La Soif du Cœur : Entre Liberté et Communion, l’Alliance Divine (Ho 3° dim. carême - Année C)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Ex 3, 1-8a.10.13-15 ; Ps 102 (103) ; 1 Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9

Le thème de la soif, comme symbole du désir, nous touche profondément, frères et sœurs, car il est à la base du dynamisme de la vie. La soif du cœur humain est tout à la fois soif de liberté et soif de communion. La soif de liberté procède du besoin de nous réaliser en tant que personnes, d’être créatifs, de mettre en œuvre des projets ; la soif de communion tient à ce que nous sommes des êtres fondamentalement relationnels dont l’aspiration profonde est d’aimer et d’être aimé ; mais ces deux dimensions de l’existence humaine sont en tension permanente. Le désir de liberté nous fait expérimenter en effet toute limitation comme une entrave de sorte que l’autre, les autres apparaissent souvent comme des obstacles à notre épanouissement, tandis que toute alliance d’amour implique des renoncements à une autonomie qui nous est chère.

La Samaritaine a manifestement échoué dans la gestion de cette tension, allant de mari en mari sans parvenir à établir une véritable alliance. Mais cet échec a aussi un soubassement religieux, car la mention de ces cinq maris est une allusion à l’idolâtrie des Samaritains. Lorsqu’en 721 avant Jésus-Christ, le royaume du Nord, à savoir le royaume d’Israël, est envahi par les assyriens, la population juive est déportée et remplacée par des gens originaires de cinq régions différentes ; ceux-ci amènent avec eux leur propre divinité tout en adoptant le Dieu d’Israël, créant ainsi une religion syncrétiste ; les cinq maris de la samaritaine désignent ces divinités appelées « Baal », terme signifiant tout à la fois le maître et l’époux. Dès lors, la foi au Dieu des patriarches ne subsiste en toute pureté que dans le royaume du Sud, à savoir le royaume de Juda, d’où l’affirmation de Jésus : « le salut vient des Juifs. » (Jn 4,22c)

La foi au Dieu unique est en effet la source tout à la fois de la véritable liberté et d’une communion authentique, lui qui est le Dieu de l’Alliance, cette Alliance irrévocable qu’il a établie avec son peuple et dans le Christ avec toute l’humanité. Or, ce qui est au cœur de cet évangile, c’est bien la symbolique des noces. Dans la Bible, le puits est en effet le lieu où les patriarches Isaac et Jacob, ainsi que Moïse ont rencontré leur épouse (cf. Gn 24,14-27 ; 29,1-14 ; Ex 2,15-22). Le mariage monogamique et indissoluble, qui est une nouveauté proprement évangélique, se fonde sur la foi au Dieu unique : il faut aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces pour pouvoir s’engager à vie dans un unique amour humain. Jésus, en s’adressant à la Samaritaine au puits de Jacob se présente comme étant en personne l’Epoux de la nouvelle Alliance. Il quémande de l’eau afin d’éveiller dans le cœur de cette femme la soif du Dieu vivant. Assis au bord du puits, il rejoint la Samaritaine jusqu’en son être profond dont ce puits est un symbole. Il ouvre son cœur à cet espace infini de communion où sont célébrées les noces éternelles de Dieu avec l’humanité. Lui seul nous révèle en effet l’amour infini dont nous sommes aimés : « la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5,8) La foi au Christ est la source du véritable désir, car elle est la révélation d’une communion humainement inimaginable avec Dieu. Nous sommes appelés, frères et sœurs, à rien moins qu’à vivre de la vie même de Dieu.

La traversée du désert vient éveiller cette soif de la vie en plénitude moyennant le détachement de nos idoles et de tout ce qui nous aliène. Ainsi, la fête de Pâques vers laquelle nous marchons, frères et sœurs, n’est pas seulement l’annonce de notre libération du péché et de la mort accomplie par le Christ. Elle est la promesse des Noces éternelles par lesquelles Dieu nous unit à lui en son Fils. Dans le Verbe fait chair, Dieu a épousé une fois pour toutes notre condition humaine et en elle toute personne qui lui donne son cœur dans la foi. Or nous sommes appelés à vivre cela dès à présent, car l’eau vive de l’Esprit nous est déjà donnée pour accueillir notre identité la plus profonde, celle d’enfant de Dieu, en édifiant le Royaume de la communion fraternelle. Cela demande d’assumer toute traversée du désert comme une grâce de libération à l’égard de nos attachements. Alors peut grandir en nous la soif de cette vie divine en laquelle liberté et communion ne font qu’un.

Fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd - (https://carmes-paris.org/couvent-avon)
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