« Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (Ho 8°dim. TO - Année C)

Textes liturgiques (année C) : Si 27, 4-7 ; Ps 91 (92) ; 1 Co 15, 54-58 ; Lc 6, 39-45

Contrairement à ce qu’on entend parfois, le christianisme n’est pas une religion du Livre, mais la religion de la Parole. Nous, chrétiens, sommes des disciples du Verbe de Dieu, de la Parole de Dieu qui s’est incarnée en la personne de Jésus. Le Christ est la Parole vivante de Dieu, par laquelle tout a été créé. Il est la Parole vivante qui donne vie. Et nous, par notre union au Christ dans l’Esprit saint, nous devons, à notre tour, être des paroles vivantes de Dieu. Je voudrais réfléchir avec vous ce matin sur ce que cela implique.

La Règle primitive du Carmel cite Jésus d’après l’Evangile selon saint Matthieu : « De toute parole oiseuse qu’ils auront dite, les hommes rendront compte au jour du jugement  » (12, 36). Oiseux, cela veut dire sans intérêt. La traduction liturgique parle de « parole creuse ». On pourrait dire improductif, inefficace. Une parole sans fécondité, qui n’apporte pas la vie. Faut-il seulement parler en citant les Évangiles ou le Catéchisme de l’Église catholique ? Ou seulement parler de Jésus et de foi ? Non. Certainement, il y a des sujets de conversation qui sont sans intérêt, voire nocifs, mais ce qui compte avant tout, c’est de savoir si ce que je dis est une parole qui apporte la vie, une parole qui s’émerveille et qui ne dénigre pas, une parole qui édifie et qui n’abaisse pas, une parole qui compatit, mais aussi, quand c’est nécessaire, une parole qui corrige. Et cela nous amène à la mise en garde de Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui. «  Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. »

Jésus ne condamne pas la correction fraternelle qui consiste à signaler à quelqu’un qu’il a mal agi. Mais il souligne l’inefficacité de mon intervention si je me permets de corriger quelqu’un alors que, dans ma propre vie, il y a des manquements encore plus flagrants. C’est le sens du terme « hypocrite » dans l’Évangile. Ici, ce n’est pas tant quelqu’un qui tient volontairement un double discours pour tromper, que quelqu’un dont les paroles ne correspondent pas aux actes. « Le four éprouve les vases du potier ; on juge l’homme en le faisant parler », dit Ben Sira. Ou encore : «  Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger.  » Juge-t-on si la personne fait de beaux discours ? Non. Bien sûr, il faut être vigilant aux paroles qu’on prononce, mais c’est plus en profondeur que cela se joue. Il faut que mes paroles et mon comportement soient en cohérence. Cela ne signifie pas seulement que ma manière de vivre soit cohérente avec mes paroles, mais aussi que dans mes paroles, on voie que j’ai conscience de ma manière de vivre. C’est cette unité entre les paroles et les actes de Jésus qui frappait ses auditeurs quand il enseignait et qui les amenait à reconnaître son autorité ; cette autorité qu’ils ne percevaient pas chez les docteurs de la Loi. Et en vous disant cela, je tremble devant mes propres incohérences.

Comment parvenir à cette unité, à cette cohérence de vie ? «  Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur », dit Jésus dans l’Evangile. La question est donc : qu’y a-t-il dans mon cœur ? Est-ce que le Christ habite vraiment mon cœur ? Ou, pour reprendre une parabole de Jésus concernant la Parole, est-ce que je suis la bonne terre où est tombée la graine de la Parole et qui produit du fruit au centuple ? Si la parole de Dieu féconde ma terre, la vie nouvelle fait peu à peu reculer les ténèbres en moi et, à terme, comme l’écrit saint Paul, « la mort [sera] engloutie dans la victoire » du Christ. Cette victoire sur la mort est précisément manifestée dans la cohérence qui se fait progressivement entre mes paroles et mes actes, par l’unification de ma vie intérieure et extérieure.

« Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître », dit Jésus. Pour atteindre cette unité de vie, il faut se laisser former, façonner par le maître, par le Seigneur. Pour cela il faut le fréquenter, il faut le rencontrer, l’interroger, l’écouter, l’observer, mais, aussi se laisser aimer par lui et se laisser pardonner par lui, comme les disciples l’ont fait pendant sa vie terrestre. Car le Christ n’est pas un simple enseignant. Il est aussi l’ami, le frère. Cette relation d’amitié se nourrit dans l’eucharistie qui m’unit à Lui et me transforme en Lui et elle s’approfondit quotidiennement dans l’écoute et la méditation des Écritures et dans l’oraison.

Pendant trois ans, le Seigneur a formé ses disciples ; parfois il les envoyait en mission dans les alentours, puis les disciples revenaient et Jésus reprenait leur formation. Après sa résurrection, il les a envoyés dans le monde pour transmettre sa parole qui sauve l’humanité. C’est à cela que nous sommes, nous aussi, appelés : « Soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur », nous écrit saint Paul. Si je me laisse façonner par le Christ, alors mes paroles sont réellement Parole de Dieu, au sens fort, c’est-à-dire que le Christ parle réellement à travers mes paroles, avec sa sagesse et son amour. Quand la Parole de Dieu qui est source de vie habite réellement en moi, elle féconde ma vie et la vie de ceux que je rencontre.

Il y a une scène d’Evangile qui symbolise cela : la Visitation de Marie à Elisabeth. Pourquoi Marie, va-t-elle chez Elisabeth après l’annonciation ? Elisabeth n’a pas besoin d’aide ou de conseils : elle a de la famille et des voisins, comme on le voit à la circoncision de Jean. Marie se rend chez Elisabeth pour lui porter ce que personne dans son entourage ne possède : la Parole de Dieu qui vit désormais en elle. Et c’est bien ce que perçoit tout de suite Elisabeth. Que la Vierge Marie nous aide à rendre le Christ plus présent dans notre monde à travers nos paroles et nos actes. Amen.

[Fr. Vincent Elie, ocd - (https://www.carmesdumidi.org/)]

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