Le désir ou la mort (Ho 25° dim. TO 19/09/21)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 (54) ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37

Annonce de la Passion et de la Résurrection – Épisode 2. Souvenons-nous de l’épisode 1 dans version de saint Marc dimanche dernier. L’annonce de la mort prochaine de Jésus suscite l’indignation et la colère de Pierre qui fait de vifs reproches à Jésus. Dans l’épisode 2 d’aujourd’hui, nouvelle annonce mais les disciples ne comprennent toujours pas et optent pour le mutisme car ils sont gagnés par la peur : « ils avaient peur de l’interroger. » Pourquoi cette peur ? Parce que nous n’aimons pas quand quelqu’un nous parle de la mort et de la souffrance. Comme les apôtres, nous préférons détourner la tête, faire glisser le sujet de conversation vers quelque chose de plus plaisant et léger.

Et c’est bien compréhensible car nous sommes des vivants appelés à la vie : la souffrance et la mort ne correspondent pas à notre appel profond. Aussi nous revenons à ce qui nous plaît, nous prêtons attention à nos envies, nos désirs et nos rêves. Malheureusement, comme le souligne saint Jacques, ces désirs mènent leurs combats en nous-mêmes et créent jalousies, rivalités et crimes. Et voilà qu’en refusant d’affronter la mort, l’être humain en suivant aveuglement ses désirs en finit par marcher paradoxalement vers la mort, en y entraînant les autres avec lui. Faut-il en conclure frères et sœurs, que désirer ou mourir, c’est du pareil au même ? Pour vivre et être heureux, nous faut-il au fond supprimer tout désir auquel est attaché toute souffrance ? Car désirer, c’est déjà reconnaître un manque, c’est souffrir de ne pas être comblé.

La mort du désir n’est pas la réponse judéo-chrétienne. Jésus n’est pas Bouddha ou Épictète. Et si des chrétiens ont pu ressembler parfois à des bouddhistes ou à des stoïciens, c’était une dérive dommageable. La voie chrétienne ne propose pas la mise à mort du désir ou alors il nous faut expurger le Cantique des Cantiques de la Bible et tous les écrits des mystiques de notre tradition. La voie chrétienne invite certes à un chemin de détachement mais pour une transformation. L’enjeu n’est pas la mort du désir mais sa conversion. Et pour cela, la vie spirituelle chrétienne offre une thérapie vigoureuse de notre force désirante qui va du plus intellectuel à ce qu’il y a de plus sexuel. C’est tout notre être qui est appelé à une réforme vers Dieu. Pour cela, il y a des étapes que notre évangile illustre bien.

La première étape qui est conforme à d’autres approches philosophiques, c’est la prise de conscience : nous sommes des êtres de désir. Mais nos désirs sont mêlés, et si certains nous entraînent vers la Beauté et le Bien, d’autres nous poussent vers la domination et la destruction. Il est très important de reconnaître ce mélange d’ivraie et de bon grain en nous pour éviter tout purisme sectaire. Prenons le temps de méditer la 2e lecture et de reconnaître que nous sommes nous aussi « plein de convoitises » et « jaloux » et que le péché a mis sa marque en nous. Si nous ne nous reconnaissons pas nos parts d’ombre, il n’y a pas de chemin de salut possible. Nous ressemblerons à des pharisiens, des gens bienpensants qui vont pourtant droit dans le mur de la perdition.

Dans l’évangile, Jésus aide les disciples à prendre conscience de leurs désirs de puissance. « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais eux « se taisaient  » car ils avaient honte  ! Ils étaient en train de se demander qui était le plus grand. Il nous faut pourtant passer par la honte afin de passer à la deuxième étape du travail sur le désir. Jésus ne reproche pas aux disciples de désirer être les premiers ; l’ambition n’est pas un mal. Les saints du Carmel nous disent que Dieu nous a créés pour de grandes choses. Ne soyons pas des gens étriqués, ayons de grands désirs. Mais acceptons de travailler notre désir de grandeur et de puissance. Ce travail passe par une réorientation de ce désir vers le service d’autrui à la place de la domination. « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Jésus propose une transformation évangélique de nos désirs et non leur extinction. Il nous faut donc reconnaître nos désirs mêlés, beaux et honteux pour les transformer à la lumière de l’évangile.

Et le Christ nous donne même un moyen concret : l’accueil d’un enfant. Accueillir un enfant au nom de Jésus est un acte spirituel car cet acte est semblable à l’accueil de la grâce de Dieu. L’enfant nous désarme car il n’est pas un rival et il fait céder nos jalousies, de même que Dieu n’est pas un concurrent de notre humanité. L’accueil d’un enfant est donc un bel exercice spirituel qui nous fait travailler sur nos désirs de puissance, de maîtrise et de domination. En ce sens la pédocriminalité a quelque chose de diabolique. Elle sème la mort sur le lieu même de la vie offerte. L’enfant est sacré en sa dignité et nous rappelle notre propre dignité devant Dieu.

Nous sommes tous enfants de Dieu appelés à vivre avec nos désirs en les apprivoisant et en laissant l’Esprit Saint, avec notre aide, les purifier et les transformer. N’ayons donc pas peur de nos désirs qui touchent à la mort et à la vie. Apprivoisons-les avec réalisme et foi ; apprenons à nous connaître dans notre grandeur et dans notre misère. La miséricorde divine nous fera cheminer à partir de nos désirs jusqu’au but de ces désirs : la communion avec Dieu. Ce chemin nous fera certes passer par la mort avec le Christ mais pour ressusciter avec Lui. Et souvenons-nous que Jésus lui-même était un être de désir : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette pâque avec vous … » (Lc 22,15) Que l’Esprit Saint vienne à notre secours, lui qui connaît le désir de Dieu. Qu’il libère en nous ce désir de Dieu et nous conduise en vie éternelle. Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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