Textes liturgiques (année C) : Jr 31, 7-9 ; Ps 125 (126) ; He 5, 1-6 ; Mc 10, 46b-52
Frères et sœurs, comme Bartimée, nous sommes appelés par Jésus à le suivre sur son chemin. Et ce chemin commence toujours par celui de la prière quotidienne. C’est là que nous apprenons les dispositions nécessaires pour devenir de vrais disciples du Seigneur. Les textes de ce dimanche nous offrent à cet égard trois attitudes utiles pour mener le bon combat de la prière : la persévérance, la gratitude et la confiance filiale.
Nous avons bien besoin de persévérance dans la prière, comme Jésus nous y invite à de multiples reprises, en particulier quand il s’agit de la prière de demande et de supplication. Priez avec persévérance ! Bartimée est pour nous un modèle du genre. Lorsqu’il entend que Jésus de Nazareth passe à proximité, il se met à crier, au point qu’on cherche à le faire taire. Mais lui tient bon et pousse ses cris jusqu’à être enfin entendu de Jésus. Alors le dialogue peut s’engager et Jésus lui demander ce qu’il veut. Cette prière de Bartimée a été retenue et adaptée par certains Pères de l’Eglise afin de former ce qui est devenue la prière du cœur ou la prière de Jésus dans la tradition hésychaste : « Seigneur Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi, pécheur. » A la suite de Bartimée, des générations de chrétiens ont fait leur ce cri, en l’intériorisant et en le calant sur leur respiration afin de devenir une prière incessante, de jour et de nuit. C’est comme cela qu’ils ont répondu à la demande du Seigneur : « Priez sans cesse. » (Lc 18,1 ; 1Th 5,17) Il n’y a pas de vie de prière digne de ce nom sans un engagement déterminé et le choix de la persévérance. En effet notre prière rencontre bien des obstacles, à l’image de ces gens qui veulent faire taire Bartimée. Il y a ainsi en nous des voix qui nous disent que la prière ne sert à rien ou que Dieu est aux abonnés absents. Tous ces adversaires intérieurs sont plus redoutables que les contraintes extérieures qui peuvent aussi nous déstabiliser. Il est bon de le savoir pour nous engager avec force dans le combat de la prière et de l’intercession. Comme Jésus, le grand prêtre par excellence, nous avons une mission sacerdotale par notre baptême, celle de la supplication et de l’intercession pour les autres et le monde. Il est de notre devoir de disciple de présenter avec persévérance à Dieu les situations de souffrance et de manque pour nous, notre entourage, l’Église et le monde.
La deuxième attitude nécessaire à la vie de prière est celle de la gratitude. Elle accompagne en particulier la prière de louange et d’exultation. Certes la véritable exultation est un don de l’Esprit Saint mais il dépend de nous de demeurer dans la joie. Le cri de supplication de Bartimée cède ainsi la place aux cris de joie de la 1re lecture. Le prophète Jérémie y donne un oracle du Seigneur invitant à la joie et à la louange : « Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : ‘Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël !’ » Et le psaume y répond comme en écho : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie. » La prière se fait ici débordement de joie devant l’œuvre de Dieu qui a ramené son peuple en l’arrachant à l’esclavage et à l’exil. Ce débordement est empli de gratitude est devient célébration, célébration des merveilles de Dieu. On en trouve tant d’exemples dans les psaumes : « Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! » Et le psalmiste souligne que les nations païennes sont témoins de ces merveilles de Dieu pour son peuple. Voilà qui devrait frères et sœurs nous interpeller. Est-ce que la prière des chrétiens, est-ce que leurs jubilations et leurs célébrations retentissent dans le monde entier ? Le pape François a beaucoup insisté au début de son pontificat sur l’importance de la joie chrétienne : ne nous laissons pas voler la joie de l’évangile ! Malheureusement nous passons souvent à côté de cet enjeu ; à cause des épreuves et des attaques du monde, nous sombrons dans la résignation et la morosité. Et c’est un péché collectif, celui de l’acédie. L’acédie est ce vice capital qui consiste à ne plus trouver sa joie en Dieu. Il est extrêmement dangereux. Car si les disciples de Jésus ne cultivent plus la joie du salut, qu’avons-nous à dire au monde ? Pour lutter contre l’acédie, rien de tel que la célébration des merveilles de Dieu ; il nous faut nous arrêter pour regarder nos vies et y puiser de la gratitude. Gratitude pour le don de la vie, gratitude pour le don de la foi, gratitude pour l’accompagnement certain de Dieu au quotidien. Bien sûr que nous ne faisons pas l’économie de la croix et de l’épreuve et qu’à certains moments, les murmures ou la colère l’emportent sur la reconnaissance. Mais l’important est de revenir à la vérité fondamentale de notre vie : Dieu seul sait ce qui est bon pour nous et le véritable sens de notre vie ne sera découvert qu’au jour de notre mort, quand nous nous présenterons devant Lui. En attendant, il nous faut avancer en ne perdant pas mémoire de ce que Dieu a fait pour nous. Car comme le souligne sainte Thérèse d’Avila, c’est le rappel régulier des œuvres de Dieu dans notre vie qui crée en nous la gratitude et protège la joie spirituelle. Et cette joie spirituelle n’a pas besoin d’être exubérante ; elle est une force intérieure qui nous maintient dans le dynamisme de la vie et du don.
La troisième attitude est la plus fondamentale : la confiance filiale est le sous-bassement de notre vie chrétienne. Nous avons vu que la prière est un cri, cri de supplication ou cri de joie. Saint Thérèse de Lisieux affirme ainsi : « Pour moi, la prière, (…) c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie. » (Ms C 25) Mais cela repose sur notre foi en la bonté paternelle de Dieu, elle qui est justement évoquée dans les textes. L’oracle rapporté par Jérémie s’achève par ces mots : « Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné. » Dieu désigne son peuple comme son enfant. Mais le modèle du fils est bien Jésus avec cette parole du psaume 2 rapportée par la lettre aux Hébreux : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » Jésus est le Fils par excellence, Fils de Dieu mais aussi fils des hommes, puisqu’il est appelé « Fils de David » par Bartimée. Jésus se présente ainsi pour nous comme le modèle du fils priant, celui qui sait crier vers Dieu. Il crie vers Dieu en exultant : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre d’avoir révélé ces choses aux tout-petits. » (Mt 11,25) Et il crie dans la détresse de Gethsémani ou sur la croix : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais dans toutes ces prières, ce qui domine, c’est la confiance du Fils. Et il en est de même pour Bartimée comme pour nous. « Va, ta foi t’a sauvé. » Notre arme fondamentale dans la prière et la vie chrétienne, c’est cette foi filiale. La foi n’est pas un sentiment ; c’est une vertu. Il ne s’agit pas de sentir sa foi mais de la faire agir. La foi est donnée par Dieu dans le baptême et reçue librement. Ensuite il faut en vivre en en prenant soin, en la développant par des actes concrets, par la prière et la formation. Si nous ne nourrissons pas notre foi, nous ne pourrons pas user de gratitude et de persévérance. Ce qui est premier, c’est l’accueil filial du cadeau de la foi ; vient ensuite notre responsabilité d’ouvrir le cadeau et d’en faire quelque chose.
Frères et sœurs, pour avancer dans ce chemin de la prière, inutile de se casser la tête. Il suffit de regarder Jésus : Jésus qui ne se donne rien à lui-même mais comme Fils, reçoit tout de son Père et ainsi s’engage dans la vie avec persévérance et gratitude, dans la jubilation ou dans la supplication. Que le Christ grand prêtre intercède pour nous et nous conduise à sa suite sur le droit chemin. Qu’il nous conduise vers la nouvelle Sion où tous, nous serons en grande fête ! Amen