Le Seigneur vient, préparons les chemins du Seigneur ! Tel est le thème des lectures aujourd’hui, et voilà notre espérance et notre joie, mais c’est aussi une question. Le temps de l’Avent est celui de l’attente de la venue du Seigneur, or on distingue traditionnellement trois avènements de Jésus dans l’histoire. Le premier eut lieu il y a un peu plus de 2000 ans, la nuit de Noël, le deuxième aura lieu à la fin des temps, lors de son retour en gloire, que l’on appelle la Parousie, enfin, chaque jour de notre vie, à la porte de notre cœur, le Seigneur frappe pour demeurer auprès de nous. Si notre histoire est tendue entre les deux venues de Jésus, la nativité et la Parousie, elle est aussi soutenue par la présence de Jésus chaque jour à nos côtés. Cela demande pour notre part de savoir l’accueillir, de préparer les chemins par lesquels il vient nous rejoindre. Et les lectures de ce jour nous aident à comprendre la manière d’accueillir le Seigneur dans notre vie.
Tout d’abord, Isaïe décrit la situation du peuple d’Israël à un moment de son histoire où tout semble irrévocablement perdu. L’alliance et les promesses transmises par les pères sont en échec. La bénédiction d’Abraham s’est dissipée, la royauté de la maison de David est détruite, le peuple est semblable à une souche abattue. Israël connaît un de ces moments que nous avons pu connaître : l’échec. Pourtant, dans ces conditions, Isaïe a l’audace de relire les textes bibliques, ceux qui semblent être pris en défaut par l’expérience immédiate. Et il y trouve la trace d’un rameau qui bientôt germera sur la souche de Jessé. Il voit dans ces textes un roi qui va venir, un roi dont les attributs sont ceux que nous appelons aujourd’hui les dons du Saint-Esprit. Ce monarque inaugurera un règne de paix, qui permettra à l’homme de vivre au cœur la Création comme il pouvait le faire avant la Chute. Dans ce royaume nouveau, même le serpent ne représente plus une menace pour l’homme, il apparaît comme un compagnon de jeu pour l’enfant. La victoire de ce Messie à venir, du nouveau roi qui rendra au peuple son identité et sa dignité, sera totale. Telle sera la victoire de la résurrection de Jésus.
Une espérance d’une telle force et d’une telle audace n’est pas donnée par auto-persuasion. Pour pressentir cet avenir en germe dans la souche abattue, Isaïe a dû prendre conscience que Dieu est fidèle au point de se servir de toute situation et de toute résistance de l’homme. Il est même permis de dire que les résistances de l’homme sont incluses dans le plan de Dieu. Dieu ne se borne pas à composer avec notre péché, il prend les situations douloureuses et absurdes qui en sont les conséquences comme matériau de son trône de gloire. Pour le dire encore, en utilisant les termes de l’évangile de ce jour : tout, absolument tout ce qui compose nos vies, est route pour le Seigneur qui vient vers nous. Aplanir ses chemins, c’est accepter que toute situation puisse devenir pour lui l’occasion de nous rejoindre. Mais cette certitude n’est pas le seul ressort de la conviction d’Isaïe. Saint Paul l’a compris et nous invite à entreprendre à notre tour une lecture audacieuse de la Parole de Dieu. Cette lecture de foi donne la persévérance et le courage d’espérer dans les difficultés présentes. Saint Paul évoque ici sans faux semblants les divisions qui défiguraient les premières communautés chrétiennes. Aplanir les chemins du Seigneur, c’est accepter que l’évidence de la division ne mette pas en échec la certitude de la fidélité du Seigneur, si nous gardons une attitude d’accueil bienveillant entre nous.
Entrer dans la conversion du temps de l’Avent, c’est donc laisser la Parole purifier et rectifier notre regard, par l’Esprit de Jésus. À commencer par les différences qui font naître les divisions internes. Se mettre d’accord « selon l’Esprit du Christ Jésus », comme le dit saint Paul, c’est faire germer les prémisses du règne de paix de notre Seigneur. Ce règne de paix est vraiment le règne de Dieu, tel que Jean-Baptiste nous l’annonce. Mais pour accueillir ce règne de Dieu aujourd’hui, il faut entrer dans cette conversion du regard, sur notre histoire. Nous sommes confiants car nous avons déjà mesuré la fidélité et la puissance de Dieu à transformer la mort en vie, la tristesse en joie, si nous l’accueillons. Les textes de ce jour nous enseignent que chaque événement du passé, fût-il un échec, prend son poids et sa place dans notre histoire sainte lue à la lumière de la résurrection. Elle est une force de retournement qui révolutionne réellement l’histoire et l’éclaire sous un jour nouveau. Voilà pourquoi nous marchons vers Noël comme vers les prémices de la Pâque. Nous ne fêtons pas d’abord un anniversaire d’un événement passé, nous ne célébrons pas un événement futur insaisissable, nous ouvrons notre porte à celui qui vient nous rejoindre dans nos détresses pour en faire des occasions de rencontre, des lieux de renouvellement de l’alliance conclue avec nous.
Entendre l’appel de Jean-Baptiste à aplanir les chemins du Seigneur, c’est choisir de faire de toutes les vieilles souches de nos vies le terreau des rameaux de l’alliance nouvelle et éternelle. Le temps nous presse car cette rencontre est imminente, Dieu se donne à nous aujourd’hui, maintenant, sur cet autel. Préparons ses chemins vers nous, portons le fruit de louange qui exprime notre conversion de regard, rendons gloire au Roi qui vient pour tout sauver.