Vivre dans la dépendance de Jésus–Christ (Homélie 29° dim. TO)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Is 53, 10-11 ; Ps 32 (33) ; He 4, 14-16 ; Mc 10, 35-45 ; Mc 10, 42-45

La demande des fils de Zébédée et la réaction des autres disciples sont l’occasion pour Jésus de clarifier les exigences liées à la vocation chrétienne. Pour partager la gloire du Christ, il faut suivre le même chemin que lui, celui du serviteur souffrant. Relevons que, si Jésus leur répond qu’ils ne savent pas ce qu’ils demandent, il ne rejette pas leur prétention. Mais que connaissent les 2 disciples de la gloire céleste et des places au côté du Christ ? À y songer, il y a une certaine naïveté dans la demande des fils de Zébédée. Pourtant, la réponse de Jésus suggère que leur souhait n’était pas complètement dénué de sens. Certains, semble-t-il, siégeront à la droite et à la gauche du Christ en gloire, mais c’est le Père qui attribuera les places.

Le partage de la gloire divine, comme manifestation du salut, n’est pas absent de la révélation. Par exemple, dans l’Apocalypse, Jean décrit une vision de 24 anciens qui entourent le trône du Tout-Puissant. « J’eus ensuite une vision. (…) Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu’un… Celui qui siège est comme une vision de jaspe et de cornaline. 24 sièges entourent le trône sur lequel sont assis 24 Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. » (Ap 4, 1…4)

Ainsi, la demande de Jacques et de Jean n’est pas ridicule en soi, vouloir participer à la gloire du Christ est un désir légitime pour tout chrétien. C’est même la réalisation de notre vocation de fils adoptifs. La foi ne consiste pas seulement en un acte désintéressé. Jésus lui-même, dans ses enseignements, n’hésite pas à promettre des récompenses à ceux qui le suivent avec fidélité. Ainsi, ceux qui auront su quitter un bien estimable pour le Christ et l’Évangile en recevront le centuple. « En vérité, je vous le dis, nul n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Mc 10,29-31) Savoir exprimer ses attentes quant aux biens promis n’est pas une faute, car la récompense promise sera exaucée. Ainsi Saint Paul prie pour les chrétiens d’Éphèse : « Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donner un esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître ! Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force, qu’il a déployée en la personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa droite, dans les cieux » (Ep. 1,17-20)

Dans l’évangile, si Jésus déclare ne pouvoir pas devancer le jugement du Père qui attribuera la place qui revient à chacun, il reconnait que certains d’entre nous iront siéger plus près de Lui. Mais la condition pour obtenir une place privilégiée est de partager sa Passion, et de vivre une attitude de service envers tous nos frères. Pour suivre le Christ dans sa gloire, il faut aussi le suivre dans l’abaissement qu’il a vécu au milieu de ses disciples. Jésus peut nous assurer que nous recevrons de grands biens si nous suivons son chemin. C’est cette invitation à imiter le Christ que Paul nous adresse quand il nous dit dans l’épître aux Philippiens : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave. » (Ph 2, 5-7)

Cependant on ne peut dissocier l’appel à suivre Jésus dans sa Passion et à demeurer le serviteur de tous, sans avoir en même temps une vive conscience du profit que nous en recevons. Répondre à l’invitation à suivre Jésus, ce n’est pas d’abord se résigner à porter la croix, ni supporter notre tâche de service sans contrepartie. Si Paul peut écrire « À tout moment, nous subissons l’épreuve, mais nous ne sommes pas écrasés, nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. » Si Paul peut affirmer cela, c’est parce qu’il possède une force intérieure qui le soutient. Suivre le Christ ne se résume pas à porter sa croix et à servir avec la seule satisfaction du devoir accompli. Juste après sa remarque sur son combat, Paul ajoute : « Partout et toujours, nous subissons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. » C’est grâce à la présence de Jésus en lui que Paul peut affirmer : « Je suis crucifié avec le Christ, et ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Sans cette vie du Christ en nous, il serait impossible de supporter le fardeau de la croix et l’ampleur du service. Jésus invite Jacques et Jean à boire SA coupe, et à être baptisés de SON baptême, et à le suivre dans SON attitude de serviteur. Ainsi, le Seigneur nous invite à une dépendance spirituelle qui donne un sens à nos épreuves et à notre travail.

Nous ne sommes pas seul dans notre cheminement, car nous vivons notre condition humaine dans la foi au Fils de Dieu avec la présence et la force de l’Esprit Saint. L’Esprit du Christ constitue dès aujourd’hui les arrhes des biens à venir. Et c’est cet Esprit qui nous fait tenir debout et qui nous relève quand il le faut. L’enseignement de Jésus, qui nous rappelle les conditions de notre participation au royaume de Dieu, ne peut pas être interprété comme une simple exhortation à l’abnégation. L’abnégation évangélique est incontournable, mais c’est parce qu’elle est soutenue par le don de l’Esprit qu’elle n’est pas mortifère. Avec St Paul nous pouvons dire que nous estimons qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous. Car, avec toute la création, nous avons l’espérance de connaître la gloire et la liberté des enfants de Dieu (Rm 8, 18.21).

Par conséquent, la manière appropriée de réagir lorsque nous nous sentons accablés par les circonstances de notre vie ne serait-elle pas de nous renouveler intérieurement dans l’espoir et la conviction des dons qui nous sont accordés ? Et le plus grand de ces dons est la présence au plus profond de notre cœur de la vie trinitaire, qui se manifestera pleinement dans la gloire du Royaume à venir. Vivre notre existence humaine et chrétienne dans la dépendance de Jésus–Christ, comme nous dit la règle du Carmel, est la condition de notre force et de notre joie dans le service et les difficultés de nos vies. AMEN.

Fr. Antoine-Marie Leduc, ocd - (couvent de d’Avon)
Revenir en haut