La résurrection est au cœur de la foi chrétienne, pourtant aujourd’hui, comme au temps de Jésus, croire à la résurrection des morts n’est pas forcément une évidence. Cette résurrection est le cœur de la foi chrétienne, car la résurrection de Jésus est le fondement de notre espérance face à la réalité universelle de la mort. Cette réalité de la fin de notre vie terrestre a été au cours des âges le point de départ de nombreuses réflexions philosophiques et religieuses. De la réponse que l’on donne au sens de la mort, on déterminera aussi le sens de la vie. Généralement à la question de savoir ce qui se passe sur l’autre rivage de la mort, trois réponses nous sont données : les incroyants ou les agnostiques répondent rien, ou nous n’en savons rien ; la sagesse orientale répond à cette question par la théorie de la réincarnation qui ces dernières années s’est largement répandue dans le monde occidental ; enfin les chrétiens répondent que nous sommes appelés à ressusciter.
Dans l’évangile de ce jour, on nous présente un groupe particulier de juifs, les sadducéens refusent de croire que les morts ressuscitent. Par contre les pharisiens, que nous connaissons mieux, suivis en cela par la majorité des juifs, enseignaient la foi en la résurrection. Jésus est donc sollicité pour prendre position au cœur d’un débat assez passionné, comme nous pouvons nous en rendre compte au chapitre XXIII du livre des Actes des apôtres, où Saint Paul tire astucieusement profit de cet antagonisme pour se soustraire à ses accusateurs. L’argumentation des sadducéens s’apparente à un raisonnement par l’absurde : il s’agit de prouver la fausseté d’une hypothèse en poussant jusqu’au bout ses conséquences, et en montrant qu’elle conduit à un non-sens. Ils s’appuient sur une coutume appelée le mariage du lévirat décrit en Dt 25 : le beau-frère (le lévir en Hébreux) non marié est obligé d’épouser sa belle-sœur veuve, si son frère ne lui a pas donné de garçon. Les fils de cette union étaient considérés comme les fils du premier mari défunt. Les raisons de cette pratique étaient avant tout économiques et sociales : il s’agissait de trouver un héritier qui puisse porter la responsabilité du patrimoine familial laissé par le défunt.
La réponse de Jésus souligne l’étroitesse de vue de ses interlocuteurs qui imaginent l’au-delà sur un mode trop terrestre, ils réduisent la vie éternelle à un simple prolongement de la vie terrestre. Une telle interprétation signifie à la fois méconnaître les Écritures et la puissance de Dieu. Jésus commence par démontrer que les sadducéens méconnaissent les Écritures, car contrairement à ce qu’ils prétendent, celles-ci annoncent la résurrection, y compris dans les cinq premiers livres de la Bible, les seuls que reconnaissent ses contradicteurs. Jésus cite en effet le célèbre passage du Buisson Ardent au livre de l’Exode (Ex 3) : « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants » ce qui implique que le Seigneur « ne peut abandonner son ami à la mort, ni lui laisser voir la corruption » (Ps 16). Les sadducéens méconnaissent également la puissance de Dieu, puisqu’ils ne semblent pas croire que Dieu peut réaliser une telle œuvre.
La leçon vaut aussi pour nous et nous interroge sur la manière dont nous lisons la Parole : l’interprétons-nous sur l’horizon de nos conceptions humaines de la vie et de la mort, ou nous laissons-nous « guider vers la vérité tout entière » (Jn 16, 13) par l’Esprit saint qui nous interprète les Écritures ? La foi en notre participation à la résurrection du Christ se fonde sur sa Parole, confirmée par le Père et attestée par l’Esprit. L’objet de notre espérance n’est pas une simple survie, mais une action divine déconcertante, apparentée à une nouvelle création, qui réalisera pour nous « ce que personne n’avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » (1 Co 2, 9). Certes, l’homme sera toujours masculin jusque dans son corps glorieux, et la femme sera toujours son vis-à-vis complémentaire qui suscitera son émerveillement comme au matin de la Genèse (Gn 2, 23). L’amour sera même plus brûlant que jamais en leur cœur, selon le dessein originel du Créateur. Mais l’état de l’humanité glorifiée ne nécessitera plus la procréation au sens où nous la vivons dans notre condition terrestre. L’homme et la femme s’aimeront en Dieu, qui leur donnera part dans l’Esprit à la fécondité de son amour divin. Forts de cette promesse, « tendons vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. Quand paraîtra le Christ notre vie, alors nous aussi, nous paraîtrons avec lui en pleine gloire » (Col 3, 1-4).
Croire en la résurrection, ce n’est pas seulement parler de l’au-delà, c’est aussi donné du sens à la vie terrestre, car c’est dire l’importance, la valeur de chaque personne humaine en comparaison avec la réincarnation. Chaque personne pourra participer à l’amour éternel de Dieu, et ainsi réaliser sa capacité d’aimer et d’être aimé, avec tout son être, corps, âme et esprit. L’unicité de la vie humaine dit clairement son sérieux, son importance. Unicité de la vie qui ne peut se répéter, unicité de la personne où l’âme et le corps sont liés. Ma vie terrestre actuelle est le seul chemin vers l’éternité, comme elle est le lieu unique où je peux réaliser ma capacité d’aimer. Dire que ma vie ne se répétera pas, c’est prendre au sérieux ma liberté et ma responsabilité, c’est affirmer l’importance des choix que je pose aujourd’hui. Ma vie actuelle est le lieu où je peux réussir ma vie, et où je me prépare à accueillir l’amour éternel. Ma personne et ma vie sont précieuses car elles sont uniques.
D’autre part, croire à la résurrection de ma personne unique, c’est croire aussi que l’amour de Dieu est plus fondamental que ma capacité personnelle à réussir ma vie par mes propres forces. En effet, si dans ma vie unique, j’ai à poser des choix pour accueillir l’amour de Dieu, je sais que ma participation à la vie éternelle dépend moins de mes mérites que de l’amour de Dieu pour moi. Ma participation à la vie éternelle ne sera pas la récompense des efforts réitérés, mais un don gratuit de celui dont j’accueille l’amour. Croire à la résurrection, c’est donc croire à la valeur unique de ma personne, mon corps n’est pas une simple enveloppe, et ma vie n’est pas purs aléas que je pourrais reprendre à l’avenir, ma vie est unique. La résurrection dit donc l’unicité et l’importance de chaque vie humaine, mais la résurrection affirme aussi la primauté de l’amour gratuit de Dieu pour chacun de nous par rapport à notre capacité personnelle à construire notre salut, notre bonheur, par nos seules forces. C’est pourquoi tous les pauvres, quelle que soit leur pauvreté, pourront participer à l’amour de Dieu.
En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu notre père nous adresse donc ce message, d’une part, la vie a un sens, vos efforts pour trouver le lieu où vous serez aimés seront récompensés, et vous trouverez le repos. D’autre part, chacun de nous est unique et peut recevoir l’amour de Dieu, quel qu’il soit aujourd’hui, car l’amour se donne gratuitement et sans condition.
Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.