Chaque institut religieux a un rapport particulier avec la Vierge Marie, et développe une spiritualité mariale qui lui est propre. Mais il est d’usage de dire que l’Ordre du Carmel est tout entier marial. Non pas que l’ordre du Carmel essaie de capter pour lui seul la figure de la Vierge Marie, mais parce que carmes et carmélites nous découvrons dans la figure de la vierge Marie la totalité de notre vocation.
On pourrait définir cette vocation mariale du Carmel en disant que les carmes et carmélites désirent imiter l’écoute et la docilité de la Vierge Marie à la Parole de Dieu, « Que chacun demeure seul dans sa cellule ou près d’elle, méditant jour et nuit la loi du Seigneur et veillant dans la prière ». Toute la collaboration de Marie à l’œuvre de salut s’est faite dans la discrétion, sans éclat apparent, dans une vie toute cachée. Dans ce déploiement du salut, Marie semble n’apparaître qu’en passant, comme drapée de modestie ; et pourtant, en dépit de cet effacement, Dieu a donné à son destin et à ses choix une portée universelle. C’est avec elle et par elle que Dieu a fait advenir son salut. C’est avec elle et par elle qu’est venue la plénitude du temps. C’est par elle que le Fils de Dieu a pu assumer notre condition humaine et nous apporter l’adoption divine. Et la porte d’entrée de cette destinée exceptionnelle a été son ouverture de cœur, l’écoute profonde aux Promesse de l’Alliance, à la Parole de Dieu.
Il s’agit donc pour le membre de l’ordre du Carmel de reproduire dans notre vie cette attitude fondamentale de l’écoute, écoute qui révèle que nous reconnaissons la présence de Dieu aujourd’hui. Si nous écoutons, c’est que nous reconnaissons que le Seigneur est déjà là, et qu’il désire se communiquer à nous. Si la prière est un dialogue qui exprime la relation entre Dieu et l’homme, l’écoute est ce qui introduit l’homme dans cette alliance, car le premier qui se donne, c’est Dieu lui-même, et que notre premier devoir est d’accueillir ce don.
À l’exemple de la Vierge Marie, notre vie portera du fruit à la mesure de cet accueil de la fécondité de Dieu en nous. C’est pourquoi au Carmel nous savons qu’il est indispensable d’offrir un temps important à l’écoute de la Parole de Dieu dans la prière personnelle silencieuse. Certes ce temps, offert et donc perdu pour d’autres activités, nous rend peut-être moins efficace dans les travaux manuels ou intellectuels, et dans les services apostoliques que nous pouvons rendre. Mais il manifeste la primauté du don de Dieu, la primauté de la gratuité dans l’écoute et l’accueil de l’amour qui veut se donner à chacun de nous. Et pour ceux qui sont entrés fidèlement sur ce chemin de la prière, de l’écoute régulière de la Parole de Dieu, ils savent que ce n’est pas un chemin facile. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, il faut parfois beaucoup de courage pour être de fidèles tout au long d’une vie à la prière. La vie contemplative n’est pas un refuge par rapport à la vie apostolique, c’est-à-dire à une activité directe d’annonce de la parole de Dieu, car entrer dans le chemin de l’écoute de la Parole de Dieu, demande à savoir se faire accueillant à cette parole en se vidant de soi-même. Et c’est acceptant cette mort que le priant accède à la fécondité de sa prière, qui d’ailleurs n’est plus sa prière, mais l’entrée dans la prière de Jésus.
C’est pourquoi le choix de ce texte de Saint-Jean que nous avons entendu est particulièrement significatif au Carmel. Pour fêter la Vierge Marie, Reine et Beauté du Carmel, la liturgie ne manquait pas de textes riants, qui chantaient la joie de sa maternité envers le Fils de Dieu et envers les hommes. Pourtant comme poussée par une sorte d’instinct théologique, l’Église nous offre ce récit des derniers moments de Jésus, où la Mère et le Fils se retrouvent devant le plus grand mystère que Dieu leur ait donné à vivre, devant la mort du Fils, qui marque aussi le sommet de l’existence de Marie.
Voyant si forte et si soumise, si grande dans sa douleur, celle qu’il aimait plus que tout au monde, Jésus dit :"Femme, voici ton fils". Puis il dit au disciple :"Voici ta mère". C’était à la fois son testament de fils et le don d’une nouvelle mission à celle qui l’avait suivi jusqu’au bout dans les douleurs de sa compassion. Désormais l’humble femme de Nazareth, sans se départir de sa pauvreté, voyait sa maternité s’agrandir aux dimensions du monde entier. Désormais la Mère de Jésus recevait pour fils tous ceux qui accepteraient d’être vivifiés par la mort de son Fils unique. Désormais ces hommes et ces femmes, quelles que soient leurs joies ou leurs épreuves, sauraient, et par une promesse solennelle de Jésus, que la propre Mère du Messie serait là et se pencherait sur eux. Jésus souligne aussi pour chacun de nous la fécondité de notre participation secrète à sa passion, qui est l’offrande de sa vie au Père.
Au Carmel, nous croyons qu’en imitant la Vierge dans son écoute et sa docilité à la Parole, en demeurant debout au pied de la Croix, nous participons aussi à sa maternité de Marie qui est une participation à la fécondité du salut offert en Jésus-Christ.