Textes liturgiques (année C) : Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 103 (104) ; Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7 ; Lc 3, 15-16.21-22
Le voilà, il arrive, l’artisan charpentier de Nazareth. Et Jésus se mêle discrètement à la foule attirée par cet homme étrange, Jean le Baptiste. Depuis les bords du Jourdain, celui-ci ne cesse de crier, d’exhorter les gens à la conversion. Alors les déçus de la vie, les quêteurs d’espérance, les pauvres en santé et en relations, les exclus de la synagogue pour inconduite, les curieux aussi et pourquoi pas, se pressent pour l’écouter, lui, le Prophète, à l’allure si étrange, Jean le Baptiste. Fini le temps des paroles tièdes, ni chaudes ou froides. Avec lui, les choses sont claires, énoncées ouvertement. Que lui importe que ses propos puissent choquer, déranger les bien-pensants ou ceux qui ont le pouvoir et le savoir. Non il ne vient pas pour faire scandale et faire la une des journaux. Le Prophète se met au service de la vérité, de la vérité en Dieu. Il n’est pas à la remorque d’une école religieuse ou d’un parti politique, d’aucune pensée à la mode. Il ne cherche pas à séduire, mais à convertir. Ouvrir le cœur des hommes vers Dieu. C’est un homme libre, Jean le Baptiste, qui a établi son campement sur les bords du fleuve.
Mêlé à la foule bien hétérogène, Jésus s’avance vers Jean le Baptiste. Ils sont cousins. Se connaissent-ils ? L’Évangile semble discret, respectons cette discrétion. Surprise et gêne du Baptiste. Les rôles semblent inversés. « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi ! ». Mais Jésus lui répondit : « Pour le moment, laisse-moi faire ; c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. ».
Jésus vient à Jean comme beaucoup d’autres pour se faire baptiser par lui ! Mais a-t-il à se plier à un rite exprimant sa conversion ? On peut comprendre la gêne du Baptiste qui se laisse faire.
Jésus pénètre dans les eaux du Jourdain. Là où d’autres l’ont précédé et ont déposé le fardeau de leur vie. Elle en porte des péchés cette eau sombre du fleuve, des plaies de l’existence, des blessures de la vie. Et Jésus, le Fils de Dieu, fait le choix de laisser son corps, son corps de sainteté et de pureté, être baigné par cette eau qui recrée, qui purifie, l’eau de la nouvelle naissance en Dieu. En Lui et par Lui Dieu fait miséricorde.
Mystère de l’humilité du Christ en sa condition humaine. En entrant dans les eaux du Jourdain, Jésus purifie cette eau et tout l’univers reçoit sa sanctification. Il recrée Adam, le déchu, et ouvre les portes d’une nouvelle vie en Dieu à tout être vivant, preuve d’une relation renouée pour toujours. Qu’importe désormais la trace de la faute originelle, le Sauveur vient racheter l’humanité. Les cieux s’ouvrent et indique Celui qui vient sauver l’humanité : « Toi, tu es mon Fils bien aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Nous sommes appelés à revisiter ce qui est au cœur de notre foi, à savoir l’humanité de Dieu en son Fils Jésus, fils de Marie et confié à l’amour bienveillant de Joseph. Et la liturgie n’a cessé de nous dire, redire, faire chanter et proclamer cette prodigieuse proximité de Dieu en son Fils Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Non Dieu ne s’est pas déguisé en l’homme. Il a choisi de naître de la femme, la Vierge Marie. Il a connu le déplacement du recensement, une naissance dans des conditions que personne ne souhaiterait. De rares visites ont salué son arrivée : des Bergers peu fréquentés parce que peu considérés ; des Mages en quête d’une sagesse, d’un signe… Bref, des visites très surprenantes sont venues saluer l’arrivée de Dieu à Bethléem. Mais à peine avaient-ils pu recevoir ces visites que Joseph, Marie et l’Enfant devaient fuir la colère d’un puissant qui n’a de force que par la terreur. Et la sainte Famille a pris le chemin de l’exil. L’Emmanuel dans la cohorte de tous ces réfugiés qui aujourd’hui encore cherchent une terre où se poser. Pour une venue sur terre de Dieu, on aurait imaginé un autre scénario ! Et trente longues années se sont déroulées avant que nous visitions cette scène du baptême du Sauveur.
Allons-nous oser nous aussi, à la suite de Jésus, descendre dans les eaux du Jourdain, les eaux de la vie et accepter de laver toutes blessures, peurs, insatisfactions et peines de notre vie parfois sclérosée. En ce début d’année n’y aurait-il pas pour chacun de nous, en cet aujourd’hui que nous vivons, un espace de renaissance à visiter, une terre promise à explorer, une espérance à goûter même avec tant de signes d’inquiétudes qui nous habitent. Ne sommes-nous pas appelés à écouter et à entendre la voix du Père qui nous montre un chemin, fait résonner une voix, délivre une promesse en son Fils Jésus : « Tu es mon Fils bien aimé. » Quelle certitude vient habiter notre cœur ? Quel renouveau s’ouvre devant nous ? Comme les Mages d’hier, il nous faudra peut-être prendre un autre chemin, et accueillir et accepter tel ou tel déplacement (Mt 2,1-12).
Par le baptême nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, notre Sauveur. C’est à un départ que nous sommes appelés : une vie à la suite du Christ, le Seigneur Jésus. Par son baptême au Jourdain Jésus inaugure son ministère public et va se retirer au désert pour accueillir sa mission, la mission que Dieu son Père lui confie. N’y aurait-il pas pour nous un appel à un rendez-vous renouvelé avec Dieu et avec nos semblables ?
Une voix se fait entendre, une main se tend, allons-nous les saisir ?
Dieu nous visite pour goûter l’aujourd’hui de notre baptême, de notre consécration. N’aurions-nous pas à entrer avec Jésus dans les eaux du Jourdain ? Il nous précède et nous accompagne. Et là, laisser le Père nous murmurer le nom du Fils : Jésus.
Fr. Didier-Joseph Caullery, ocd (https://carmes-paris.org/)