gloire, nous remontons jusqu’au dessein créateur de Dieu.
Le dessein de Dieu, de toute éternité, est de nous donner en partage le Royaume, de nous le préparer et de nous proposer d’y entrer. À nous d’accueillir cette proposition, à nous d’entrer dans ce Royaume qui s’est dévoilé à nos yeux tout au long de cette année liturgique.
Le deuxième ensemble se constitue de la suite du dialogue : « J’avais faim, j’étais nu, j’étais malade… » Il y a une manière de vivre, une manière d’être qui permet d’entrer dans le Royaume qui est préparé. Une manière d’être qui est un certain oubli de soi pour être attentif aux besoins des autres.
Ces hommes et ces femmes n’avaient pas conscience de servir le Christ en servant les autres. Mais ils ont été attentifs aux besoins de ceux qui étaient autour et c’est bien cela qui est mis en valeur par Jésus. Il ne s’agit pas de faire attention aux autres parce qu’ils sont représentants du Christ. Il n’y a rien de plus intolérable que de dire à quelqu’un que nous l’aimons en Jésus-Christ. Cela signifie concrètement que la personne n’existe pas pour elle-même, en elle-même.
Il s’agit d’aimer l’autre dans sa singularité et d’être attentif à ses besoins. Ces hommes et ces femmes, à la droite du Roi, ont été attentifs aux autres en donnant à boire, en donnant des vêtements, mais aussi en donnant de leur temps pour visiter les malades et les prisonniers.
Le troisième ensemble concerne ceux qui sont à la gauche du Roi. Souvent dans les représentations de la scène, nous voyons d’un côté ceux qui ont fait le bien et de l’autre, ceux qui ont fait le mal. Mais ce n’est pas tout à fait ce que dit notre texte d’évangile.
Les membres de ce groupe n’ont pas fait de mal, ils n’ont simplement rien fait. En fait, ils étaient enfermés, repliés sur eux-mêmes. Ils n’ont rien vu des besoins de ceux qui étaient autour d’eux. Ils étaient trop centrés sur eux-mêmes, oublieux de tous les autres.
Jésus leur dit : « Allez-vous-en loin de moi. Dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. » Notons que le feu éternel a été préparé pour le démon et pour ses anges, pas pour les hommes. La seule chose que Dieu a préparé pour les hommes, c’est son Royaume préparé depuis la création du monde.
Il nous faut accueillir cette Bonne-Nouvelle. Pour entrer dans ce Royaume, il nous faut avoir l’attitude du Bon Pasteur. Cette attitude si merveilleusement décrite dans la première lecture de ce jour. « Veiller sur les brebis… Chercher celle qui est perdue ; soigner celle qui est blessée ; rendre des forces à celle qui est faible… »
Le Bon Berger accomplit cela par la puissance de sa Résurrection si fortement affirmée par saint Paul dans la deuxième lecture. Résurrection qui l’établit Tête de l’Église, comme Premier Né d’entre les morts. Cette Résurrection qui est à l’œuvre en nous les croyants par la grâce de notre Baptême et par la grâce des Eucharisties que nous célébrons.
Il nous faut alors suivre ce Roi Berger, qui nous « fait reposer sur des près d’herbe fraîche ; qui nous mène vers les eaux tranquilles, » vers ces sources cachées qui jaillissent de la méditation de la Parole de Dieu ; vers ces sources cachées qui jaillissent de la vie sacramentelle ; vers ces sources cachées qui jaillissent de notre prière silencieuse et personnelle. Il nous permet alors de « traverser les ravins de la mort » sachant qu’il est avec nous, « qu’il nous guide et nous rassure. Il prépare pour nous la table » de l’Eucharistie. Il répand sur nous le parfum délicieux de l’Esprit Saint qui nous fait devenir dans le monde « la bonne odeur du Christ ».
Alors nous savons que tous les jours de notre vie, nous sommes effectivement accompagnés par celui qui est le Premier Né d’entre les morts et étant accompagné par lui, nous pouvons « habiter la maison du Seigneur tout au long de nos jours. »
Frères et sœurs, le Christ Roi de l’univers n’est pas un monarque absolu, c’est un Roi Berger qui conduit au Père. Dans l’épître aux Corinthiens, Paul montre que le « Christ remettra son pouvoir au Père. » Dans l’évangile de ce jour, le Roi dit : « Venez les bénis de mon Père. » Laissons nous guider par ce Roi-Berger, laissons guide vers les sources où il veut nous désaltérer.
Comme nous sommes à la fin de l’année liturgique, je voudrai vous faire “cadeau” d’une parole de saint Jean de la Croix : « Au soir, on t’examinera sur l’amour. Apprends donc à aimer Dieu comme il veut être aimé et laisse là ce que tu es. » (Parole de Lumière et d’Amour n° 58) Cette parole est tout à fait adaptée à la fin de cette année liturgique.
Au soir : Ce peut être au soir de notre vie, mais également au soir de la journée, ou encore au soir de la semaine ou du mois. Prendre le temps de regarder ce que nous avons vécu et voir quelle a été la qualité d’amour dans le quotidien, dans le concret de notre vie.
Apprends à aimer Dieu : Dieu veut être aimé pour que nous aimions les autres comme nous sommes aimés de lui. Thérèse d’Avila indique que c’est le progrès dans l’amour des autres qui montre effectivement un progrès dans l’amour de Dieu.
Laisse-là ce que tu es : Oublies toi, ne te renfermes pas sur toi-même. Sois attentif aux autres.
Alors frères et sœurs, réexaminons cette année liturgique : regardons si nous avons vécu selon cet amour. Confions tout cela à la tendresse et à la miséricorde de Dieu.
Appuyons-nous sur cette parole de Jean de la Croix pour entrer dans une nouvelle année liturgique : « Au soir, on t’examinera sur l’amour. Apprends donc à aimer Dieu comme il veut être aimé et laisse là ce que tu es. » Amen.
Fr. Didier-Marie Golay, ocd