Debout dans la foi et l’espérance (Ho 33° dim. TO)

Textes liturgiques (année B) : Ap 1, 1-4 ; 2, 1-5a ; Ps 1, 1-2 ; Lc 18, 35-43

En cette fin d’année liturgique, les lectures nous invitent à méditer sur des textes qui figurent la fin du monde. Ce thème a suscité beaucoup l’imagination des hommes au cours des âges en soulignant le plus souvent la tragédie de la fin du monde, mais très peu ont su mettre en lumière la bonne nouvelle que suggère Jésus dans l’évangile de ce jour. En effet, au cœur de l’automne, en ce moment où les feuilles meurent et tombent, il nous suggère une image de printemps, le figuier dont les branches deviennent tendres au moment où sortent les feuilles, ce qui annoncent que l’été est proche. Cette image de printemps, pleine d’espoirs et de promesses, Jésus l’applique à la fin des temps et à la proximité de sa venue : « Lorsque vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte ». Bien sûr, il y a d’autres images et d’autres signes avant-coureurs du retour de Jésus, beaucoup moins champêtres, inquiétants même, presque terrifiants. Il y a la grande détresse dont parlait l’évangile, le soleil et la lune qui perdront leur éclat, les puissances célestes seront ébranlées.

C’est vrai, il y a tout cela, mais il y a aussi dans la bouche de Jésus l’autre image, celle de la branche qui se gonfle sous la sève qui monte, et du bourgeon qui éclot sous la poussée de la vie. À trop regarder les images qui suscitent la peur de la fin du monde, nous en viendrions à oublier la fraîcheur de celle qui annonce la vie et une plénitude nouvelle. Comme, d’ailleurs, nous oublions que ce monde, sans attendre les derniers temps, est déjà profondément marqué par la violence, l’injustice et la haine. Avec le contraste de ces images négatives et positives, ce que le Seigneur nous annonce, c’est moins la simple fin de ce monde que la naissance d’un autre. C’est moins la perte de ce monde marqué par le péché que la restauration d’un monde nouveau où les mots de justice et de vérité, de liberté et de fraternités ne seront plus de vains mots. Car Jésus précise explicitement que les signes de détresse et de peur, et qui ne sont que passagers, ne sont là que pour annoncer le seul événement qui importe et qui mérite de mobiliser toutes nos énergies et toute notre attente : « De même, vous aussi, lorsque vous verrez cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte ».

Certes, la naissance du monde nouveau sera précédée d’un déchirement, d’une perte, d’un bouleversement, mais n’est-ce pas le lot de toutes naissances ? Sait-on si la branche de figuier souffre d’écartèlement lorsque la sève de l’intérieur pousse et fait gonfler ses parois ? Ou si le bourgeon a mal lorsqu’il doit éclater pour céder la place aux fleurs et aux feuilles ? Nous ne posons même pas la question, tellement notre regard est attiré, déjà, vers le spectacle verdoyant et florissant du printemps. Qui plaindrait la tige ou le bourgeon ? Il en est de même pour la naissance d’un être humain, malgré les douleurs de l’enfantement, et, même si l’on en a conscience, la joie de donner naissance l’emporte sur l’appréhension de la douleur. Car naturellement, on sait hiérarchiser les valeurs pour relever le regard vers le bien promis, vers la récolte à venir, la beauté d’un paysage en fleurs, la naissance d’un enfant.

Et il en est de même pour l’Église quand elle regarde vers la fin des temps en prenant conscience des douleurs qui marquent aujourd’hui les hommes. Bien sûr, notre humanité est promise à l’épreuve et peut-être à un certain cataclysme final à travers lequel la figure actuelle du monde sera bouleversée pour être transformée. Mais c’est la joie qui l’emporte, puisque le Fils de l’homme, Jésus, notre sauveur, est désormais tout proche, devant la porte. À travers tout ce qui peut nous contrarier, c’est lui que nous attendons, c’est lui qui nous apporte la justice et paix promise.

Telle est la joie de l’Église, et celle de chacun de nous, croyant en notre Dieu créateur et rédempteur de l’homme, une joie qui l’emporte toujours. Parce que le Seigneur Jésus est de plus en plus proche, et que chaque nouveau déchirement est le signe, qui ne peut tromper, que Jésus se rapproche encore davantage. Parce que chaque misère et même chaque péché, qui maintenant nous sautent aux yeux, sont la preuve sûre que le voile est sur le point de se déchirer et que nous allons bientôt faire face à Jésus et être noyés dans l’amour et la miséricorde. Car plus Jésus se fera proche, plus le monde sera écartelé, et plus notre misère sera évidente, mais plus aussi nous serons aspirés par la puissance de son amour. Il s’agit pour chacun de nous, comme Marie au pied de la croix, de nous tenir debout dans la foi et l’espérance : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour un souper, moi près de lui, et lui près de moi » (Ap 3, 20)

Avec St Paul, dans l’épître aux Romains, c’est dans l’espérance que nous vivons ce temps présent : « J’estime donc qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous. En effet, la création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Rm 8, 18…22) Et je voudrais terminer avec ces vers de Charles Péguy dans « Le Porche du mystère de la deuxième vertu » qui nous parle des trois grandes vertus Foi, Charité et Espérance.

La Charité aime ce qui est.
Dans le Temps et dans l’Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit.
Dieu et la création.
Mais l’Espérance aime ce qui sera.
Dans le temps et dans l’éternité.

Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité.

L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l’éternité.

Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
Sur la route montante.
Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes sœurs,
Qui la tiennent pas la main,
La petite espérance.
S’avance.

Et au milieu entre ses deux grandes sœurs elle a l’air de se laisser traîner.
Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher.
Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle.

Et en réalité c’est elle qui fait marcher les deux autres.
Et qui les traîne.
Et qui fait marcher tout le monde.
Et qui le traîne.

Car on ne travaille jamais que pour les enfants.
Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.

Fr. Antoine-Marie, ocd - (couvent d’Avon)
Revenir en haut