Textes liturgiques (année C) : Ml 3, 1-4 ; Ps 23 (24) ; He 2, 14-18 ; Lc 2, 22-40 ; Lc 2, 22-32
Comme cela arrive parfois en astronomie, en cette année 2025 se présente, pour la liturgie, comme un alignement de planètes : pratiquement à la suite se sont en effet succédés les dimanches de l’Épiphanie du Seigneur, du Baptême du Christ, des Noces de Cana et aujourd’hui de la Présentation de Jésus au Temple. Rare dans les deux cas, ce phénomène ne se traduit cependant pas pour la célébration des mystères du Seigneur par une éclipse, solaire ou lunaire, mais au contraire par une manifestation, plus éclatante encore, du vrai Soleil, levant et invincible, le Christ, gloire d’Israël et lumière des nations, Sauveur et Consolateur. « C’est lui le Roi de Gloire » proclamions-nous avec le psalmiste.
Aujourd’hui, 40 jours après Noël, une crèche nouvelle nous est montrée, offerte à notre adoration. Nous y retrouvons l’Enfant-Jésus mais en position verticale, porté par Syméon et proclamé par Anne. Nous y retrouvons les parents de Jésus mais plus en retrait comme s’ils avaient déjà confié l’Enfant aux deux vieillards, symbole du Peuple croyant, symbole en ce jour de l’Église. Aujourd’hui est fête de manifestation, accomplie mais paradoxale, à la fois du mystère de Dieu qui se révèle et de notre condition de croyant. C’est en ce sens aussi que depuis 29 ans l’Église catholique rend grâce chaque 2 février pour la Vie Consacrée. Parcourons tous ces points.
Ce 40e jour après Noël se présente comme un accomplissement : l’évangéliste est insistant sur le fait que les parents de Jésus accomplissent les prescriptions de la Loi « quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse ». Ainsi s’accomplissent les Écritures : aujourd’hui l’Envoyé de Dieu annoncé par le prophète Malachie est venu dans le Temple du Seigneur. Et la joie de Syméon est celle d’une plénitude : son attente du Consolateur est accomplie. 40 jours après Noël, la liturgie de ce jour accomplit ainsi celle du temps de la Manifestation du Seigneur. Y sont exprimés le Sauveur et le salut qu’il apporte. L’épitre aux hébreux, comme en éclairage, précise la nature du Sauveur, en tout semblable à la nôtre afin qu’il puisse offrir le salut, « porter secours à ceux qui subissent une épreuve ».
Soulignons aussi la dimension trinitaire de cette manifestation car non seulement il s’agit du Sauveur mais aussi du Père, le « Maitre souverain » et de l’Esprit tout spécialement manifesté avec la figure de Syméon qui est habité par l’Esprit, poussé par l’Esprit au Temple comme Jésus le sera bientôt au désert, et à qui Esprit lui avait annoncé par avance la rencontre du Christ. La Révélation est accomplie mais à qui sait y voir, à qui sait y croire. En effet, la Révélation est paradoxale, cachée en quelque sorte demeurant une épiphanie. C’est un autre aspect important de notre fête : la Révélation est à la fois celle du Sauveur mais aussi, selon la Parole adressée à Marie, celle des réponses contradictoires qui y seront adressées : acceptation ou refus, chute ou relèvement. C’est une insistance de l’évangéliste Luc dont nous lisons aujourd’hui le chapitre 2. Le chapitre 4, lu la semaine dernière et que l’on pourrait presque intégrer dans notre alignement de planètes, raconte pareillement l’ouverture du ministère public de Jésus à Nazareth exprimé en termes d’accomplissement de l’Écriture mais suscitant la colère du peuple. Et tout au long du troisième évangile, le refus est comme l’attestation, en creux, de l’acceptation de la Bonne Nouvelle et de l’accomplissement des Écritures. Cette fête du 2 février manifeste ainsi notre réalité de croyant. La Révélation est offerte à tous mais elle est reçue à celui qui sait voir, croire, désirer, recevoir, offrir et annoncer. Ces attitudes spirituelles – celles de Syméon et Anne – manifestent et encouragent les nôtres. Oui, nos deux vieillards évidés par l’attente du salut exprimé en terme de délivrance et de venue et remplis de la méditation des Écritures exprimée par le nom de Syméon « Celui qui écoute » nous sont des modèles : ils ont su recevoir (dans la tradition grecque on parle du Theodokos pour désigner Syméon, celui qui reçoit Dieu) et offrir, c’est-à-dire rendre grâce et annoncer. C’est le sens profond du rite de la Présentation et de notre fête : offrir le don de Dieu car nous n’avons rien d’autre à lui donner si ce n’est notre liberté qui accueille et qui offre. C’est la logique profonde de l’eucharistie et de la foi. En ce jour où nous sommes allées à la rencontre du Seigneur, où nous l’avons manifesté avec nos chandelles – et tel est bien la caractéristique de notre fête appelée précisément hypatante en Orient, fête de la Rencontre – nous savons bien qu’en fait c’est lui le Christ, notre lumière, qui va à notre rencontre, selon le retournement que toute vie spirituelle fait comprendre. Hier le groupe qui suit la prédication du Pasteur Joly a écouté l’âme partant à la rencontre de son Bien-Aimé s’entendre dire par le Bon Pasteur que lui-même venait à elle. Hier la liturgie chantait que si Syméon portait l’enfant c’était l’enfant qui le portait. Ce n’est pas tant nous qui cherchons Dieu que Dieu qui nous cherche si pour autant nous nous laissons chercher. Tel est le drame présent dans l’annonce faite en ce jour à Marie, comme en germe de tout l’évangile de Luc : le refus est possible et atteste paradoxalement de la pleine réalisation du dessein de Dieu.
Pour conclure, la Vie Consacrée se situe dans l’Église comme Anne et Syméon, non tant que les religieux auraient tous un âge très avancé mais par leur vie d’attestation d’une plénitude qui est Dieu, marquée par le désir et l’attente de Dieu, mis en route par une rencontre initiale au goût de promesses. Vie sans allure comme ces deux personnages sans famille ni renom mais qui renvoie à la vraie grandeur qui est Dieu et la dignité de chaque être humain, vie irradiée et irriguée par la Parole de Dieu, méditée et célébrée, écoutée et annoncée, tout à la fois présence paisible et tourment incessant. Je voudrais souligner l’attitude de consentement de Syméon qui exprime selon moi un chemin pour la vie consacrée. Syméon a vu et cela lui suffit sans qu’il soit suffisant ou imbu de lui-même. Syméon n’a pas tout vu – que sait-il du devenir de cet enfant et de la forme que prendra ce salut ? – et cela ne le rend pour autant pas insatisfait, aigri ni rancunier. Il y a là un modèle pour la vie religieuse au service de l’Église qui a un rôle de témoignage heureux du don de Dieu, de transmission d’un héritage et d’une promesse qui la dépassent, certitude joyeuse d’un trésor et incertitude de ses réalisations à venir. Que cela donne à l’Église tout entière de rendre grâce avec la Vie consacrée pour Dieu qui se donne, pour l’accueillir, l’offrir et l’annoncer, pour Dieu dont les promesses sont tenues et toujours à venir. Amen
Fr. Guillaume Dehorter, ocd - (https://www.carmes-paris.org)