Textes liturgiques (année C) : Ne 8, 2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18 (19) ; 1Co 12,12-30 ; Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Avec ce 3e dimanche du temps ordinaire, nous écoutons enfin le commencement de l’évangile de Luc que nous allons méditer tout au long de cette année liturgique. Cet évangile est le seul des quatre à être adressé à un destinataire, un certain Théophile, littéralement « ami de Dieu » ; ainsi chacun de nous peut se considérer comme le destinataire de cette parole de vie. Saint Luc justifie dans son prologue le sérieux de son propos ; il a enquêté auprès de « ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole ». Voilà une belle expression : « serviteur de la Parole ». Si la génération des témoins oculaires est bel et bien passée, au fond tout baptisé pourrait se sentir appelé à devenir lui aussi serviteur de la Parole, surtout en ce dimanche qui lui est dédié !
Pour devenir serviteurs de la Parole, il nous faut d’abord la recevoir. C’est ce que fait Jésus lui-même dans l’évangile quand il entre dans la synagogue de Nazareth mais c’est également ce que fait le peuple d’Israël dans la 1re lecture lorsqu’Esdras proclame solennellement la loi du Seigneur. La Parole de Dieu est une parole qui ne vient pas de nous mais qui nous est transmise par une tradition. Le peuple élu par Dieu est celui qui a reçu la mission de conserver cette parole en la fixant par écrit et en vivant avant la venue du Messie. Aussi ce dimanche de la Parole est l’occasion de nous rappeler la place unique occupée par le peuple juif dans le dessein de Dieu, pas seulement hier mais aussi aujourd’hui et demain. « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11,29) et l’élection du peuple juif n’est pas effacée par l’évangile. Dit autrement, l’accomplissement de l’Ancien Testament par le Nouveau n’est pas son abolition.
Même si beaucoup de chrétiens disent légitimement avoir du mal à entrer dans le Premier Testament, ce n’est pas une raison pour ne pas le faire. L’accueil de la Parole de Dieu n’est pas une option mais une nécessité vitale. On ne peut pas entrer dans le mystère du Verbe fait chair, dans le mystère de Jésus sans scruter toutes les Écritures. C’est un engagement. D’ailleurs la liturgie nous invite non seulement à écouter la Parole mais aussi à lui répondre avec une parole engagée. Le peuple répond « Amen ! Amen ! » à la proclamation d’Esdras. Jésus commente Isaïe en disant « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » Pendant cette célébration, vous avez répondu « Nous rendons grâce à Dieu » quand le lecteur a dit « Parole du Seigneur. » Oui nous rendons grâce parce que Dieu nous parle et nous donne de lui répondre. La Parole nous donne la parole. Pourquoi s’en priver ?
Cette Parole, nous la recevons dans un livre. Le terme de livre revient 8 fois dans la 1re lecture et l’évangile : le livre de la Loi ou celui du prophète Isaïe, ou plutôt leurs rouleaux. Nous avons aussi accès à la Bible comme un livre qui lui-même est composé de dizaines de livres. Cependant, il nous faire attention à une méprise possible. Nous ne sommes pas une religion du Livre, expression qui vient du Coran. Nous ne célébrons pas le dimanche du Livre mais de la Parole. Au centre de notre foi, il n’y a pas un livre mais le Verbe devenu chair, Jésus-Christ, Parole vivante présente dans les Écritures mais qui les déborde aussi. Cela est très important pour résister au fondamentalisme biblique qui peut aussi exister à travers un littéralisme qui tue. Saint Paul l’a affirmé avec force : « la lettre tue mais l’Esprit donne la vie. » (2 Co 3,6) La lecture de la Parole de Dieu doit se faire dans le même Esprit qui a inspiré l’auteur. Il s’agit d’une lecture spirituelle qui peut intégrer le sens littéral quand cela est pertinent mais qui peut aussi s’en éloigner.
C’est ce que fait Jésus dans l’évangile. Il cite Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » Et il accomplit cette parole dans l’Esprit. Luc a justement précisé quelques versets avant : « Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée. » C’est parce que Jésus vit selon l’Esprit-Saint qu’il peut recevoir et interpréter la Parole entendue dans ce même Esprit. L’Esprit Saint qui a donné des mots au prophète Isaïe est aussi actif dans le cœur de celui qui lit Isaïe pour faire de ces mêmes mots une parole de vie pour aujourd’hui. Et nous aussi comme baptisés, nous pouvons affirmer comme Jésus : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. » L’onction du baptême et de la confirmation nous donne l’autorité pour affirmer que dans l’Esprit Saint nous pouvons recevoir et vivre de la Parole de Dieu ; et aller jusqu’à dire que cette parole s’accomplit en nous aujourd’hui, lorsque nous la laissons descendre dans nos profondeurs et les transformer.
« C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. » Cet accueil de la Parole dans la grâce de l’Esprit nous constitue tous en un seul corps. C’est quand les chrétiens se mettent sérieusement à l’école de la Parole de Dieu que le travail de l’unité avance. Car l’unité du corps du Christ est un don à recevoir à travers une démarche de conversion personnelle et communautaire. Il est donc fondamental que nous catholiques soyons davantage des connaisseurs de la Parole. Il est affligeant de voir à quel point nous ne sommes guère des serviteurs de la Parole quand nous écoutons nos frères Juifs ou protestants. De quelle ingratitude faisons-nous preuve devant ce Dieu qui nous donne le trésor de sa parole, un trésor qui fait vivre ?
Alors je nous lance un défi cette année : choisir de lire en entier un livre biblique, au minimum un évangile voire tout le Nouveau Testament. « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ » dit saint Jérôme. La vie est faite de priorités : choisissons de connaître le Christ et le reste nous sera donné par surcroît. Que ce dimanche de la Parole de Dieu nous réveille et nous redonne parole pour parler à Dieu mais aussi pour entrer en conversation avec nos frères et sœurs chrétiens d’autres confessions et avec nos frères aînés dans la foi. « Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart. »