Ici, à Lisieux, avec les fêtes thérésiennes 2010, nous achevons par des journées d’action de grâces l’année sacerdotale, avec la présence du cardinal Humes, préfet de la congrégation pour le clergé. Cette année fut l’occasion de méditer sur le ministère sacerdotal et de prier pour que nous soient accordés les prêtres dont l’Église a besoin.
Thérèse de l’Enfant-Jésus, fidèle au charisme initié par sa sainte patronne, Thérèse de Jésus, réformatrice du Carmel, avait eu soin de porter les prêtres dans sa prière pour soutenir ainsi l’œuvre missionnaire de l’Église. En particulier, depuis son pèlerinage à Rome en 1887, durant lequel elle avait eu l’occasion de vivre quelques semaines avec des prêtres, elle avait mesuré la nécessité de prier pour eux. Par la suite, elle avait porté dans la prière plus particulièrement deux missionnaires, les pères Rouland et Bélière. Mais le lien profond de Thérèse de Lisieux avec le sacerdoce ne se limite pas à l’offrande de sa prière et de sa vie pour soutenir les prêtres ordonnés.
Nous connaissons tous le texte dans le manuscrit B (Ms B f°3) de la découverte de sa place et de sa mission dans le cœur de l’Église comme l’amour offert. Elle y exprime en préambule son désir d’embrasser toutes les vocations notamment de martyre, de missionnaire et de prêtre. Et elle comprend que l’immensité de ses désirs se réalisera par la transformation de toute sa vie en un acte d’amour. Son offrande à l’amour miséricordieux, fait en juin 1895, trouve là l’ouverture missionnaire dont Thérèse a toujours eu le souci. Par l’accueil de l’amour de Jésus et son offrande à cet amour, Thérèse peut réaliser son désir d’être prêtre, non pas en recevant l’ordination, mais en participant au sacerdoce même du Christ. Ainsi elle montre la voie à tous les baptisés en dévoilant la manière de réaliser le sacerdoce baptismal.
Thérèse de l’Enfant-Jésus met en lumière ce mystère de la participation au sacerdoce du Christ dans le manuscrit C, un passage un peu moins connu que d’autres du grand public (Ms C f°34). Dans ce texte, Elle se s’approprie la prière sacerdotale de Jésus que nous lisons au chapitre 17 de l’Évangile selon saint Jean, voilà ce que Thérèse ose dire : « Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai accompli l’œuvre que vous m’avez donnée à faire, j’ai fait connaître votre nom à ceux que vous m’avez donnés, ils étaient à vous et vous me les avez donnés. C’est maintenant qu’ils connaissent que tout ce que vous m’avez donné vient de vous, car je leur ai communiqué les paroles que vous m’avez communiquées, ils les ont reçues et ils ont cru que c’est vous qui m’avez envoyée. Je prie pour ceux que vous m’avez donné parce qu’ils sont à vous, Je ne suis plus dans le monde, pour eux, ils y sont et moi je retourne à vous. Père Saint, conservez à cause de votre nom ceux que vous m’avez donnés. Je vais maintenant à vous, et c’est afin que la joie qui vient de vous soit parfaite en eux, que je dis ceci pendant que je suis dans le monde. Je ne vous prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. Ils ne sont point du monde, de même que moi je ne suis pas du monde non plus. Ce n’est pas seulement pour eux que je prie, mais c’est encore pour ceux qui croiront en vous sur ce qu’ils leur entendront dire. Mon Père, je souhaite qu’où je serai, ceux que vous m’avez donnés y soient avec moi, et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous m’avez aimée moi-même. »
Quelle audace de Thérèse ! Elle prend tout simplement les paroles de Jésus, elles se les attribuent en les mettant au féminin (chose qui se remarque moins lorsque l’on entend simplement le texte !). Comment peut-elle oser reprendre la prière qui caractérise le mieux le sacerdoce du Christ, c’est-à-dire son offrande au Père et sa prière pour l’Église. Certes, Thérèse a su ne pas reprendre toute la prière de Jésus, elle omet volontairement tout ce qui concerne l’origine divine de Jésus et son unité avec le Père dans le mystère de la Trinité. Mais sinon, tout le reste de la prière sacerdotale de Jésus, Thérèse ose le redire pour elle-même.
Comment cela est-il possible ? Tout simplement parce que Thérèse a pris conscience de notre vocation filiale, du désir du Père de faire de nous ses fils par Jésus Christ. Ne dit-elle pas que dans la prière nous sommes appelés à nous unir à Jésus et même d’être transformé pour devenir un seul et même amour avec lui ? « Qu’elle est donc grande la puissance de la prière ! (…) c’est quelque chose de grand, de surnaturel qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » (Ms C f°25). Et Thérèse précise plus loin ce que c’est que cette union avec Jésus : « Qu’est-ce donc de demander d’être Attiré, sinon de s’unir d’une manière intime à l’objet qui captive le cœur ? (…) Mère bien-aimée, voici ma prière, je demande à Jésus de m’attirer dans les flammes de son amour, de m’unir si étroitement Lui, qu’Il vive et agisse en moi. (Ms C f°35v°-36r°).
Ainsi, si Thérèse peut reprendre la prière sacerdotale de Jésus, c’est qu’elle a conscience que, par son accueil et son offrande totale à l’amour miséricordieux, Jésus vit et agit à travers elle. Non seulement dans la prière mais aussi dans la vie quotidienne, dans ses relations communautaires, ainsi dira-t-elle au sujet de la charité fraternelle : « oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis uni à lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs » (Ms C f°12v°). À la suite de saint Jean de la croix, dans sa prière de l’âme énamourée, Thérèse sait que tout ce qui est au Christ lui appartient, car le Christ est tout entier pour elle par l’accueil et l’offrande d’elle-même à l’amour. Elle est donc comme tout baptisé, prêtre, prophète et roi, en tant qu’elle est unie au Christ par la grâce de son baptême et l’offrande d’elle-même, c’est pourquoi elle peut redire avec Jésus sa prière sacerdotale.
Cette participation au sacerdoce du Christ est offerte à tout baptisé ; et la prière est l’œuvre sacerdotale simple mais essentielle où s’exprime notre vocation de prêtre à la suite de Jésus. Thérèse nous montre que le baptisé devient prêtre en ce sens qu’il devient responsable du salut des autres, et solidaire dans l’amour, le don de soi et la participation au sacrifice et au sacerdoce du Christ, et ainsi peut intercéder pour tous. L’union au Christ vivant dans le cœur des baptisés permet à chacun de faire de sa vie un sacrifice eucharistique pour le salut du monde. Cette participation au sacerdoce du Christ dans la prière est une œuvre essentielle pour le Carmel, au-delà de la grâce que nous offre Jésus de s’unir à Lui, c’est pour nous, carmes et carmélites, une responsabilité à porter pour réaliser notre vocation et mission dans l’Église.
Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.