Textes liturgiques (année C) : 2 M 7, 1-2.9-14 ; Ps 16 (17) ; 2 Th 2, 16 – 3, 5 ; Lc 20, 27-38
Il y avait deux familles juives, 7 frères d’un côté et 7 frères de l’autre. D’un côté, dans la 1re lecture, 7 frères qui l’un après l’autre affrontent la mort, dans l’espérance de la vie. De l’autre, dans l’évangile, 7 frères pour qui la mort signe la fin de la vie et l’échec de la descendance. Dans les deux cas, une femme se tient à leurs côtés : dans le 1er, c’est la mère arrêtée avec ses fils et qui les incite à la persévérance dans le choix de la vie véritable ; dans le 2e, la femme est devenue un simple objet de convoitise pour la reproduction et n’est pas regardée comme une personne. Voilà bien deux manières différentes de vivre et de mourir. Et le partage entre les deux se fait avec la foi ou non dans la résurrection des morts. Y croyons-nous vraiment ? Vraiment, au point de risquer notre vie, au point de fonder notre vie sur cette foi. La question est radicale et saint Paul l’affirme avec force dans la 1re lettre aux Corinthiens : « S’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine. » (1 Co 15, 17) Il y a bien un lien étroit entre ce que nous célébrons à Pâques et ce que nous attendons, notre propre résurrection. Croire ou non en la résurrection change la vie ou du moins devrait la changer…
Face aux saducéens qui l’entraînent dans une fiction pour ridiculiser la croyance en la résurrection, Jésus reste sur leur terrain. Ceux-ci invoquent l’autorité de Moïse pour introduire la loi du lévirat sur la descendance (Dt 25,5s). Aussi Jésus les renvoie à Moïse non pas dans la loi qu’il édicte mais à la vie qu’il contemple en Dieu. Dieu se révèle dans la scène étrange du buisson ardent comme le Dieu des patriarches, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu des vivants et non des morts. Celui qui EST fait alliance avec des mortels et les fait passer dans la vie éternelle. Alors ceux qui s’approchent du feu divin s’embrasent à leur tour pour participer de cette lumière et de cette chaleur pour toujours. Bref, avant et après la loi, il y a la vie. Et cette vie ne peut s’enfermer dans des catégories juridiques. La vie véritable déborde et fait éclater ce que dans la loi il pourrait y avoir d’étroit. La vie éternelle à laquelle nous sommes tous appelés ne rentre pas dans les cases de nos calculs mesquins ou de nos petites imaginations.
Jésus est très clair sur ce point. Il ne faut pas considérer la vie éternelle avec nos catégories mondaines sur un mode de continuité : la vie éternelle, c’est cette vie qui dure et qui dure et on s’inquiète un peu de ce qu’à la fin on risque quand même de s’ennuyer… Ou encore la vie éternelle maintient le lien juridique du mariage et bon courage pour les familles recomposées… Non, dit Jésus : « ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari » ; la vie éternelle est une plongée dans la nouveauté de Dieu. Elle n’appartient pas au temps et à l’espace ; elle ne dépend pas des logiques juridiques. Elle est communion avec Dieu et avec les saints au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir.
Savoir cela est capital car c’est là tout simplement le but et le sens de notre vie. La fête de la Toussaint nous l’a rappelé. Or notre temps nous rive aux réalités mondaines et nous fait baisser la tête au point de l’avoir dans le guidon, comme on le dit souvent. Nous devenons ainsi des automates ou des zombies vivant sans grande perspective et sans liberté profonde. Dieu nous appelle à relever la tête pour distinguer la route et l’horizon. On ne peut pas vivre sans savoir où on va. Dans le récit du 2e livre des Martyrs d’Israël, la mère a cette mission de transmettre à ses fils le sens de la vie et exhorte le 7e fils à affronter la mort par amour de la vraie vie. C’est parce qu’on sait le but qu’on peut choisir le bon chemin. Si les chrétiens perdent le sens de l’éternité, ils s’enlisent dans des voies qui ne mènent nulle part. Ils deviennent mondains et perdent le fil de leur destinée. Et si les chrétiens se perdent, comment le monde pourrait-il entendre une parole d’espérance ?
En ces temps de crises pour notre monde mais aussi de scandales et de déception du côté de l’Eglise institutionnelle, il y a de quoi baisser les bras. La tentation du découragement et du désespoir est forte pour beaucoup de croyants et nous en sommes peut-être. Mais c’est bien une tentation diabolique qui menace d’affaiblir, de diviser voire de disloquer le Corps du Christ. Car le Corps du Christ ne se réduit pas à ses plaies et à ses articulations endolories ; il a ses racines dans le Ciel, dans la communion des saints et c’est de là qu’il peut attendre une guérison véritable. C’est dans la mesure où chacun des baptisés se replonge dans la source de son baptême qu’il peut bien se positionner dans le corps. Alors il peut devenir un membre qui transmet la vitalité et non une infection de plus. Or cette vitalité ne vient que de Dieu moyennant la foi en notre baptême.
La 2e lecture est tout à fait adaptée à notre contexte. Saint Paul souhaite aux chrétiens de Thessalonique du réconfort divin et de l’affermissement spirituel. « Que notre Seigneur Jésus Christ… et Dieu notre Père (…) réconfortent vos cœurs et les affermissent. » Ce réconfort, nous le puisons dans la prière et dans les vertus théologales que Paul nomme toutes trois dans ce passage : amour, espérance et foi. Croire en cette vie éternelle nous oriente intérieurement vers la seule réalité qui tient et qui demeure : l’amour de Dieu. Garder le but de la vie dans le cœur, c’est recueillir et concentrer nos forces sur ce qui en vaut vraiment la peine. C’est choisir le seul placement financier qui traverse toutes les crises. Croire en la vie divine et en l’amour sauveur, c’est de cela dont nous avons tous besoin en ces temps difficiles.
Car cette foi nous ancre dans le solide et place notre cœur dans la force de Dieu. Fixés sur le but à atteindre, nous ne dispersons pas nos énergies en plaintes, murmures et divagations ; nous avançons avec fermeté vers le but, malgré les secousses et les déconvenues. La vie est un combat mais nous en connaissons le terme ; nous avons reçu les armes dans le baptême et la confirmation, et nous savons que la victoire est déjà acquise par le Christ ressuscité. Forts de cette foi, nous pouvons mettre en œuvre la vertu d’endurance comme nous y invite saint Paul. « Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu et l’endurance du Christ. »
Frères et sœurs, la foi nous rend endurants, capables de tenir et de supporter parce que nous nous savons aimés infiniment. Jésus a vécu cette endurance et nous invite à mener cette vie comme un entraînement. Beaucoup de nos contemporains se dépassent dans le sport et développent une grande endurance physique. Mais qu’en est-il de l’endurance intérieure ? Il nous faut nous exercer chaque jour à la foi, la charité et l’espérance. Ces exercices spirituels nous transforment et nous font déjà goûter quelque chose du but, de la vie éternelle. Même si extérieurement c’est rude, dans la foi, nous vivons déjà quelque chose du Royaume. Nous découvrons que la seule réalité déjà éternelle c’est l’amour. Plus nous nous y exerçons avec patience et endurance, plus nous entrerons aisément dans la joie qui ne passera pas.
C’est probablement ce qu’ont pratiqué nos 7 frères martyrs et ils l’ont fait probablement en se nourrissant des psaumes. Faisons donc nôtres ces paroles du psaume de la messe pour nous encourager à l’endurance et nous faire entrevoir la récompense : « J’ai tenu mes pas sur tes traces, jamais mon pied n’a trébuché. (…) Et moi, par ta justice, je verrai ta face : au réveil, je me rassasierai de ton visage. » Qu’à ce réveil de la résurrection nous soyons tous rassasiés de la beauté de Dieu. Amen