Textes liturgiques (année C) : Is 62, 11-12 ; Ps 96 (97) ; Tt 3, 4-7 ; Lc 2, 15-20
Jour de fête parmi les fêtes aujourd’hui, nous accueillons à la crèche la naissance d’un nouvel enfant, celui qui était annoncé et attendu depuis des siècles : Jésus. Dans son prologue, saint Jean nous invite à ne pas passer à côté de cet événement inouï : « Dieu, personne ne l’a jamais vu », mais désormais « le Fils unique, qui est Dieu » et qui vient de naître dans une crèche à Bethléem, « c’est lui qui l’a fait connaître ». Jésus, Fils unique qui est Dieu, en prenant la nature humaine pour naître au sein de notre humanité, révèle le vrai Visage de Dieu : Visage innocent et plein de bonté, Visage inspirant de la tendresse à Marie et à Joseph, ses parents, Visage inspirant une sainte vénération aux Bergers venus l’adorer cette nuit.
Le Nouveau-Né, Jésus, est la grâce, la Vérité et la Vie. Il vient donner aux hommes qui croient en son Nom le « pouvoir devenir enfant de Dieu ». Ainsi, à nous aussi, la grâce, la Vérité et la Vie sont donnés, pour l’éternité. L’auteur de la lettre aux Hébreux le dit à sa manière, dans la deuxième lecture ; Dieu a introduit son Fils « premier-né dans le monde à venir ». Oui, Jésus est venu au monde, dans notre monde, mais ici l’auteur de la lettre parle du « monde à venir », comme il le répètera de nouveau au chapitre suivant. C’est-à-dire qu’en naissant dans le monde, Dieu ne fait pas que venir partager notre humanité, il introduit aussi notre propre humanité, en Jésus et par Jésus, dans le Ciel lui-même, dans le Royaume de la Vie Éternelle. Notre humanité, désormais, habite au cœur même de Dieu. Jésus est appelé le « premier-né » - « le premier-né d’une multitude de frères » [Rm 8,29], précisera saint Paul dans sa lettre aux Romains – car s’il est descendu partager notre humanité, c’est pour ensuite remonter auprès du Père avec elle, c’est-à-dire avec nous-mêmes. Vraiment, l’Enfant qui vient de naître est le premier-né de la multitude de frères et sœurs que nous sommes pour lui.
Devant une telle nouvelle, le psalmiste de nous inviter à jouer et à chanter d’allégresse ; « Jouez pour le Seigneur sur la cithare / sur la cithare et tous les instruments [l’orgue, etc.] / au son de la trompette et du cor / acclamez votre roi, le Seigneur ! » [Ps 97] Ceux qui ressemblent aux guetteurs dont parle le prophète Isaïe (dans la première lecture), c’est-à-dire ceux qui guettent la venue du Royaume, ceux qui attendent le salut, la sanctification, et la Vie éternelle de Jésus, « élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie ».
De son côté, la cour céleste des Anges n’est pas en reste. Ils se réjouissent avec les hommes, eux qui ont invité cette nuit les bergers à venir à la crèche et à se réjouir eux aussi. La petite Thérèse l’atteste dans sa récréation pieuse Les Anges à la crèche : « Ô Verbe Dieu, gloire du Père, s’écrie un Ange, ô Verbe Dieu, gloire du Père, Je te contemplais dans le Ciel / Maintenant je vois sur la terre, Le Très-Haut devenu mortel. / Enfant dont la lumière inonde, Les anges du brillant séjour / Jésus, tu viens sauver le monde, Qui donc comprendra ton amour ? … » (1r°). Cette contemplation, cette stupeur, cet émerveillement des Anges, proviennent du fait que les Anges sont véritablement les témoins de cette vérité que seule la Révélation chrétienne apporte à l’humanité : si le Paradis des hommes est le Ciel, pour Dieu, le Paradis, c’est l’âme humaine. Car les âmes, poursuit Thérèse dans sa récréation, « Je [l’Enfant-Jésus à la crèche] les ai faites pour moi-même, J’ai fait leurs désirs infinis / La plus petite âme qui m’aime, Devient pour moi le Paradis » (6v°). Vraiment, « la plus petite des âmes qui m’aime devient pour moi le Paradis » !!! …
Ainsi, chacun d’entre nous est bien un Paradis pour Dieu. Nous aurions beau être la dernière des dernières, la plus insignifiante de toutes les âmes, nous pourrions être un bon à rien, et même un ‘‘mauvais à tout’’, ou encore un « néant criminel » (expression de sainte Thérèse des Andes) eh bien « oui, précise encore Thérèse, pour que l’Amour [de Dieu] soit pleinement satisfait, il faut qu’il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant … » (Ms B 3v°). Cette nuit, Dieu a trouvé sa joie à venir s’incarner au sein de notre humanité. Il est heureux de pouvoir, enfin, grâce à sa nativité au sein de la crèche et en vue de la croix, il est heureux de pouvoir enfin ‘‘laisser déborder en l’âme des hommes ces flots de tendresse infinie qui sont renfermées en lui’’ (Cf. l’Acte d’Offrande à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu).
À la crèche, son amour débordant rayonne, une crèche dont nous avons fêté l’année dernière l’anniversaire, puisqu’elle est née le jour de Noël 1223. En effet, à Greccio, au centre de l’Italie, saint François d’Assise inventait la première crèche vivante. Ou plutôt, pour faire droit à l’histoire plutôt qu’à la légende, saint François inventait pour Noël 1223 la 1re crèche vivante se tenant en-dehors d’une église ; il la fit dans une grotte lui rappelant celles de Bethléem, avec un âne, un bœuf, et une mangeoire. Les gens vinrent alors nombreux, et un prêtre célébra l’Eucharistie sur la mangeoire, en guise d’autel, montrant par là le lien entre l’Incarnation et l’Eucharistie.
Cette pratique de crèches en-dehors des églises se répandit partout en Europe, avec des sculptures en bois remplaçant les crèches vivantes. Les crèches firent naturellement leur apparition dans les maisons. Plus tard, en France, lors de la Révolution française, les habitants de Provence inventèrent les petits santons en terre cuite. ‘‘Santon’’ vient du mot provençal ‘‘santoun’’ qui signifie ‘‘petits saints’’. Aux côtés de Marie et de Joseph, des personnages ont fait leur apparition, comme l’ange Boufarèu ou le Ravi – un homme simple, étonné, et ouvrant ses bras en signe d’ouverture de son cœur, en signe aussi qu’il a les mains vides et n’a rien à offrir à Jésus, mais qu’importe, puisque c’est Jésus lui-même qui s’offre –.
« Je voudrais soutenir la belle tradition de nos familles qui, dans les jours qui précèdent Noël, préparent la crèche », écrivait en 2019 le pape François dans sa lettre apostolique Admirabile Signum sur la signification et la valeur spirituelle de la crèche. Et le pape de nous inviter à « ajouter [encore] à la crèche d’autres figurines qui semblent n’avoir aucun rapport avec les récits évangéliques ». J’ai regardé chez les marchands, nous pouvons trouver un joueur d’accordéon, un Monsieur le maire, un couple de mariés, une infirmière, une petite fille et son doudou, j’ai même trouvé une tricoteuse et un vieux corse au fusil !
Mais le principal n’est pas là. Le principal, en ce jour de Noël, est de nous figurer nous-mêmes à la crèche, accueillant Notre-Seigneur. N’hésitons pas à mettre une figurine qui nous représente, nous-même, nos familles, présentant au divin Nouveau-Né nos vies, nos demandes, nos louanges. C’est une prière humble et silencieuse.
« Ouvrons notre cœur, conclue le pape dans sa lettre, à cette grâce simple [de la crèche], et laissons surgir de [notre] émerveillement une humble prière : notre "merci" à Dieu qui a voulu tout partager avec nous afin de ne jamais nous laisser seuls ». Amen
Fr. Cyril Robert, ocd - (https://www.carmes-paris.org)