Textes liturgiques (année B) : Sg 7, 7-11 ; Ps 89 (90) ; He 4, 12-13 ; Mc 10, 17-30 ; Mc 10, 17-27
Mc 10 : « Qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau d’entrer dans le trou d’une aiguille qu’à un riche dans le Royaume ! Mais qui donc peut être sauvé ? Pour les hommes c’est impossible, mais pas pour Dieu. »
Sauvés de quoi ? D’un trop plein qui encombre et qui empêche de s’ouvrir à la Vie. L’homme n’est pas heureux parce qu’il accumule des richesses matérielles, elles ne nourrissent pas le cœur, elles n’ouvrent pas à la vie éternelle, cette relation entre l’homme et Dieu, cette Vie avec un grand V. L’homme ne vit pas heureux parce qu’il est un observant scrupuleux de la loi de Dieu. Le fait qu’il fasse sa check liste le soir et qu’il coche toutes les cases parce qu’il a accompli tout ce qu’il devait faire ne lui donne pas la paix profonde comme le personnage de l’Évangile. Son cœur est insatisfait. C’est un bon religieux, mais qui n’a pas eu l’occasion de laisser la vie entrer en lui. Et la perversion n’est pas loin. L’homme n’est pas heureux parce qu’il s’est engagé fortement dans la vie, parce qu’il s’est construit par lui-même. Un jour ou l’autre, il découvre que malgré ses efforts pour exister, avoir une place dans la société, il demeure en fait fondamentalement seul. Il ne sait pas que la vie du cœur se reçoit dans la gratuité d’une relation, que son identité se reçoit dans une relation. Il a beau parcourir le monde, il passe à côté de l’essentiel. C’est un mensonge de croire que nous sommes les auteurs de notre vie, que nous sommes la source de notre vie. Celle-ci se découvre dans la gratuité d’un regard, et surtout celui du Christ. Dieu seul sauve, Dieu seul nous sauve de nous-mêmes et de nos prétentions à avoir par nous-mêmes la vie. Celle-ci est à accueillir comme seuls les enfants savent le faire, dans la gratuité, dans la capacité à se laisser aimer gratuitement. Il nous faut apprendre non pas à aimer, mais à nous laisser aimer, à nous laisser sauver. Et c’est là que nous touchons un scandale. Scandale qui aujourd’hui prend la forme de la pédophilie et qui couvre l’Église en sa hiérarchie d’un nuage sombre. D’un côté il y a une prise de conscience progressive et difficile de ce scandale à mesure que les victimes commencent à parler et qu’on prend du temps pour les écouter. Ici c’est l’amour qui est bafoué, qui est perverti.
On peut recevoir un coup de poing sur le visage, cela fait mal, mais au bout de quelques jours il n’y a plus de traces. Il faudra sans doute du temps pour pardonner à l’agresseur, mais le mal est surtout physique. Là, avec la pédophilie, ce n’est pas un coup de poing qui arrive sur le visage, c’est une main amicale, pour ne pas en dire plus, qui va toucher des zones sensibles d’un enfant qui ne s’attendait pas à cela, qui ne pensait pas se protéger. La main, ici, ne s’arrête pas au corps, mais par le corps, elle pénètre au cœur de l’enfant et l’écrase. Cela dure quelques minutes, mais c’est un traumatisme pour la vie chez l’enfant abusé. Le scandale, le sommet de la perversion, c’est qu’ici l’enfant ne saura plus ce que signifie l’amour. Il est devenu dangereux, destructeur de son identité. Et comment ouvrir son cœur maintenant ?! Comment va-t-il pouvoir se redresser alors qu’il est plongé dans une grande solitude, honte, confusion ? Et que peut-être on aura du mal à le croire ! Comment va-t-il pouvoir se laisser aimer et par là retrouver son identité alors que l’amour est dangereux ? Et devenu dangereux. Grande confusion interne dans laquelle il se débat. Et Dieu qui est Amour pourrait-il désormais entrer en son cœur ? Saura-t-il discerner entre l’amour chaste et la relation perverse ? On comprendra qu’il faudra du temps, des années, pour qu’il se sorte de cette confusion. Nous sommes ici dans une dimension démoniaque. Nous sommes ici invités à prendre du temps pour écouter ce qui nous dérange dans l’enfant blessé, dans l’être humain blessé dans l’enfance. Et c’est onéreux en temps, en patience, en silence devant l’indicible.